SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3
CHAPITRE 1

Les questions de Vidura.

VERSET 11

ajata-satroh pratiyaccha dayam
titiksato durvisaham tavagah
sahanujo yatra vrkodarahih
svasan rusa yat tvam alam bibhesi

TRADUCTION

[Vidura dit:]
"Tu dois maintenant rendre à Yudhisthira la part qui lui revient de droit, lui qui n'a pas d'ennemi et qui a su se montrer tolérant face aux souffrances indescriptibles suscitées par tes offenses. Il vit aujourd'hui dans l'attente avec ses jeunes frères, parmi lesquels le vindicatif Bhima dont la lourde respiration rappelle le sifflement d'un serpent; et certes tu le crains.

VERSET 12

parthams tu devo bhagavan mukundo
grhitavan saksiti-deva-devah
aste sva-puryam yadu-deva-devo
vinirjitasesa-nrdeva-devah

TRADUCTION

"Sri Krsna, la Personne Suprême, a accepté les fils de Prtha comme Ses proches, et tous les rois du monde sont avec Lui. Il vit en Sa demeure avec tous les membres de Sa dynastie, les rois et les princes Yadus, lesquels ont vaincu d'innombrables monarques. De tous, Il est le Seigneur.

TENEUR ET PORTEE

Vidura prodigua à Dhrtarastra de très bons conseils en faveur d'une alliance politique avec les fils de Prtha, les Pandavas. Le premier point sur lequel il insista était leur union étroite avec Sri Krsna en tant que Ses cousins. En outre, parce qu'Il est Dieu, la Personne Suprême, Sri Krsna est digne de l'adoration de tous les brahmanas et devas qui veillent au bon fonctionnement de l'univers. Et enfin, Krsna et les membres de Sa famille, les représentants de l'ordre royal de la dynastie Yadu, avaient déjà vaincu tous les monarques du monde.

Les ksatriyas avaient coutume de combattre les rois de divers fiefs et d'enlever leurs filles, de belles princesses, après avoir vaincu leurs proches. A vrai dire, cette pratique était louable car les princesses n'étaient ainsi unies à un ksatriya qu'en réponse à sa vaillance. Tous les jeunes princes de la dynastie Yadu épousèrent les filles d'autres rois suivant cette coutume, c'est-à-dire grâce à leur vaillance, et ils triomphèrent ainsi de tous les souverains du monde. Vidura désirait faire clairement comprendre à son frère aîné qu'affronter les Pandavas au combat revenait à appeler sur lui de nombreux périls, puisqu'ils étaient soutenus par Sri Krsna, lequel avait renversé, dès Son enfance, des asuras comme Kamsa et Jarasandha, ainsi que des devas tels Brahma et Indra; toute la puissance universelle se trouvait donc avec les Pandavas.

VERSET 13

sa esa dosah purusa-dvid aste
grhan pravisto yam apatya-matya
pusnasi krsnad vimukho gata-sris
tyajasv asaivam kula-kausalaya

TRADUCTION

"Tu veilles aux besoins de la personnification même de l'offense, Duryodhana, en qui tu vois un fils infaillible. Mais il envie Krsna, et parce que tu soutiens cet abhakta, te voilà dénué de toute qualité. Débarrasse-toi de cette mauvaise fortune dès que possible et soulage ainsi la famille tout entière."

TENEUR ET PORTEE

On qualifie d'apatya un digne fils, pour dire qu'il ne permet pas la chute de son père. En effet, le fils peut protéger l'âme de son père après la mort de celui-ci en offrant des sacrifices pour la satisfaction du Seigneur Suprême, Visnu. Cette pratique prévaut encore en Inde: après le décès du père, le fils se rend à Gaya pour y offrir des sacrifices aux pieds pareils-au-lotus de Visnu et ainsi libérer l'âme du disparu, au cas où il aurait connu quelque déchéance. Mais si le fils est un ennemi de Visnu, comment peut-il offrir des sacrifices aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur, animé de sentiments hostiles à Son égard ? Sri Krsna est Lui-même la Personne Suprême, Visnu, et Duryodhana fait preuve d'inimitié à son égard. Il s'avère donc incapable de protéger son père, Dhrtarastra, après sa mort. En fait, lui-même devra périr à cause de son infidélité à Visnu. Il n'est donc pas question qu'il puisse protéger son père. Voilà pourquoi Vidura conseille ici à Dhrtarastra de rejeter Duryodhana, ce fils indigne, dès que possible, s'il est le moindrement soucieux du bien de sa famille.

Citons ici un des codes d'éthique de Canakya Pandita: "Que vaut un fils qui n'est ni un sage érudit ni un dévot du Seigneur?" Car, s'il n'est pas dévoué au Seigneur Suprême, un fils ne vaut guère mieux que des yeux aveugles; il n'est qu'un fardeau. Il arrive même parfois qu'un médecin recommande l'ablation de ces yeux inutiles afin de soulager un patient des souffrances continuelles que ceux-ci lui occasionnent. Or, Duryodhana était en tout point comparable à des yeux aveugles, source de douleur; comme l'avait prédit Vidura, il ne créerait que de graves ennuis à la famille de Dhrtarastra. C'est donc à juste titre que Vidura recommande à son frère aîné d'éliminer cette cause de problème. Dhrtarastra avait le tort de subvenir aux besoins de cette personnification même de l'offense, s'imaginant que Duryodhana était un digne fils, apte à libérer son père.

VERSET 14

ity ucivams tatra suyodhanena
pravrddha-kopa-sphuritadharena
asat-krtah sat-sprhaniya-silah
ksatta sakarnanuja-saubalena

TRADUCTION

Alors qu'il parle en ces termes, Vidura, dont le noble caractère est estimé par des hommes respectables, se voit insulté par un Duryodhana enflé de colère, aux lèvres frémissantes. Auprès de Duryodhana se tiennent Karna, ses frères cadets et Sakuni, son oncle maternel.

TENEUR ET PORTEE

Il est dit qu'un bon conseil prodigué à un insensé éveillera sa colère, tout comme le lait donné à un serpent ne fait qu'accroître son venin. Le saint Vidura était à ce point honorable que tous les hommes respectables admiraient son noble caractère. Mais la sottise de Duryodhana était telle qu'il osa insulter Vidura; tout cela, à cause de la mauvaise compagnie de Sakuni, son oncle maternel, ainsi que de son ami Karna, qui toujours l'avait encouragé dans ses viles entreprises.

VERSET 15

ka enam atropajuhava jihmam
dasyah sutam yad-balinaiva pustah
tasmin pratipah parakrtya aste
nirvasyatam asu purac chvasanah

TRADUCTION

"Qui a demandé à ce bâtard, à ce fils de concubine, de venir en ces lieux? Il est si pernicieux qu'il espionne pour le compte de l'ennemi ceux-là mêmes qui l'ont élevé. Chassez-le du palais sans plus tarder, et ne lui laissez que son souffle!"

TENEUR ET PORTEE

Lorsqu'ils se mariaient, les rois ksatriyas recevaient, en même temps que la main d'une princesse, un entourage de très nombreuses jeunes filles. Celles-ci, qu'on appelait dasis, devenaient les suivantes du roi, en quelque sorte ses maîtresses, et les fils qui leur naissaient étaient qualifiés de dasi-putras. Ces fils de dasis n'avaient pas accès à la couronne, mais ils bénéficiaient de toutes les facilités matérielles, au même titre que les jeunes princes du palais. Vidura était le fils d'une dasi, si bien qu'il n'appartenait pas à l'ordre ksatriya. Néanmoins, le roi Dhrtarastra portait une grande affection à son jeune frère, tout dasi-putra qu'il fût, et Vidura, pour sa part, répondait aux bons sentiments de Dhrtarastra en lui vouant une amitié profonde et en se faisant son conseiller philosophique. Duryodhana n'était pas sans savoir que Vidura possédait les qualités d'une âme magnanime souhaitant le bien de tous, et pourtant il eut le malheur d'accabler son oncle innocent de paroles blessantes. Non satisfait de s'en prendre à ses origines, il le qualifia en outre de traître, puisqu'il semblait soutenir la cause de Yudhisthira, que Duryodhana tenait pour son ennemi. Il exprima donc le désir de voir Vidura jeté sans délai hors du palais et privé de tous ses biens. Si cela avait été possible, il aurait encore préféré le voir battu jusqu'à ce qu'il ne lui reste que son souffle... Duryodhana accusa Vidura d'espionnage pour le compte des Pandavas parce qu'il avait conseillé le roi Dhrtarastra en leur faveur. La vie de palais et les complexités de la diplomatie sont telles que même un être aussi irréprochable que Vidura peut s'y voir accusé d'abominations, et même châtié. Vidura fut frappé d'étonnement devant un comportement aussi inattendu de la part de son neveu, Duryodhana, et avant que ne survienne quelque malheur, il décida de quitter le palais pour de bon.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare