nayam bhutva bhavita va na bhuyah
ajo nityah sasvato ’yam purano
na hanyate hanyamane sarire
L'âme ne connaît ni la naissance ni la mort. Vivante, elle ne cessera jamais d'être. Non née, immortelle, originelle, éternelle, elle n'eut jamais de commencement, et jamais n'aura de fin. Elle ne meurt pas avec le corps.
En qualité, l'âme infinitésimale ne fait qu'Un avec l'Ame Suprême, dont elle est une infime partie. Elle ne subit pas de changements comme le corps, et c'est pourquoi on la nomme aussi kutastha, "immuable". Le corps traverse, au cours de son existence, six étapes: il apparaît dans la matrice d'une mère, y demeure quelque temps, puis naît, grandit, engendre une descendance, s'affaiblit et meurt finalement, pour disparaître dans l'oubli. Mais on ne peut dire de l'âme qu'elle naît et subit ces transformations; au contraire, c'est parce qu'elle doit revêtir une enveloppe charnelle que le corps naît. Elle n'est donc pas créée à l'instant où le corps se forme, pas plus qu'elle ne meurt au moment où il se défait. Seul ce qui naît. doit aussi mourir; l'âme ne connaît donc ni passé, ni présent, ni futur. Elle est éternelle et originelle: rien ne laisse croire qu'elle ait seulement pu avoir un commencement. L'âme ne vieillit pas non plus comme le corps. C'est pourquoi le vieillard se sent intérieurement identique à l'enfant ou au jeune homme qu'il fut. Les changements de corps n'affectent pas l'âme: elle ne dépérit pas comme le fait un arbre ou tout autre objet matériel; elle n'engendre pas non plus de descendance. En effet, les enfants d'un homme sont aussi des âmes distinctes; s'ils semblent être nés de lui, c'est uniquement à cause des liens corporels qui les unissent. Leurs corps ne se développent qu'en présence de l'âme. L'âme, assujettie à aucun changement, source d'aucune descendance, n'obéit à aucune des six lois d'évolution du corps.
La Katha Upanisad comporte un verset presque identique à celui qui nous occupe. La traduction et la signification de ce verset sont les mêmes que pour celui de la Bhagavad-gita, avec cette différence qu'on y trouve le mot vipascin, particulier en ce qu'il signifie "érudit", ou "doté de savoir".
L'âme est toujours pleinement consciente et connaissante. Or, la conscience est la manifestation perceptible de l'âme. Car, si nous ne pouvons percevoir la présence de l'âme dans le coeur, où elle habite, nous pouvons toujours appréhender son existence par la conscience qui en émane. Il arrive que le soleil soit caché par des nuages, mais nous savons pourtant qu'il fait jour, car si le globe solaire n'est pas visible, la lumière qui en émane est toujours présente. Nous savons que le soleil s'est levé dès qu'à l'aube une faible lueur pointe. Le principe est le même pour l'âme: puisqu'une conscience anime tous les corps, humains ou animaux, elle doit être présente en chacun. La conscience de l'âme distincte diffère pourtant de celle de Dieu, dans le sens que cette dernière est suprême et possède la connaissance intégrale du passé, du présent et de l'avenir. La conscience de l'être infime, au contraire, est limitée, sujette à l'oubli. Or, quand il oublie sa vraie nature, Krsna, qui n'a pas cette faiblesse, l'instruit, l'éclaire par Son enseignement. Si Krsna n'était pas différent de l'âme oublieuse, l'enseignement qu'Il donne dans la Bhagavad-gita serait vain.
La Katha Upanisad confirme l'existence de deux sortes d'âmes: l'âme distincte, infinitésimale (anu-âtma), et l'Ame Suprême (vibhu-àtmà):
"L'Ame Suprême (le Paramatma) et l'âme infinitésimale (le jivatma) se trouvent toutes deux sur un même arbre, le corps de l'être animé, plus précisément dans son coeur. Celui qui s'est libéré de tout désir matériel et qui ne connaît plus la lamentation peut seul comprendre, par la grâce du Seigneur Suprême, les gloires de l'âme."
Comme les chapitres suivants le montreront, Krsna est la source de l'Ame Suprême, et Arjuna représente l'âme infinitésimale, oublieuse de sa nature véritable. Il a donc besoin d'être éclairé par les enseignements du Seigneur ou de Son représentant qualifié, le maître spirituel.