kaumaram yauvanam jara
tatha dehantara-praptir
dhiras tatra na muhyati
A l'instant de la mort, l'âme prend un nouveau corps, aussi naturellement qu'elle est passée, dans le précédent, de l'enfance à la jeunesse, puis à la vieillesse. Ce changement ne trouble pas qui a conscience de sa nature spirituelle.
Chaque être est une âme spirituelle, distincte de toute autre. A chaque instant, celle-ci change de corps et se manifeste sous la forme d'un enfant, puis d'un adolescent, d'un adulte, d'un vieillard. Mais à travers ces mutations, elle reste identique à elle-même et ne subit aucun changement. Finalement, à la mort de l'enveloppe charnelle qu'elle habitait, cette âme transmigre dans une autre. Sachant que l'âme est certaine de revêtir un autre corps, matériel ou spirituel, pour une nouvelle vie, Arjuna ne peut avoir aucune raison solide de se lamenter sur le destin de Bhisma et Drona. Bien plus, il devrait se réjouir de ce qu'ils échangent leur ancien corps contre un neuf, y puisant un renouveau d'énergie. Nos joies et nos souffrances varient avec nos différents corps, car elles sont le résultat -récompense ou punition- de nos actes passés. Bhisma et Drona sont de nobles êtres; ils gagneront dans leur vie prochaine des corps spirituels, ou du moins, des corps dotés de qualités supérieures, grâce auxquels ils connaîtront, sur les planètes édéniques, des joies matérielles plus grandes encore. Dans l'un ou l'autre cas, il n'y a nulle raison de se lamenter sur leur sort. On appelle dhira, "toujours serein", celui qui connaît parfaitement la nature de l'âme distincte*, de l'Ame Suprême et des univers matériel et spirituel. Les transmigrations de l'âme ne le troublent pas. Le fait que l'âme distincte ne puisse être divisée annule la théorie mâyavadi de l'unité des âmes. Si Dieu pouvait être partagé en une multitude d'âmes individuelles, Il serait divisible et mutable. Or, l'Arne Suprême n'est pas sujette au changement.
La Bhagavad-gita nous assure que les êtres distincts sont des fragments éternels (sanatanas) de Dieu. On les nomme ksaras, car il est toujours possible qu'ils tombent sous le joug de la nature matérielle. Ils existent de toute éternité à l'état de fragments, même après avoir atteint la libération spirituelle. Mais une fois délivrées de la matière, ces parcelles infimes de Dieu vivent éternellement avec Lui, la Personne Suprême, et jouissent, en Sa compagnie, de la connaissance et de la félicité absolues.
L'Ame Suprême, présente en chaque être, et l'âme infinitésimale apparaissent toutes deux dans le corps, mais elles n'en demeurent pas moins différentes. La réflexion du ciel dans l'eau y fait apparaître le soleil et la lune, aussi bien que les étoiles, mais les étoiles, représentant les âmes distinctes, n'égalent jamais pour autant le soleil ou la lune, auxquels on compare l'Ame Suprême. Arjuna, âme spirituelle infinitésimale et distincte de Krsna, l'Ame Suprême, ne L'égale nullement, comme le montrera clairement le début du quatrième chapitre. Si Krsna n'était pas plus haut qu'Arjuna, leur relation de maître à disciple perdrait tout sens. Si tous deux étaient trompés par l'énergie illusoire, maya, à quoi servirait-il que l'un soit le maître et l'autre l'élève? Entre les griffes de maya, il est impossible de donner aucun enseignement de valeur. Mais ici, la position de Krsna est claire: Il est le Seigneur Suprême, supérieur à Arjuna, lequel est oublieux, trompé par maya.