na tvam neme janadhipah
na caiva na bhavisyamah
sarve vayam atah param
Jamais ne fut le temps où nous n'existions, Moi, toi et tous ces rois; et jamais aucun de nous ne cessera d'être.
Les Vedas, la Katha Upanisad et la Svetasvatara Upanisad, enseignent que Dieu, la Personne Suprême, subvient aux besoins des millions d'êtres vivants, selon l'état où les ont mis leurs actes passés; qu'il vit aussi, à travers Ses émanations plénières, dans le coeur de chacun d'entre eux. Mais encore que seuls les êtres saints peuvent voir le Seigneur Suprême aussi bien en chaque être qu'hors de chaque être, et atteindre véritablement la paix parfaite et éternelle. (1) Ces vérités ne sont pas destinées au seul Arjuna, elles s'adressent aussi à tous ceux qui, en ce monde, se targuent d'érudition et manquent le vrai savoir. Que dit le Seigneur? Lui-même, Arjuna, tous les rois assemblés sur le champ de bataille, sont des individus, éternellement distincts les uns des autres; de tous les êtres, Krsna, éternellement, prend soin, qu'ils soient conditionnés par la nature matérielle ou qu'ils en soient libérés. Dieu est la Personne Suprême, distincte de toute autre, et Arjuna, Son compagnon éternel, ainsi que tous les rois combattants, sont aussi des personnes éternelles, distinctes les unes des autres. Leur individualité était dans le passé et elle se perpétuera dans l'avenir. Qui sait cela, pourquoi se lamenterait-il?
Le Seigneur, autorité suprême en toute chose, contredit dans ce passage la théorie dite mayavadi, selon laquelle l'individualité de l'âme n'existerait que tant que celle-ci est conditionnée par la matière. Il déclare, au contraire, que Lui-même et les êtres animés demeurent, comme le confirment les Upanisads, éternellement distincts. On ne peut mettre ici en doute l'autorité de Krsna, dans la mesure où Il n'est pas sujet à l'illusion. L'importance de l'idée personnaliste se traduit par le fait que le Seigneur insiste sur la permanence de l'individualité de l'âme, même dans le futur. Les mayavadis arguent que l'individualité dont parle Krsna n'est pas spirituelle, mais matérielle. Dans ce cas, l'individualité de Krsna serait également d'ordre matériel! Il affirme pourtant qu'elle existait dans le passé, qu'elle continuera dans l'avenir. Et non seulement Krsna confirme-t-Il Son individualité de nombreuses façons, mais Il explique même que le Brahman impersonnel Lui est subordonné. Depuis le début, Krsna a insisté sur cette individualité. Si, malgré tout, on persiste à considérer le Seigneur comme un être ordinaire, conditionné par la nature matérielle, on ne peut plus reconnaître la Bhagavad-gita comme une Ecriture chargée d'autorité spirituelle. Car, un homme ordinaire, limité par les quatre imperfections que lui impose la nature humaine, ne peut rien enseigner qui vaille la peine d'être entendu. Mais en vérité, la Bhagavad-gita transcende entièrement le savoir imparfait, et aucun livre profane ne peut lui être comparé. Seulement, dès qu'on considère Krsna comme un être ordinaire, elle perd toute valeur. Les mayavadis prétendent que l'individualité des êtres, dans ce verset, ne concerne que le corps. Or, Krsna dénonçait justement, dans les versets qui précèdent, l'erreur d'Arjuna identifiant le moi spirituel au corps matériel; comment donc pourrait-Il proposer maintenant cette théorie, après l'avoir si fermement condamnée? Les preuves de l'individualité des êtres s'appuient donc sur des bases spirituelles, ce que confirment les grands acaryas, comme Sri Ramanuja.
En plusieurs endroits, la Bhagavad-gita mentionne clairement que seuls ceux qui s'abandonnent au Seigneur peuvent comprendre cette individualité spirituelle; les envieux, qui jalousent la divinité de Krsna, ne parviendront jamais à comprendre les Ecritures védiques. Celui qui ne se dévoue pas au service du Seigneur, et qui tente cependant de comprendre les enseignements de la Bhagavad-gita, ressemble à l'abeille qui, voyant du miel dans un pot, s'efforce en vain d'en aspirer le contenu, sans comprendre qu'il faut briser le verre, ouvrir le pot. Ainsi de la Bhagavad-gita: comme cela sera confirmé au chapitre quatre, on ne peut en goûter le nectar sans se dévouer au Seigneur. Ceux qui, par envie, refusent l'existence même de Dieu, ne peuvent pas comprendre son message. L'explication qu'en donnent les mayavadis est donc la plus trompeuse. Sri Caitanya Mahaprabhu nous a d'ailleurs interdit de lire leurs commentaires en nous avertissant que ceux qui adoptent leur interprétation perdent tout pouvoir de percer le secret de la Bhagavad-gita. S'il n'y avait d'individualité que dans l'univers phénoménal, les enseignements de Krsna ne seraient d'aucune utilité. L'individualité distincte des êtres et du Seigneur est un fait éternel, attesté, nous l'avons vu, par les Vedas.
(1) nityo nityanam cetanas cetananam eko bahunam yo vidadhati kaman
tam atmastham ye 'nupasyanti dhiras tesam santih savati netaresam
(Katha, 2.2 13)