LE LIVRE DE KRSNA
CHAPITRE 49

Krsna érige
le fort de Dvaraka.

Kamsa mort laissait deux veuves. Jamais, dans le cadre de la civilisation védique, une femme n'est indépendante. On distingue, tans son existence, trois étapes: l'enfance, où elle vit sous la protecion de son père, la jeunesse et l'âge mûr, où elle vit protégée par son époux, et le veuvage éventuel, où elle cherchera sécurité soit auprès de ses enfants maintenant grandis, soit chez son père, auprès de qui elle sera retournée après la mort de l'époux. Kamsa, semble-t-il, n'avait pas de fils parvenu à maturité. Une fois veuves, ses épouses revinrent trouver abri chez leur père. Les deux reines, Asti et Prapti, étaient toutes deux filles du roi Jarasandha, le maître de la province du Bihar, connu alors sous le nom de Magadharaja. Elles lui firent un tableau de la sombre condition où les laissait la mort de Kamsa. Le roi de Magadha, Jarasandha, fut révolté en entendant leur pitoyable récit, et décida sur-le-champ qu'il débarrasserait le monde de tous les membres de la dynastie Yadu: Krsna avait tué Kamsa, toute la dynastie devrait être détruite.

Il prit alors les dispositions les plus larges pour attaquer Mathura: ses nombreuses légions —des milliers et des milliers de chars, de chevaux, d'éléphants et de soldats d'infanterie— furent mobilisées. Il mit sur pied de guerre treize d'entre ces légions pour venger la mort de Kamsa, et avec elles cerna la capitale des rois Yadus, Mathura. Sri Krsna, apparu tel un homme ordinaire, vit la puissance formidable de Jarasandha —un océan d'armes et de guerriers, un océan sur le point d'inonder toute une plage—, vit la terreur des habitants de Mathura, et Se mit à songer à Sa mission d'avatara: comment aborder la situation nouvelle? Il avait pour mission de réduire le fardeau des peuples, et l'occasion était belle d'affronter à la fois tant d'hommes, de chars, d'éléphants et de chevaux. La puissance militaire de Jarasandha se déployait tout entière devant Lui: et bien, Il l'anéantirait d'un coup, sans laisser le temps aux forces de battre en retraite et de se réorganiser.

Comme Sri Krsna restait absorbé dans ces pensées, deux chars de guerre, parfaitement équipés avec leur conducteur, leurs armes, leurs étendards et d'autres matériels de combat, parurent dans le ciel et descendirent devant Lui. Dès qu'Il les vit, Krsna S'adress à son Frère, Balarama, qu'on nomme également Sankarsana: «Frère aîné, Tu es le meilleur des aryas, le Seigneur de l'Univers, et tout particulièrement le Protecteur de la dynastie Yadu, dont les membres s'effraient devant l'armée des guerriers de Jarasandha; grande est leur détresse. Couvre-les de Ta protection; Ton char est là, bien armé. Prends-y place et cours sus à tous ces guerriers, va détruire la puissance ennemie. Car, Nous sommes tous deux descendus sur cette Terre dans le seul but d'anéantir ces vains déploiements de forces belliqueuses et de protéger les vertueux bhaktas. L'occasion se présente d'accomplir Notre mission. Qu'elle s'accomplisse donc»! Ainsi, Krsna et Balarama, Descendants du roi de Gadaha, Dasarha, décidèrent de détruire les treize légions de Jarasandha.

Krsna monta sur le char conduit par Daruka; suivi d'une petite armée, et au son des conques, Il sortit de la ville. Fait remarquable, bien que l'ennemi fût bien supérieur en nombre et en armement, lorsque la vibration de la conque de Krsna toucha l'oreille de ces guerriers, ils sentirent leur coeur frémir. Jarasandha, apercevant Balarama et Krsna, ne fut pas sans éprouver quelque compassion, car tous deux Se trouvaient liés à lui en tant que petits-fils. S'adressent à Krsna, il Lui donna le nom de Purusadhama: le plus vil des hommes. Tous les Ecrits védiques décrivent Krsna comme Purusottama, le plus haut d'entre les hommes. Jarasandha, certes n'avait nullement l'intention d'appeller Krsna Purusottama, mais de grands érudits ont éclairé le véritable sens du mot Purusadhama: «Celui dont la présence rabaisse tout autre». En vérité, nul ne peut égaler ou surpasser Dieu, la Personne Suprême.

Jarasandha poursuivit: «Un grand déshonneur me viendrait de combattre avec des garçons comme Krsna et Balarama». Krsna avait mis à mort Kamsa, et Jarasandha Lui donna le nom de «meurtrier de ses proches». Bien entendu, Jarasandha ne fit aucune allusion au meurtre par Kamsa de tant de ses propres neveux; mais il critiquait la mise à mort par Krsna de Son oncle maternel, ce même Kamsa. Telles sont les voies démoniaques. Les asuras ne cherchent pas à voir leurs propres défauts mais s'efforcent de mettre en évidence ceux de leur prochain. Jarasandha reprochait également à Krsna de n'être pas un ksatriya. Maharaja Nanda, Son père adoptif, était en effet un vaisya. Et les vaisyas sont généralement appelés gupta, mot dont on peut faire usage pour signifier «caché». Krsna avait donc été à la fois caché et élevé par Nanda Maharaja. L'accusation de Jarasandha contre Krsna était donc triple: Il avait tué Son propre oncle maternel, Il fut caché lors de Son enfance, et Il n'était pas même un ksatriya. Voilà pourquoi Jarasandha se sentait honteux de devoir Le combattre.

Il se tourna ensuite vers Balarama: «Toi, Balarama! Si tu veux, tu peux te battre à ses côtés, et si tu en as la patience, tu pourras attendre que mes flèches te donnent enfin la mort. Ainsi tu seras promu aux planètes édéniques». La Bhagavad-gita enseigne qu'un ksatriya combattant peut être béni de deux manières: s'il obtient la victoire, par les fruits qu'il en retire, et s'il périt, par l'accession au royaume édénique.

Après avoir entendu ces paroles, Krsna répondit: «O roi, les vrais héros ne parlent guère. Ils montrent leurs prouesses. Mais tu parles beaucoup, et cela annonce ta mort certaine dans cette bataille. Nous ne voulons plus t'entendre, car il est vain d'écouter quelqu'un qui va mourir ou qui se trouve en grande détresse». Pour se battre contre Krsna, Jarasandha L'avait fait encercler par ses puissantes troupes; les nuages de poussière ainsi soulevés semlaient couvrir le soleil. De même, les forces armées conduites par Jarasandha couvraient Krsna, le Soleil suprême. Les chars de Krsna et de Balarama portaient l'insigne de Garuda et des dessins de palmiers. Les femmes de Mathura, sur la terrasse des demeures et des palais, ainsi qu'aux portails, s'étaient assemblées pour voir le merveilleux combat; mais lorsque le char de Krsna apparut cerné par les forces de Jarasandha, elles furent saisies d'une telle frayeur que certaines s'évanouirent. Krsna, assiégé de toutes parts, Ses quelques soldats harcelés et débordés, prit Son arc, l'arc Sarnga.

Il ôta Ses flèches de Son carquois, et l'une après l'autre, les ajusta sur l'arc puis tira. Si grande était la précision de Ses traits que bientôt les éléphants, les chevaux et l'infanterie de Jarasandha furent livrés à la mort. Le flot incessant des flèches de Krsna rappelait un tourbillon de feu ardent, et détruisait toutes les armées. Les éléphants s'écroulaient, la tête tranchée par les flèches du Seigneur. Des chevaux s'abattaient, renversant chars et drapeaux. L'infanterie, dans sa plus grande part, gisait à terre, têtes, mains et jambes tranchées. Ainsi, plusieurs milliers d'éléphants et de chevaux trouvèrent la mort, et leur sang forma une rivière où les bras tranchés semblaient des serpents, les têtes des tortues, les chevaux des requins, et les éléphants morts des îles en dérive. Ainsi, par la volonté suprême s'était créé un grand fleuve de sang, peuplé des habitants ordinaires d'un fleuve. Les mains et les jambes flottaient tel des algues, et leurs arcs entraînés par le flot semblaient des vagues ondulantes. Et les pierres précieuses qui ornaient généraux et soldats semblaient autant de cailloux roulés par le fleuve de sang.

Sri Balarama, aussi nommé Sankarsana, faisait agir Sa masse avec tant d'héroïsme que le fleuve de sang créé par Krsna déborda ses rives. Les lâches furent saisis d'une immense frayeur devant l'horreur de cette scène macabre; les héros, eux, commencèrent à louer avec délice l'héroïsme des deux Frères. Les armées de Jarasandha étaient comme un vaste océan, mais la vaillance de Sri Krsna et de Sri Balarama les réduisirent à une flaque insignifiante, scène horrible; était-ce là un combat ordinaire? Les capacités mentales communes restent impuissantes devant ces faits. Mais si l'on accepte d'y voir les Divertissements de Dieu, la Personne Suprême, à qui rien n'est impossible, on pourra saisir leur vérité. Le Seigneur Suprême crée, maintient et annihile la manifestation cosmique de Sa seule volonté. Rien de merveilleux, au regard de Sa puissance, qu'Il crée une telle dévastation dans un combat contre l'ennemi. Cependant, parce que Krsna et Balarama combattaient Jarasandha comme s'Ils étaient des hommes ordinaires, Leur geste parut merveilleux.

Bientôt, tous les soldats de Jarasandha furent morts. Lui seul demeurait en vie, mais certes fort déprimé. Sri Balarama mit la main sur lui avec grande force, comme un lion capture un lion. Mais comme il liait Son prisonnier avec la corde de Varuna, et d'autres, plus ordinaires, Sri Krsna, poursuivant des desseins plus glorieux encore, Lui demanda de relâcher Sa proie. Jarasandha était libre. Grand héros au combat, il se sentait très honteux, et décida que plus jamais il ne vivrait comme roi, qu'il se rendrait dans la forêt pour y pratiquer la méditation avec des austérités sévères.

Mais comme il rentrait chez lui, des compagnons lui conseillèrent plutôt de récupérer ses forces pour un nouveau combat, dans un avenir proche. Ils entreprirent de lui montrer le caractère anormal de sa défaite en face des forces Yadus, l'attribuèrent simplement à sa mauvaise fortune. Ainsi, l'ordre princier encouragea le roi Jarasandha: sa lutte avait été fort héroïque, et il ne convenait pas de prendre trop au sérieux la première défaite, due sans doute à quelque faute antérieure. Tout bien pesé, il avait combattu sans reproche.

Ainsi Jarasandha, roi de la province de Magadha, toutes ses forces perdues, son honneur bafoué par une libération infâmante, ne put que retourner à son royaume. Ainsi Krsna parvint-Il à vaincre l'armée de Jarasandha, bien plus imposante que la Sienne; Il n'avait pas perdu un seul guerrier, un seul char, un seul cheval, un seul éléphant, quand tous les hommes de Jarasandha avaient péri.

Les habitants des planètes édéniques, pleins d'une intense satisfaction, offrirent leurs respects au Seigneur en chantant Ses gloires et en versant sur Lui des pluies de fleurs. Ils reconnurent Sa victoire avec grande appréciation. Jarasandha regagna son royaume; Mathura était délivré de toute attaque imminente. Les habitants de Mathura engagèrent une troupe de bardes professionnels, comme les sutas et les magadhas, sollicitèrent les meilleurs poètes; tous entonnèrent des chants pour glorifier la victoire de Sri Krsna. Lorsque le Seigneur rentra dans la ville, bugles, conques et timbales sonnèrent, et mille instruments —bherya, turya, vina, flûte et mrdanga- firent vibrer leurs sons harmonieux, offrant au Seigneur un merveilleux accueil. Quand Krsna franchit l'enceinte, la ville tout entière avait été nettoyée de fond en comble, toutes les rues et avenues aspergées d'eau, et les habitants, pleins de joie, avaient paré leur demeure, leur rue ou leur boutique d'étendards et de festons. Un peu partout, les brahmanas assemblés chantaient les mantras védiques. On avait décoré les carrefours, les entrées, les rues et les allées. Pour embellir la fête, et rendre plus propices encore les cérémonies, dames et demoiselles de la ville avaient préparé maintes guirlandes de fleurs. Comme le veut la coutume védique, elles jetèrent ici et là du yaourt mêlé à de jeunes pousses d'herbe pour accroître le bon augure de ces heureux moments de victoire. Krsna parcourait les rues. et dans chacune recevait de toutes les femmes des regards empreints d'affection. Krsna et Balarama avaient rapporté du champ de bataille plusieurs trophées, parures et joyaux, dont Ils firent présent au roi Ugrasena. Krsna offrait ainsi Son respect à Son grand-père, roi régnant de la dynastie Yadu.

Jarasandha, le roi de Magadha, ne se contenta pas d'un premier siège: il attaqua la ville dix-sept fois, selon la même stratégie, avec le même nombre de légions. Chaque fois, il fut mis en échec, et tous ses soldats tués par Krsna; chaque fois, il dut repartir désappointé comme lors de sa première défaite. Chaque fois, les princes Yadus le firent prisonnier, et chaque fois ils le relâchèrent de façon humiliante, et chaque fois, Jarasandha, nonobstant le déshonneur, osa retourner chez lui.

Au cours d'une de ces campagnes, un roi Yavana, maître d'une région située au sud de Mathura, et que la richesse des Yadus attirait, voulut lui aussi attaquer la ville. Il est dit que ce roi des Yavanas, Kalayavana, y avait été incité par Narada. On trouve le récit de ces événements dans le Visnu Purana. Un jour, Gargamuni, prêtre de la dynastie Yadu, dut subir les sarcasmes de son beau-frère. Lorsque les rois de la dynastie Yadu entendirent le brocard, ils se rirent de Gargamuni, provoquant sa colère. Il conçut le projet de créer un être qui inspirât de la crainte à la dynastie Yadu; après s'être mérité les faveurs de Siva, il reçut de lui la bénédiction d'un fils, Kalayavana, engendré dans le sein de l'épouse d'un roi Yavana. Les années passèrent. Un jour, Kalayavana posa cette question à Narada: «Qui sont les rois les plus puissants au monde? — Nul, répondit Narada, n'est plus puissant que les Yadus». Fort de ce savoir, Kalayavana attaqua la ville de Mathura, en même temps que Jarasandha tentait son dix-huitième siège. Le désir de Kalayavana avait toujours été de déclarer la guerre à un roi de ce monde qui fût un adversaire digne de lui, et jusqu'alors sa quête avait été vaine. Mais quand Narada lui eut parlé de Mathura, il pensa que son rêve allait se réaliser. Pour mettre le siège sur la ville, il se plaça à la tête de trente millions de soldats, tous des Yavanas. Sri Krsna, en ces jours sombres, vit la détresse de la dynastie Yadu, menacée par deux ennemis à la puissance formidable, Jarasandha et Kalayavana. Le temps pressait: déjà la ville était cernée par Kalayavana et l'on attendait pour le jour suivant l'arrivée de Jarasandha, avec ses légions, au même nombre que lors de ses dix-sept tentatives précédentes. Il profiterait du siège de Kalayavana pour prendre définitivement Mathura. Voilà qui pour Krsna ne faisait nul doute. Il serait donc sage, pensa le Seigneur, de prendre les mesures de précaution nécessaires pour défendre les points stratégiques de la ville. Si Krsna et Balarama étaient aux prises en un lieu donné avec Kalayavana, rien n'empêcherait plus Jarasandha de se présenter en un autre et de prendre enfin sa revanche contre les Yadus. Grande restait la puissance de Jarasandha; et ses défaites précédentes pouvaient bien le pousser, dans un esprit de vengeance, à massacrer les membres de la famille Yadu ou encore à les arrêter et les déporter en son royaume. Krsna décida donc de faire bâtir un fort extraordinaire, en un lieu où nul bipède, homme ou asura, ne puisse pénétrer. Là seraient gardés les membres de Sa famille, hors de danger, pendant qu'Il combattrait librement l'ennemi. Il semble donc que Jadis Dvaraka faisait partie du royaume de Mathura, car le Srimad-Bhagavatam nous apprend que le fort fut construit par Krsna en pleine mer. Des ruines de ce fort existent toujours aujourd'hui, dans la baie de Dvaraka.

Krsna fit tout d'abord bâtir une muraille de grande épaisseur, ouvrant deux cent quarante-neuf kilomètres carrés, tout entière érigée dans les eaux. Les plans et la construction de cette merveilleuse bâtisse furent l'oeuvre de Visvakarma. Nul architecte n'aurait pu construire une telle forteresse sur la mer, mais Vivakarma, l'ingénieur des devas, est capable de produire des chefs-d'oeuvre étonnants n'importe où dans l'univers. Si l'on pense que d'énormes planètes peuvent flotter sans pesanteur dans l'espace par l'ordre cosmique issu de Dieu, la Personne Suprême, la construction d'un fort sur deux cent quarante-neuf kilomètres carrés d'espace marin perd son caractère de prouesse merveilleuse.

Le Srimad-Bhagavatam enseigne que cette nouvelle ville construite sur la mer, fort bien bâtie, comportait des avenues, des rues et des ruelles. On y trouvait même des chemins de campagne et des jardins à la belle ordonnance, où abondaient les kalpa-vrksas, les arbres-à-souhaits. Ils n'ont rien de commun avec les arbres ordinaires de l'Univers matériel; on ne les trouve que dans le monde spirituel. Tout est possible selon la volonté suprême du Seigneur, Sri Krsna; par exemple planter des arbres-à-souhaits dans une forteresse marine. Dvaraka s'ornait de palais magnifiques et de gopuras, d'immenses portails. On trouve encore de nos jours de ces gopuras dans certains grands temples. Ils sont de très haute taille et travaillés avec un talent extrême. Sur les portails et les palais étaient posées des jarres à eau (kalasas), en or. Elles sont considérées, à cette place, commes des signes de bon augure.

Presque tous les palais du fort de Dvaraka semblaient toucher le ciel. Dans les caves de chaque demeure s'entassaient des jarres pleines d'or, d'argent et de céréales. Et dans chaque pièce, on avait placé des récipients d'or, remplis d'eau. Les chambres s'ornaient de pierres précieuses, et leur sol était pavé de mosaïques faites du gemme qu'on appelle marakata. La Murti de Visnu, adorée par les descendants de Yadu, se montrait en bonne place dans chaque demeure. Chaque quartier abritait l'un des quatre varnas, les brahmanas, les ksatriyas, les vaisyas et les sudras. Ce qui montre que la séparation de la société en différents varnas existait déjà à l'époque. Au centre de la ville s'élevait le palais du roi Ugrasena et ses dépendances, ville plus brillante encore dans la ville.

Quand les devas surent que Krsna faisait bâtir une ville de Son choix, ils envoyèrent des planètes édéniques la fleur parijata, fameuse entre toutes, pour en orner les jardins. Ils offrirent aussi un palais pour les assemblées, nommé Sudharma; ce bâtiment se distinguait en ce que tous ceux qui s'y réunissaient étaient soustraits à la décrépitude et au vieillissement. Varuna offrit un cheval, entièrement blanc, sauf les oreilles, noires; ce cheval merveilleux courait à la vitesse du mental. Kuvera, le trésorier des devas, offrit l'art d'atteindre les huit perfections de l'opulence matérielle. Chaque deva fit un don particulier, selon ses capacités propres. On compte trente-trois millions de devas, et chacun d'eux a reçu en partage un secteur déterminé des affaires universelles. Le Seigneur Suprême construisait une ville à Son goût: tous saisirent l'occasion pour Lui présenter leur offrande: et ils rendirent ainsi la ville de Dvaraka unique en l'univers. Ce qui prouve qu'il existe d'innombrables devas, mais qu'aucun d'eux n'est indépendant de Krsna. Comme l'enseigne le Caitanya-caritamrta, Krsna est le Maître Suprême, et tous les autres Ses serviteurs. Ainsi, tous les serviteurs du Seigneur tirèrent profit de la présence personnelle de leur Maître, Krsna, dans l'univers, pour Le servir. Leur exemple est à suivre par tous, et particulièrement par ceux qui se situent dans la Conscience de Krsna, car il leur faut servir le Seigneur à travers leurs occupations respectives.

Lorsqu'on eut terminé de construire la nouvelle ville selon les plans, Krsna y fit venir tous les habitants de Mathura, confiant à Sri Balarama le rôle de «père de la ville». Puis, après un entretien avec Lui, le Seigneur, paré de guirlandes de fleurs de lotus, sortit de la ville pour rencontrer Kalayavana, lequel assiégeait alors Mathura. Krsna avait négligé même de prendre une arme.

Lorsque Krsna sortit de la ville Kalayavana, qui ne L'avait jamais vu, reçut le choc de Son extraordinaire beauté, dans Ses habits jaunes. Passant à travers les lignes de Ses guerriers, Krsna semblait la lune dans le ciel, quand elle traverse les nuages. Kalayavana eut même le bonheur d'apercevoir le srivatsa, une marque particulière sur la poitrine de Sri Krsna, ainsi que le joyau kaustubha, qu'Il portait. Cependant, la Forme de Krsna que vit Kalayavana fut celle de Visnu, au Corps bien bâti, doté de quatre bras, et aux yeux comme des pétales de lotus nouvellement épanouis. Krsna, avec Son front élégant et la ligne merveilleuse de Son visage, Ses yeux souriants et animés, et Ses pendants d'oreilles qui se balancent, éclatait de félicité. Avant de Le voir, Kalayavana avait entendu Narada parler de Krsna, et à présent les descriptions merveilleuses du sage se concrétisaient. Il remarqua les traits propres à Krsna et les joyaux sur Sa poitrine, Sa merveilleuse guirlande de fleurs de lotus, Ses yeux pareils-au-lotus, et l'harmonie de Son Corps. Oui, c'était bien Vasudeva, chaque détail décrit par Narada se retrouvait en substance dans la Personne de Krsna. Kalayavana s'étonna fort de voir le Seigneur passer au travers des troupes sans aucune arme dans les mains, sans Son char, mais foulant des pieds la terre. Kalayavana était venu pour combattre avec Krsna, mais il avait assez de respect pour les principes de la guerre: Le voyant désarmé, il n'usa d'aucune arme. Ils lutteraient corps à corps. Kalayavana s'apprêta donc à capturer le Seigneur et à combattre.

Mais Krsna continuait d'avancer sans même porter un regar à Kalayavana, qui toujours désireux de L'affronter dut se mettre à Le suivre. Et voilà que malgré une course effrénée, il ne pouvait L'atteindre. Krsna ne peut être saisi pas même par la vitesse du mental des grands yogis, si vif; seulement à travers le service de dévotion peut-on Le capturer; Kalayavana n'en avait aucune expérience et devait se contenter de suivre le Seigneur de loin.

Kalayavana accéléra sa course, et pensa: «Je me rapproche. bientôt il est à moi». Mais il ne le pouvait. Longtemps Krsna le conduisit, et enfin pénétra dans une caverne, au flanc d'une colline. Kalayavana croyait que Krsna craignait de combattre et cherchait là refuge. Aussi Lui adressa-t-il ces reproches: «Oh, toi Krsna! On m'a dit que tu étais un grand héros dans la dynastie Yadu, mais au vrai tu fuis le combat, comme un lâche. Est-ce digne de ton renom et des traditions de ta famille»? Ainsi, Kalayavana suivait le Seigneur, en courant à grande vitesse; mais, encore alourdi par les souillures d'une existence pécheresse, il ne pouvait L'atteindre.

Selon la culture védique, quiconque n'observe pas dans son existence les principes régulateurs que suivent les membres des varnas supérieurs —brahmanas, ksatriyas, vaisyas— ou même les sudras, est appelé mleccha. La société védique est organisée de telle façon que les sudras ont libre accès, progressivement, à la position de brahmanas, s'ils satisfont aux samskaras, ou rites purificatoires. En aucun cas, selon les Ecrits védiques, l'appartenance d'un homme au groupe des brahmanas ou des mlecchas n'est héréditaire: tout nouveau-né, en l'âge de Kali, est indifféremment tenu pour sudra. Pour s'élever au niveau brahmanique, il faut les rites purificatoires. A défaut de les suivre, l'on se dégrade davantage encore, pour devenir un mleccha. Kalayavana appartenait à la classe des mlecchas et des yavanas. Souillé par ses actes pécheurs, il ne pouvait approcher Krsna. L'existence des mlecchas et des yavanas se caractérise par l'habitude de pratiques dont s'abstiennent les membres des varnas supérieurs, nommément les rapports sexuels illicites, la consommation de la viande, le jeu et l'absorption d'excitants ou de substances enivrantes. Ces actes coupables entravent celui qui les commet et l'empêchent de réaliser aucun progrès sur la voie de la réalisation de Dieu. La Bhagavad-gita confirme que seul celui qui se trouve tout entier affranchi des suites de ses actes pécheurs peut s'engager dans le service de dévotion, ou la Conscience de Krsna.

Krsna pénétra dans la caverne et disparut des yeux de Son poursuivant. Kalayavana Le suivit, avec les plus dures paroles. Il vit d'abord, dans l'obscurité, un homme dormant sur le sol. Il pensa que c'était Krsna. Et, dans son impatience de combattre, dans son orgueil de puissant guerrier, il crut que le Seigneur cherchait encore dans le sommeil à éviter le combat. Il frappa donc violemment de son pied le dormeur. Ce n'était pas Krsna. L'homme allongé à terre se trouvait là depuis longtemps, longtemps. Les coups de Kalayavana, l'éveillèrent: il ouvre les yeux, regarde autour de lui..., enfin il voit Kalayavana, qui se tient près de lui. Alors, réveillé prématurément, il entre dans une terrible colère, il fixe Kalayavana de ses yeux terribles, d'où sortent des jets de feu. Kalayavana est réduit en cendres.

Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta pour le quarante-neuvième chapitre du Livre de Krsna, intitulé: «Krsna érige le fort de Dvaraka».


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare