SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3
CHAPITRE 29

Le service de dévotion
expliqué par Sri Kapila.

VERSET 11-12

mad-guna-sruti-matrena
mayi sarva-guhasaye
mano-gatir avicchinna
yatha gangambhaso mbudhau

laksanam bhakti-yogasya
nirgunasya hy udahrtam
ahaituky avyavahita
ya bhaktih purusottame

TRADUCTION

Le service de dévotion pur et sans mélange se manifeste lorsque le mental du bhakta se trouve instantanément attiré par l'écoute du Nom et des Attributs spirituels et absolus du Seigneur Souverain, qui habite le coeur de chaque être. Comme l'eau du Gange coule naturellement vers l'océan, une telle extase dévotionnelle, que n'interrompt aucune condition matérielle, coule librement vers le Seigneur.

TENEUR ET PORTEE

Le principe fondamental du service de dévotion pur et sans mélange réside dans l'amour pour Dieu. Les mots mad-guna-sruti-matrena signifient: "Juste après avoir entendu parler des Attributs spirituels et absolus du Seigneur Souverain". Ces Attributs sont qualifiés de nirguna, car le Seigneur Suprême n'est jamais souillé par les gunas; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle Il exerce un tel attrait sur les purs bhaktas. Il n'est nul besoin de pratiquer la méditation pour développer cet attrait. Le pur bhakta se situe déjà au niveau spirituel, et l'affinité existant entre lui et le Seigneur est tout à fait naturelle. On la compare aux eaux du Gange coulant dans la mer; aucune force ne peut empêcher le flot du Gange. De même, l'attrait qu'éprouve le pur bhakta pour le Nom, la Forme et les Divertissements sublimes du Seigneur Suprême ne peut être freiné par aucune force matérielle. Le mot avicchinna, signifiant "sans interruption", revêt à cet égard une grande importance. Aucune condition matérielle ne peut enrayer le flot du service dévotionnel d'un pur bhakta.

Le mot ahaituki signifie "sans raison". C'est que le pur bhakta ne sert pas avec amour la Personne Divine pour un motif personnel ou en vue d'en retirer un quelconque bienfait, matériel ou spirituel. Il s'agit là du premier trait marquant de la dévotion pure. Anyabhilasita-sunyam: le pur bhakta n'a aucun désir à assouvir par la pratique du service de dévotion. Or, un tel service n'est destiné qu'au purusottama, qu'au Seigneur Suprême, et à personne d'autre. Il arrive parfois que de prétendus bhaktas adressent leur dévotion à différents devas, croyant les formes des devas identiques à celles du Seigneur Souverain. Cependant, notre verset souligne clairement que la bhakti, ou le service de dévotion, s'adresse uniquement à Dieu, la Personne Suprême, Narayana, Visnu, ou Krsna, et à personne d'autre.

Le mot avyavahita signifie "sans cessation". Le pur bhakta doit servir le Seigneur vingt-quatre heures par jour, sans coupure; son existence est façonnée de telle manière qu'à chaque minute, à chaque seconde, il se livre à une forme ou une autre de service dévotionnel pour le Seigneur Souverain. Ce mot avyavahita signifie également que l'intérêt du bhakta et celui du Seigneur Suprême se situent sur le même plan. Le bhakta ne nourrit aucun autre intérêt que celui de combler les désirs spirituels et absolus du Seigneur. Le service marqué par une telle spontanéité transcende complètement la matière, il ne se trouve jamais souillé par les gunas. Telles sont les caractéristiques du service de dévotion pur, libre de toute souillure matérielle.

VERSET 13

salokya-sarsti-samipya-
sarupyaikatvam apy uta
diyamanam na grhnanti
vina mat-sevanam janah

TRADUCTION

Le pur bhakta n'accepte aucune forme de libération -qu'il s'agisse de salokya, de sarsti, de samipya, de sarupya ou d'ekatva-, même si elles lui sont offertes par le Seigneur Souverain en personne.

TENEUR ET PORTEE

Sri Caitanya enseigne comment accomplir le service de dévotion pur animé d'un amour spontané pour Dieu, la Personne Suprême. Dans Son Siksastaka, Il prie en ces termes: "O Seigneur, je n'attends de Toi aucune richesse, je ne désire pas obtenir une jolie épouse et ne recherche pas non plus de nombreux disciples. Tout ce que je demande, c'est de pouvoir, vie après vie, servir Tes pieds pareils-au-lotus avec une dévotion pure." Or, il existe une similitude entre cette prière de Sri Caitanya et l'enseignement que nous livre ce verset du Srimad-Bhagavatam. Sri Caitanya dit en effet "vie après vie", indiquant que le bhakta ne désire même pas mettre fin à la répétition de la naissance et de la mort. Les yogis et les philosophes empiriques aspirent à sortir du cycle des morts et des renaissances, mais le bhakta est heureux même dans l'univers matériel s'il peut pratiquer le service de dévotion.

Il est clairement établi ici que le pur bhakta ne désire pas l'ekatva, l'unité avec le Seigneur Suprême telle que la désirent les impersonnalistes, les théoriciens et les adeptes de la méditation. La fusion avec l'Etre Suprême n'entre pas dans le rêve d'un pur bhakta. On le verra parfois accepter d'être élevé aux planètes Vaikunthas pour y servir le Seigneur, mais jamais de se fondre dans la radiance du Brahman, ce qui, pour lui, est pire que l'enfer. Cette ekatva, cette fusion avec la lumière émanant du Seigneur Suprême, s'apelle aussi kaivalya, mais le bonheur que procure cette forme de libération apparaît comme diabolique aux yeux du pur bhakta. En effet, celui-ci prend un si vif plaisir à servir le Seigneur qu'il n'attache aucune importance aux cinq formes de libération. De fait, quiconque se trouve établi dans la pratique du pur service d'amour absolu offert au Seigneur doit être considéré comme ayant déjà accédé à toutes les formes de libération.

Lorsqu'un bhakta accède au monde spirituel, Vaikuntha, il peut bénéficier de quatre types d'avantages. L'un d'eux a nom salokya, et il donne de vivre sur la même planète que la Personne Suprême. Celle-ci, à travers Ses différentes émanations plénières, règne sur d'innombrables planètes Vaikunthas, dont la principale est Krsnaloka. De même que dans l'univers matériel le soleil représente la plus importante planète, Krsnaloka est suprême dans le monde spirituel. Depuis Krsnaloka, la radiance du Corps de Sri Krsna se diffuse non seulement dans le monde spirituel, mais également dans l'univers matériel, où elle se trouve toutefois voilée par la matière. Il existe dans le monde spirituel d'innombrables planètes Vaikunthas, et sur chacune d'elles, le Seigneur représente la Divinité suprême. Ainsi, le bhakta peut s'élever jusqu'à l'une de ces planètes pour y vivre en la compagnie du Seigneur Suprême.

Le bhakta qui obtient la libération sarsti peut jouir d'une opulence égale à celle du Seigneur. La libération samipya consiste à devenir un proche compagnon du Seigneur. Et dans la libération sarupya les traits corporels du bhakta sont en tous points identiques à ceux de la Personne Suprême à l'exception de deux ou trois marques distinctives qu'on ne trouve que sur le Corps divin du Seigneur, comme le Srivatsa, la touffe de poils qui orne la poitrine du Seigneur, et qui Le distingue de Ses dévots.

En conclusion, le pur bhakta n'accepte aucune de ces cinq formes d'existence spirituelle, même si elles lui sont offertes; et il n'aspire certes pas aux bienfaits matériels, tout à fait insignifiants en comparaison avec les avantages spirituels auxquels il a accès. Nous avons l'exemple de Prahlada Maharaja, qui, lorsqu'il se vit offrir des biens matériels, répondit: "O Seigneur, j'ai vu mon père obtenir toutes sortes de bienfaits matériels, à tel point que même les devas redoutaient son opulence, mais il T'a suffi d'une seconde pour mettre fin à son existence et à toute sa prospérité matérielle." Le bhakta ne songe pas un instant à poursuivre la moindre prospérité matérielle ou spirituelle; il ne désire qu'une chose: servir le Seigneur. Tel est son plus grand bonheur.

VERSET 14

sa eva bhakti-yogakhya
atyantika udahrtah
yenativrajya tri-gunam
mad-bhavayopapadyate

TRADUCTION

Celui qui atteint le plus haut niveau de service de dévotion, tel que Je l'ai expliqué, peut vaincre l'influence des trois gunas et s'établir, comme le Seigneur, au niveau de la transcendance.

TENEUR ET PORTEE

Sripada Sankaracarya, qui est censé être le chef de file de tous les philosophes de l'école impersonnaliste, a lui-même reconnu au début de son commentaire sur la Bhagavad-gita que Narayana, le Seigneur Souverain évolue au-delà de la création matérielle; excepté Lui, tout se trouve contenu dans la création matérielle. Les Ecritures védiques le confirment d'ailleur: avant la création, Narayana seul existait; ni Brahma ni Siva n'étaient présents. Seul Narayana, ou Dieu, la Personne Suprême, Visnu, ou Krsna, évolue éternellement au niveau purement spirituel, par-delà l'influence de la création matérielle.

Les attributs matériels que sont la vertu, la passion et l'ignorance ne peuvent compromettre la position du Seigneur Suprême; aussi Le qualifie-t-on de nirguna (dénué de la moindre trace d'influence matérielle). Sri Kapila confirme ici cette vérité, en disant que quiconque s'établit dans le service de dévotion pur atteint le niveau spirituel et absolu, celui où Se trouve le Seigneur. Ainsi, au même titre que le Seigneur, Ses purs dévots restent hors d'atteinte de l'influence des trois gunas. On appelle âme libérée, ou âme brahma-bhuta, l'être qui n'est pas touché par les attributs de la nature matérielle. Brahma-bhutah prasannatma indique en effet le stade de la libération. On dit également aham brahmasmi: "Je ne suis pas ce corps". Ceci ne s'applique qu'aux êtres constamment absorbés dans le service de dévotion offert à Krsna, et dès lors établis au niveau spirituel; ceux-là seuls se trouvent à l'abri de l'influence des trois gunas.

Les impersonnalistes commettent l'erreur de croire que l'on peut adorer n'importe quelle forme imaginaire du Seigneur, ou du Brahman, pour finalement se fondre dans la radiance de ce Brahman. Bien entendu, la fusion avec le Brahman, ou la lumière émanant du Corps du Seigneur Suprême, est aussi une forme de libération, ainsi que nous l'avons vu dans le verset précédent. L'ekatva est donc aussi la libération, mais jamais un bhakta n'accepte la libération sous cette forme, car aussitôt qu'il s'établit dans le service de dévotion, il atteint l'unité qualitative avec le Seigneur. Ainsi, pour lui, l'égalité qualitative avec l'Absolu, ou le résultat de la libération impersonnelle, est déjà acquise; il n'a pas à la poursuivre séparément. Il ressort clairement de notre verset que la seule pratique du service de dévotion pur donne d'atteindre le même niveau qualitatif que celui du Seigneur en personne.

VERSET 15

nisevitenanimittena
sva-dharmena mahiyasa
kriya-yogena sastena
natihimsrena nityasah

TRADUCTION

Le bhakta doit s'acquitter de ses devoirs propres -tous glorieux- sans aspirer à aucun gain matériel. L'on doit régulièrement, et sans violence inutile, accomplir les activités dévotionnelles.

TENEUR ET PORTEE

Chacun doit remplir les devoirs qui lui sont prescrits en fonction de sa position sociale, c'est-à-dire en tant que brahmana, ksatriya, vaisya ou sudra, tels que les définit la Bhagavad-gita. Les brahmanas ont pour devoir de maîtriser leurs sens et de devenir des bhaktas simples, propres et érudits. Les ksatriyas ont un esprit de dirigeant, ils font preuve de courage au combat, et se montrent charitables. Les vaisyas font du commerce, veillent sur les vaches et assurent le développement agricole; et les sudras, ou les travailleurs, sans intelligence particulière, assistent les groupes supérieurs.

De chacune de ces positions, ainsi que le confirme la Bhagavad-gita (sva-karmana tam abhyarcya), on peut servir le Seigneur Suprême à travers l'accomplissement de son devoir prescrit. Ce n'est pas que seuls les brahmanas peuvent servir le Seigneur Suprême et non les sudras. Chacun peut servir Dieu en accomplissant son devoir sous la direction d'un maître spirituel, ou d'un représentant de la Personne Suprême. Ainsi, nul ne devrait penser que ses devoirs sont inférieurs à ceux d'un autre. Le brahmana peut servir le Seigneur au moyen de son intelligence, et le ksatriya par ses aptitudes militaires, comme le fit Arjuna en présence de Krsna. En effet, Arjuna était un guerrier; il n'avait pas le temps d'étudier le Vedanta ou d'autres ouvrages hautement intellectuels. Les gopis de Vrajadhama, elles, étaient toutes nées vaisyas, et elles s'employaient à veiller sur les vaches et à cultiver la terre. Le père adoptif de Krsna, Nanda Maharaja, ainsi que ses proches appartenaient d'ailleurs tous au groupe des vaisyas; ils n'avaient aucune instruction, mais ils purent tout de même servir Krsna avec amour en Lui offrant tout ce qu'ils avaient. Il existe d'autre part un grand nombre d'exemples de candalas, d'êtres inférieurs aux sudras, qui servirent Krsna. Le sage Vidura, lui, était considéré sudra du fait que sa mère appartenait à cette classe sociale. Nous ne pouvons faire de telles distinctions puisque, comme le déclare le Seigneur Lui-même dans la Bhagavad-gita, quiconque pratique de façon spécifique le service de dévotion se trouve élevé au niveau spirituel, et ce, sans l'ombre d'un doute. Tous les devoirs sont glorieux s'ils s'inscrivent dans le cadre du service de dévotion offert au Seigneur sans désir de gain en retour. Ce service d'amour doit être accompli sans autre motif, sans interruption et de façon spontanée. Krsna est digne de recevoir notre amour, et chacun doit Le servir selon ses moyens. Tel est le service de dévotion pur.

Penchons-nous également ici sur l'expression natihimsrena, signifiant "avec un minimum de violence ou de vies sacrifiées". Même si un bhakta doit recourir à la violence, il doit veiller à ne pas franchir la limite du nécessaire. On nous dit parfois: "Vous nous demandez de ne pas manger de viande, mais vous mangez bien des légumes; ne croyez-vous pas que ce soit là aussi de la violence?" La réponse est qu'on se rend également coupable de violence en mangeant des aliments végétaux et que les végétariens font aussi du mal à d'autres êtres, puisque même les plantes sont des êtres vivants. Les abhaktas abattent vaches, chèvres et nombre d'autres animaux pour se nourrir, et le bhakta, qui est végétarien, tue lui aussi. Mais notre verset affirme de façon très significative que tout être doit, pour survivre, tuer d'autres êtres. Ainsi le veut la loi de la nature, jivo jivasya jivanam: chaque être vit aux dépens d'un autre. Mais l'homme, lui, doit restreindre ses actes de violence au minimum.

En outre, l'homme ne doit rien manger qui n'ait d'abord été offert au Seigneur Suprême. Yajna-sistasinah santah: en se nourrissant d'aliments préalablement offerts à Yajna, à Dieu, la Personne Suprême, on s'affranchit de tout acte coupable et de ses suites. Le bhakta ne doit donc consommer que du prasada, de la nourriture offerte au Seigneur Suprême; en effet, Krsna affirme qu'Il honore les aliments appartenant au règne végétal lorsque Son dévot les Lui offre avec dévotion. Ainsi, le bhakta offrira-t-il à Krsna, différents mets à base de tels aliments. Si le Seigneur Suprême voulait Se nourrir de chair animale, le bhakta pourrait Lui en offrir; mais tel n'est pas Son commandement.

Nous sommes contraints de recourir à la violence; il s'agit là d'une loi naturelle. Cependant, nous ne devons pas nous y livrer avec excès, mais au contraire, respecter les mesures établies par le Seigneur. Arjuna dut tuer au combat, et bien que de toute évidence il s'agisse là d'un acte de violence, il ne fit périr l'ennemi que sur l'ordre de Krsna. De la même façon, si nous ne recourons à la violence que lorsque cela s'avère nécessaire, suivant l'ordre du Seigneur, nous appliquons ce qu'on appelle le natihimsa. Nous ne pouvons éviter la violence car nous sommes soumis à une existence conditionnée qui nous contraint à y recourir, mais nous ne devons pas y faire appel plus que nécessaire ou plus que ne nous l'ordonne le Seigneur Souverain.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare