SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3
CHAPITRE 21

Entretien de
Manu avec Kardama.

VERSET 31

krtva dayam ca jivesu
dattva cabhayam atmavan
mayy atmanam saha jagad
draksyasy atmani capi mam

TRADUCTION

Par la compassion dont tu feras preuve envers tous les êtres, tu parviendras à la réalisation spirituelle. Couvrant tous les êtres d'une protection totale, tu percevras en Moi ta propre personne ainsi que tous les univers, et tu Me verras en toi.

TENEUR ET PORTEE

La voie simple de la réalisation spirituelle propre à tous les êtres se trouve ici tracée. D'abord et avant tout, il faut comprendre que ce monde est issu de la volonté suprême. En fait, ce monde n'est pas différent du Seigneur Suprême, mais les impersonnalistes se méprennent sur cette identité; ils^prétendent que la Vérité Suprême et Absolue se transforme pour devenir l'univers et perd ainsi Son existence propre. Leur conclusion est donc que le monde et tout ce qu'il contient représente Dieu. C'est ce qu'on appelle le panthéisme, où l'on considère que tout est Dieu; et telle est bien la vision des impersonnalistes. Mais les bhaktas personnalistes voient toutes choses comme appartenant au Seigneur Suprême. Tout ce que nous voyons est une manifestation de Sa Personne, et donc destiné à être employé à Son service. Voila ce qu'il faut entendre par unité. La différence entre les impersonnalistes et les personnalistes réside en ce que les premiers n'acceptent pas que Dieu ait une existence séparée, quand les seconds reconnaissent Son individualité et comprennent que bien qu'Il Se multiplie de mille façons, Il conserve Son existence personnelle. La Bhagavad-gita (IX.4) explique ceci: "Cet univers est tout entier pénétré de Moi dans Ma Forme non manifestée; tout repose en Moi mais Je ne M'y trouve pas en personne." Un très bon exemple de ceci nous est fourni par le Soleil. A travers ses rayons, il se diffuse dans tout l'univers, et toutes les planètes reposent en lui. Mais toutes les planètes restent distinctes du globe solaire; nul ne peut affirmer que parce que l'existence des planètes reposent sur les rayons du Soleil, elles sont elles-mêmes devenues le Soleil. Pareillement, le point de vue impersonnel ou panthéiste selon lequel tout est Dieu n'est pas très intelligent. En vérité, tel que l'explique le Seigneur en personne, même si rien n'existe hors de Lui, on ne peut dire que tout est Lui. Il reste distinct de tout ce qui existe. Ainsi, lorsque le Seigneur déclare dans ce verset "Tu verras toute chose en ce monde comme non différente de Moi", cela signifie que tout doit être perçu comme un produit de l'énergie du Seigneur, et par suite, que tout doit être utilisé à Son service. L'énergie d'un être doit être utilisée pour servir son intérêt. Là réside, pour l'énergie, la perfection ultime. Or, cette énergie peut servir le véritable intérêt de l'être distinct si celui-ci est animé de compassion. Une personne consciente de Krsna, un dévot du Seigneur, fait toujours preuve de compassion. Il ne se contente pas d'être lui-même un bhakta, mais cherche plutôt à communiquer à tous la connaissance du service de dévotion. Il est ainsi de nombreux dévots du Seigneur qui affrontent de grands risques pour répandre le service de dévotion parmi les hommes. Et c'est là ce qu'il convient de faire.

Nous apprenons également qu'une personne se rendant au temple pour y adorer le Seigneur avec grande dévotion, mais ne sachant pas montrer sa bienveillance aux hommes dans leur masse ni faire preuve de respect envers d'autres bhaktas, doit être tenu pour un bhakta de troisième ordre. Le bhakta de second niveau, quant à lui, fait preuve de miséricorde et de compassion envers les âmes déchues. Toujours conscient d'être le serviteur éternel du Seigneur, il se lie d'amitié avec les autres bhaktas, agit avec compassion envers la masse des hommes en leur enseignant le service de dévotion, et refuse de fréquenter les abhaktas ou de servir leurs desseins. Donc, tant qu'on ne fait pas preuve de compassion dans son service de dévotion, on reste un bhakta de troisième ordre. Le bhakta de premier ordre donne à tous les êtres l'assurance qu'il n'y a aucune crainte à avoir face à l'existence matérielle: "Vivons dans la Conscience de Krsna et triomphons de l'ignorance qui marque l' existence matérielle."

Ici, le Seigneur recommande à Kardama Muni de faire preuve d'une grande compassion et d'une profonde magnanimité au cours de sa vie de famille, et de donner confiance aux gens après avoir embrassé l'ordre du renoncement. Le sannyasi, le renonçant, doit en effet éclairer les hommes en voyageant et en se rendant d'une demeure à une autre. Parce qu'il subit l'influence de maya, l'homme marié, lui, s'absorbe en ses préoccupations familiales, au point d'en oublier sa relation avec Krsna. Et s'il meurt ainsi dans l'oubli, comme les chats et les chiens, c'est toute sa vie qui aura été vaine. Il est donc du devoir d'un sannyasi de raviver la mémoire des âmes conditionnées en les éclairant sur la relation éternelle qui les unit au Seigneur, et en les initiant au service de dévotion. Le bhakta doit se montrer miséricordieux envers les âmes déchues et leur donner l'assurance qu'elles n'ont rien à craindre. Dès qu'on devient un dévot du Seigneur, on est persuadé d'être protégé par le Seigneur. La peur elle-même craint le Seigneur; pourquoi donc le bhakta lui obéirait-il?

Le plus grand acte de charité consiste à affranchir les hommes de toute crainte. Le sannyasi doit aller de porte en porte, de village en village, de ville en ville et de pays en pays, à travers le monde entier, aussi loin qu'il peut aller, pour éclairer les hommes mariés sur la Conscience de Krsna. Il incombe à un chef de famille initié par un sannyasi de prêcher la Conscience de Krsna dans son foyer. Autant que possible, il doit inviter amis et voisins et leur présenter la Conscience de Krsna, ce qui consiste à chanter le Saint Nom de Krsna et à parler de la Bhagavad-gita ou du Srimad-Bhagavatam. Il existe un nombre considérable d'Ecrits visant à propager la Conscience de Krsna, et il est du devoir de chaque homme marié d'apprendre ce qui a trait à Krsna auprès de son maître spirituel sannyasi. Les tâches sont réparties dans le service du Seigneur: l'homme marié a la responsabilité de gagner de l'argent, car le sannyasi n'est pas censé avoir de revenus mais doit plutôt dépendre complètement du grhastha. Ce dernier doit donc gagner de l'argent par le commerce ou toute autre profession, et ensuite destiner au moins la moitié de ses revenus à la propagation de la Conscience de Krsna; un quart de son argent peut être dépensé pour sa famille, et le dernier quart doit être gardé pour faire face à toute situation d'urgence. C'est ainsi que procédait Rupa Gosvami; aussi tous les bhaktas devraient-ils suivre son exemple.

A vrai dire, ne faire qu'Un avec le Seigneur Suprême signifie avoir le même intérêt que Lui. Il ne s'agit nullement de devenir aussi grand que Lui, c'est là chose impossible; jamais la partie n'égale le tout, et l'être distinct demeure toujours un fragment infime du Seigneur Suprême. Par conséquent, son unité avec le Seigneur vient de ce qu'il partage l'intérêt du Seigneur. Ce dernier désire que tous les êtres pensent à Lui de façon constante, deviennent Ses dévots et L'adorent en toutes circonstances. Voilà ce qui ressort clairement de la Bhagavad-gita, man-mana bhava mad-bhaktah: Krsna désire vois tous les êtres penser à Lui. Tous doivent offrir leur hommage à Krsna. Telle est la volonté du Seigneur Souverain, et il est du devoir du bhakta de s'efforcer de combler Son désir. Or, comme le Seigneur est illimité, Son désir l'est également. Il n'y a donc pas d'interruption ni de limite dans le service du bhakta. Le monde spirituel voit en fait se dérouler une compétition sans fin entre le Seigneur et Son serviteur. Le Seigneur souhaite satisfaire Ses désirs à l'infini, et le bhakta s'efforce de Le servir pour combler Ses désirs illimités. C'est dans ce sens qu'il existe une unité d'intérêt se déployant à l'infini entre le Seigneur et Son dévot.

VERSET 32

sahaham svamsa-kalaya
tvad-viryena maha-mune
tava ksetre devahutyam
pranesye tattva-samhitam

TRADUCTION

O illustre sage, outre tes neuf filles, Je Me manifesterai également par une de Mes émanations plénières qui naîtra de ton épouse, Devahuti; J'instruirai celle-ci sur le système philosophique qui traite des principes ou catégories ultimes.

TENEUR ET PORTEE

Les mots svamsa-kalaya, dans ce verset, indiquent que le Seigneur allait apparaître comme le fils de Devahuti et de Kardama Muni en la personne de Kapiladeva; il présenterait la philosophie du sankhya, ici désignée par les mots tattva-samhita. Le Seigneur prédit donc à Kardama Muni qu'Il apparaîtrait en tant que l'avatara Kapiladeva pour répandre la philosophie du sankhya. Cette philosophie est bien connue dans le monde comme étant issue d'un autre Kapiladeva, mais il ne s'agit pas du même sankhya enseigné par le Seigneur en personne. C'est qu'il existe deux philosophies du sankhya: l'une athée, et l'autre théiste. Or, cette dernière fut propagée par Kapiladeva, le fils de Devahuti.

Il existe différentes manifestations du Seigneur. Il est Un, mais Se fait multiple. Il Se divise en deux types d'émanations, les unes dites kalas et les autres vibhinnamsas. Les êtres ordinaires appartiennent aux émanations vibhinnamsas; quant aux manifestations illimitées du visnu-tattva, comme Vamana, Govinda, Narayana, Pradyumna, Vasudeva et Ananta, elles sont dites svamsa-kala. Le mot svamsa indique une émanation directe et kala une émanation provenant de l'émanation du Seigneur originel. Ainsi, Baladeva procède de Krsna, et de Baladeva vient ensuite Sankarsana; c'est ainsi que Sankarsana est kala, et Baladeva svamsa. Toutefois, aucune différence ne les distingue. La Brahma-samhita (5.46) explique ceci merveilleusement: diparcir eva hi dasantaram abhyupetya. Avec une bougie, on peut en allumer une seconde, et à partir de cette seconde une troisième, puis une quatrième, et jusqu'à des milliers si on le désire, sans qu'aucune d'entre elles n'éclaire moins qu'une autre. Toutes les bougies possèdent un même pouvoir éclairant, mais il n'en reste pas moins qu'il y eut une première bougie, puis une seconde, puis une troisième, une quatrième, et ainsi de suite. Pareillement, il n'existe aucune différence potentielle entre la première et la seconde émanation du Seigneur, et il en va exactement de même pour les Noms du Seigneur. Puisqu'Il est absolu, Son Nom, Sa Forme, Ses Divertissements, Son Entourage et Sa Nature possèdent tous la même puissance. Dans le royaume absolu, le Nom "Krsna" est la représentation sonore spirituelle du Seigneur. Et puisqu'il n'existe aucune différence potentielle entre Sa Nature, Son Nom, Sa Forme et les autres manifestations de Sa Personne, si nous chantons le Nom du Seigneur, Hare Krsna, ce Nom a la même puissance que le Seigneur Lui-même. Il n'existe non plus aucune différence entre la Forme du Seigneur installée dans les temples et Sa Forme originelle. Même si d'autres peuvent le croire, nous ne devons pas penser que nous adorons une effigie ou une statue du Seigneur. Parce qu'il n'existe aucune différence potentielle entre les deux, on obtient le même résultat en adorant la murti qu'en adorant le Seigneur en personne. Telle est la science de la Conscience de Krsna.

VERSET 33

maitreya uvaca
evam tam anubhasyatha
bhagavan pratyag-aksajah
jagama bindusarasah
sarasvatya parisritat

TRADUCTION

Maitreya dit:
Après avoir ainsi parlé à Kardama Muni, le Seigneur, qui ne Se révèle qu'à ceux dont les sens sont absorbés dans la Conscience de Krsna, quitta le lac Bindu-sarovara, qu'encerclait la rivière Sarasvati.

TENEUR ET PORTEE

Il est un mot qui revêt un grand intérêt dans ce verset. Il y est dit en effet que le Seigneur est pratyag-aksaja: Il n'est pas perceptible par les sens matériels, mais Il peut néanmoins être vu. Il peut sembler y avoir là contradiction: comment pouvons-nous voir le Seigneur puisque nos sens sont matériels? Ce dernier est également qualifié d'adhoksaja, pour indiquer, encore une fois, qu'il ne peut être perçu par les sens matériels. Le mot aksaja indique en effet le savoir perçu au moyen des sens matériels. Et parce que le Seigneur ne peut être saisi par la spéculation menée à travers nos sens matériels, on Le nomme également ajita: Il vainc, mais nul ne Le peut vaincre. Comment donc expliquer qu'on puisse Le voir? Il est dit que nul ne peut entendre le Nom spirituel de Krsna, que nul non plus ne peut percevoir Sa Forme spirituelle et absolue, et que nul ne peut saisir Ses Divertissements transcendants. Puisqu'il s'agit d'une impossibilité, comment peut-Il être vu et connu? Lorsque nous apprenons à Le servir, car c'est alors que nos sens se purifient peu à peu de toute souillure matérielle. Et lorsque nos sens deviennent ainsi purifiés, nous pouvons voir, comprendre et entendre ce qui a trait au Seigneur. L'idée d'une purification des sens matériels et celle d'une perception de la Forme, du Nom et de la Nature spirituelle et absolue de Krsna, se trouvent réunies dans le mot pratyag-aksaja, utilisé dans notre verset.

VERSET 34

niriksatas tasya yayav asesa-
siddhesvarabhistuta-siddha-margah
akarnayan patra-rathendra-paksair
uccaritam stomam udirna-sama

TRADUCTION

Sous les yeux de Kardama, le Seigneur reprit le chemin de Vaikuntha, cette voie qu'exaltent toutes les grandes âmes libérées. Le sage L'observait, prêtant une oreille attentive aux hymnes qui forment la base du Sama-veda, modulés par le battement des ailes de Garuda, l'oiseau-porteur du Seigneur.

TENEUR ET PORTEE

Les Ecritures védiques nous apprennent que les deux ailes de Garuda, l'oiseau du monde spirituel qui porte le Seigneur partout où Il va, représentent deux divisions du Sama-veda, connues sous le nom de brhat et de rathantara. Garuda sert de monture au Seigneur; aussi est-il considéré comme le divin prince de toutes les montures. De ses deux ailes il se mit à moduler le Sama-veda, que chantent les grands sages pour plaire au Seigneur. Brahma, Siva, Garuda et d'autres devas vénèrent tous le Seigneur par des poèmes choisi, et les nobles sages L'adorent à travers les hymnes des Vedas, comme les Upanisads et le Sama-veda. Or, les bhaktas perçoivent tout naturellement les hymnes de ce Sama-veda dans le battement des ailes de Garuda, cet illustre dévot du Seigneur.

Notre verset mentionne clairement que le sage Kardama se mit à observer la voie par laquelle le Seigneur Se rendait à Vaikuntha. Ceci confirme qu'Il descend de Son royaume, Vaikuntha, depuis le monde spirituel, emporté par Garuda. La voie qui mène à Vaikuntha ne fait pas l'objet de la vénération des spiritualistes ordinaires. Seules les âmes déjà libérées de l'esclavage matériel peuvent devenir des dévots du Seigneur. Celles qui ne sont pas encore libérées ne peuvent saisir la nature spirituelle et absolue du service de dévotion. La Bhagavad-gita exprime cette idée par les mots yatatam api siddhanam. Nombreux sont ceux qui s'efforcent d'atteindre la perfection en cherchant à s'affranchir des chaînes de la matière, et ceux qui, parmi eux, atteignent effectivement la libération, sont désignés par les mots brahma-bhuta ou siddha. Or, seuls ces siddhas, ces êtres libérés de l'emprise de la matière, peuvent devenir des bhaktas. La Bhagavad-gita le confirme par ailleurs en disant que quiconque s'absorbe dans la Conscience de Krsna, ou dans le service dévotion, se trouve déjà libéré de l'influence des gunas. Notre verset reprend l'idée en affirmant que la voie du service de dévotion est vénérée par les âmes libérées, non par les âmes conditionnées. L'âme conditionnée ne peut saisir la nature du service offert au Seigneur. Kardama Muni était une âme libérée, ayant vu le Seigneur Suprême en personne. Sa libération ne faisait donc aucun doute, et c'est ainsi qu'il put voir Garuda emporter le Seigneur sur la voie qui mène à Vaikuntha, de même qu'entendre le son du mantra Hare Krsna, l'essence des hymnes du Sama-veda, produit par le battement de ses ailes.

VERSET 35

atha samprasthite sukle
kardamo bhagavan rsih
aste sma bindusarasi
tam kalam pratipalayan

TRADUCTION

Puis, après le départ du Seigneur, le vénérable sage Kardama resta sur les rives du Bindu-sarovara, dans l'attente du moment annoncé par Lui.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare