SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3
CHAPITRE 28

Les enseignements de Kapila
sur le service
de dévotion.

VERSET 41

bhutendriyantah-karanat
pradhanaj jiva-samjnitat
atma tatha prthag drasta
bhagavan brahma-samjnitah

TRADUCTION

Le Seigneur Souverain, connu sous le nom de Param Brahman, est l'observateur réel, et Il Se distingue de l'âme individuelle, du jiva, qui est unie aux sens, aux cinq éléments et à la conscience.

TENEUR ET PORTEE

Une conception claire du Tout complet apparaît dans ce verset. L'être vivant se distingue des éléments matériels et l'Etre Suprême, la Personne Divine, qui est le créateur des éléments matériels, Se distingue Lui-même de l'âme individuelle. Cette philosophie selon quoi tout est à la fois identique et distinct fut exposée par Sri Caitanya sous le nom d'acintyu-bhedabheda-tattva. Ainsi la manifestation cosmique créée par le Seigneur Suprême à travers Son énergie matérielle est-elle en même temps différente et non différente de Lui. L'énergie matérielle ne fait qu'Un avec le Seigneur, mais en même temps, parce qu'elle agit de façon différente, elle est distincte de Lui. Pareillement, l'être individuel diffère du Seigneur tout en participant de la même nature que Lui. Cette philosophie de la différence et de la nondifférence simultanées de tout ce qui existe représente la conclusion parfaite de l'école bhagavata, ainsi que le confirme Kapiladeva dans ce verset.

On compare les êtres distincts aux étincelles du feu. Le verset précédent indiquait que le feu, la flamme, la fumée et le combustible forment un tout, et ici, ce sont l'être distinct, les éléments matériels et le Seigneur Suprême, Dieu, qui sont dits étroitement unis. Or, la position exacte des êtres distincts est celle des étincelles d'un feu; ce sont d'infimes parties du tout dont ils proviennent. Quant à l'énergie matérielle, on la compare à la fumée, et le feu lui-même fait partie intégrante du Seigneur Suprême. Le Visnu Purana déclare d'ailleurs que tout ce que nous voyons ou connaissons, que ce soit dans l'univers matériel ou dans le monde spirituel, appartient aux émanations de différentes énergies du Seigneur Suprême. De même que le feu distribue sa lumière et sa chaleur depuis un point unique, Dieu, la Personne Suprême, déploie Ses différentes énergies à travers toute Sa création.

Les quatre principes inhérents à la doctrine philosophique vaisnava s'énoncent comme suit: suddha-advaita (le monisme purifié); dvaita-advaita (l'unité et la différence simultanées); visista-advaita (l'unité qualifiée); et dvaita (la multiplicité spirituelle). Ces quatre principes se fondent sur la thèse du Srimad-Bhagavatam exposée dans ces deux versets.

VERSET 42

sarva-bhutesu catmanam
sarva-bhutani catmani
iksetananya-bhavena
bhutesv iva tad-atmatam

TRADUCTION

Le yogi doit voir en toute manifestation une âme unique, car tout ce qui existe procède des différentes énergies de l'Etre Suprême. Ainsi le bhakta doit-il voir tous les êtres d'un oeil égal, sans distinction aucune. Telle est la réalisation de l'Ame Suprême.

TENEUR ET PORTEE

Comme l'enseigne la Brahma-samhita, l'Ame Suprême n'entre pas seulement dans chaque univers, mais Elle pénètre même dans l'atome. L'Ame Suprême Se trouve partout présente à l'état latent, et celui qui peut percevoir Sa présence en tout devient affranchi des désignations matérielles.

Il faut comprendre comme suit les mots sarva-bhutesu. On compte quatre catégories d'êtres: ceux qui sortent de la terre, ceux qui naissent de la fermentation ou de la germination, ceux qui sont issus d'un oeuf et ceux qui naissent d'une matrice. Ces quatre divisions se multiplient ensuite pour former un total de huit millions quatre cent mille (8 400 000) espèces vivantes. Or, l'être affranchi de toute désignation matérielle peut percevoir partout ou en chaque être manifesté la même nature spirituelle. L'homme de peu d'intelligence croit que l'herbe et les plantes poussent naturellement de la terre, mais celui qui possède l'intelligence réelle et qui a réalisé sa nature propre sait bien que cette croissance n'est pas automatique; elle est causée par l'âme, qui revêt divers corps matériels selon diverses conditions. On fait naître en laboratoire de nombreux germes par la fermentation, mais ceci n'est rendu possible que par la présence de l'âme. L'homme de science matérialiste croit les oeufs privés de vie, mais il est loin de la vérité. Les Ecritures védiques nous permettent de comprendre que les êtres de formes diverses sont engendrés dans des conditions différentes. Ainsi les oiseaux se developpent-ils dans des oeufs, et les mammifères comme les hommes, au sein d'une matrice. Or, la vision parfaite du yogi, ou du bhakta, lui fait percevoir partout la présence de l'âme.

VERSET 43

sva-yonisu yatha jyotir
ekam nana pratiyate
yoninam guna-vaisamyat
tathatma prakrtau sthitah

TRADUCTION

Tout comme le feu se manifeste dans différentes sortes de bois, l'âme purement spirituelle, sous différentes conditions créées par les gunas, se manifeste dans divers corps.

TENEUR ET PORTEE

Il faut comprendre que les corps sont caractérisés par différentes désignations. La prakrti est le fruit de l'interaction des trois gunas, et selon le jeu de ces influences, certains êtres auront un petit corps alors que d'autres en auront un énorme. Pour prendre un exemple, le feu issu d'un gros morceau de bois semble important, et celui qui consume une simple baguette nous apparaît comme insignifiant. En réalité, le feu est partout le même, mais la nature matérielle se manifeste de telle façon que le feu semblera plus ou moins important selon le combustible qui le nourrit. De même, l'âme du corps universel, bien que participant de la même nature que celle qui habite un corps plus petit, n'en est pas moins différente.

Les infimes particules que sont les âmes distinctes sont comme des "étincelles" d'une âme plus grande, et cette âme, c'est l'Ame Suprême, qui Se distingue des âmes infinitésimales du point de vue quantitatif. Les Textes védiques La décrivent en effet comme étant Celle qui pourvoit à tous les besoins des âmes infinitésimales (nityo nityanam). Celui qui comprend cette distinction entre l'Ame Suprême et l'âme infinitésimale est au-delà de l'affliction et vit sereinement. Quant à l'âme infinitésimale qui se croit quantitativement égale à l'Ame Suprême, elle se trouve sous l'emprise de maya, car telle n'est pas sa nature originelle et éternelle. Nul ne peut devenir l'Ame Suprême par la spéculation intellectuelle.

La petitesse ou la grandeur des différentes âmes s'explique, selon le Varaha Purana, par les mots svamsa-vibhinnamsa. L'âme svamsa est le Seigneur Suprême, et les âmes vibhinnamsa, ou infinitésimales, sont éternellement des fragments de Sa Personne. C'est d'ailleurs ce que confirme la Bhagavad-gita (XV.7): mamaivamso jiva-loke jiva-bhutah sanatanah. Les êtres distincts demeurent à jamais des parties infimes du tout que représente l'Ame Suprême, si bien qu'il ne leur est jamais possible de devenir aussi grands que cette Ame Suprême.

VERSET 44

tasmad imam svam prakrtim
daivim sad-asad-atmikam
durvibhavyam parabhavya
svarupenavatisthate

TRADUCTION

Ainsi le yogi peut-il devenir une âme réalisée après avoir vaincu l'insurmontable sortilège de maya qui se présente à la fois comme la cause et l'effet de la manifestation matérielle et qui s'avère dès lors fort difficile à comprendre.

TENEUR ET PORTEE

La Bhagavad-gita confirme que l'influence de maya qui voile le savoir de l'âme est insurmontable. Cependant, celui qui s'abandonne à Krsna, au Seigneur Suprême, peut vaincre ce sortilège apparemment insurmontable. Le même point se trouve ici repris: la daivi prakrti, l'énergie externe du Seigneur, est durvibhavya, très difficile à comprendre et à surmonter. Il est toutefois impératif de rompre l'envoûtement implacable de maya, ce qui devient possible, lorsque par la grâce du Seigneur, Dieu Se révèle à l'âme soumise. D'ou l'assertion de ce verset: svarupenavatisthata. Le mot svarupa signifie que l'être sait qu'il n'est pas l'Ame Suprême, mais plutôt un fragment de Celle-ci; ce savoir constitue la réalisation spirituelle. Prétendre être l'Ame Suprême et de nature omniprésente ne relève pas du svarupa et ne correspond pas à la réalisation de la nature réelle de l'être. En effet, la position réelle de l'âme distincte est celle d'un élément par rapport au tout, et c'est à ce niveau, celui de la réalisation spirituelle véritable, que ce verset nous recommande de demeurer. La Bhagavad-gita définit quant à elle cette compréhension comme étant la réalisation du Brahman.

Après avoir réalisé le Brahman, on peut s'engager dans les activités du Brahman. Tant que l'on n'est pas réalisé, on continue de s'absorber en des actes fondés sur l'identification erronée de son être avec le corps. Ce n'est qu'une fois établi dans le moi réel que commencent les activités inhérentes à la réalisation du Brahman. Les philosophes mayavadis prétendent qu'après la réalisation du Brahman, toute activité cesse, mais c'est là une erreur. Comment l'âme, si active dans sa condition anormale, recouverte par la matière, peut-elle ne pas agir une fois libérée? Prenons l'exemple d'un homme malade: s'il se montre très actif tout au long de sa maladie, comment peut-on imaginer qu'une fois guéri il deviendra inactif? La conclusion naturelle est qu'une fois affranchi de tous ses maux, l'être retrouve ses activités pures. On peut dire que les activités inhérentes à la réalisation du Brahman diffèrent de celles qui caractérisent l'état conditionné, mais cela ne met pas pour autant un terme à l'activité. La Bhagavad-gita (XVIII.54) affirme au contraire que c'est après avoir réalisé son identité avec le Brahman que l'être distinct peut vraiment entamer la pratique du service de dévotion. Mad-bhaktim labhate param: c'est après avoir atteint le niveau de la réalisation du Brahman qu'il peut s'absorber dans le service de dévotion offert au Seigneur. Par suite, le service de dévotion représente l'activité de l'être ayant réalisé le Brahman.

Ceux qui pratiquent le service de dévotion ne risquent pas d'être ensorcelés par maya, en sorte que leur situation est en tout point parfaite. Le devoir de l'être distinct, en tant qu'élément du Tout complet, consiste à servir ce Tout avec dévotion. Telle est la perfection ultime de l'existence.

Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta sur le vingt-huitième chapitre du troisième Chant du Srimad-Bhagavatam, intitulé: "Les enseignements de Kapila sur le service de dévotion".


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare