La connaissance de l'absolu.
mayy asakta-manah partha
yogam yunjan mad-asrayah
asamsayam samagram mam
yatha jnasyasi tac chrnu

Le Seigneur Bienheureux dit:
Maintenant écoute, ô fils de Prtha. Voici de quelle manière, pleinement conscient de Moi dans la pratique du yoga, ton mental à Moi lié, tu Me connaîtras tout entier, sans plus le moindre doute.
Dans ce chapitre, nous trouverons précisé ce qu'est la nature de la conscience de Kr sna possède, à l'infini, toutes les perfections, et ces pages nous décrivent comment Il les déploie. Mais on y trouve également la division du genre humain en huit catégories: quatre concernant les hommes fortunés qui s'attachent a Krsna et quatre classant les infortunés qui le rejettent.
Les six premiers chapitres ont défini l'être vivant: âme spirituelle, distincte de la matière, et capable, par la pratique du yoga sous l'une de ses diverses formes, de réaliser son identité véritable. La fin du sixième chapitre, par ailleurs, définissait clairement l'absorption totale en Krsna la conscience de Krsna, comme la perfection du yoga. On ne peut, en effet, réaliser pleinement la Vérité Absolue que si l'on absorbe toutes ses pensées en Krsna, la réalisation du Brahman impersonnel et celle du Paramatma, présent dans le cœur de chacun, demeurent imparfaites, car elles ne donnent qu'une connaissance partielle de la Vérité Absolue. Le sommet du savoir et de la science se trouve en Krsna, et en Lui seul: tout se révèle à qui développe en lui la conscience de Krsna, jusqu'à réaliser, au-delà de tout doute, que la connaissance de Krsna est suprême et absolue. Les divers yogas, en définitive, constituent sans exception des tremplins vers la conscience de Krsna. C'est pourquoi l'âme qui, sans détour, va à la conscience de Krsna, connaît par là même et sans imperfection le Brahman et le Paramatma. La pratique de ce yoga ultime permet donc de tout connaître: la Vérité Absolue, mais aussi les êtres distincts, la nature matérielle et tout ce qui a trait à leurs diverses manifestations.
Le mieux sera donc d'emprunter le sentier du yoga suivant les directives que donne le dernier verset du chapitre six: absorber ses pensées en Krsna, le Seigneur Suprême, par la pratique du service de dévotion dans ses neuf formes, dont la première (sravana), la plus importante, consiste à écouter les gloires du Seigneur. C'est pourquoi, dans ce verset, Krsna dit à Arjuna "écoute..." (tat srnu). Krsna est le maître suprême, nul maître ne peut L'égaler, et L'écouter, c'est recevoir les meilleurs chances de progresser sur la voie de la dévotion. Mais il faut recevoir cette science suprême de Krsna en personne ou de Son pur dévot, et non d'un abhakta rendu fier par sa vaine érudition.
Le Srimad-Bhagavatam, lui aussi, précise l'art d'acquérir la science de Krsna, la Personne Suprême, la Vérité Absolue:
"Apprendre, écouter des Ecrits védiques ce qui a trait à Krsna ou écouter directement Ses enseignements à travers la Bhagavad-gita sont des actes purs; le Seigneur, présent dans le cœur de chacun, agit en ami bienveillant envers celui qui les accomplit. Il purifie le bhakta qui, toujours, écoute Ses gloires et ainsi voit s'éveiller son savoir spirituel. Plus il entend les gloires de Krsna, des lèvres des bhaktas et par la lecture du Srimad-Bhagavatam, plus il s'affermit dans son service au Seigneur. Et plus la dévotion occupe ses actes, plus il se libère des influences de la passion et de l'ignorance et voit s'amoindrir ses désirs matériels. Balayée la concupiscence, il s'établit dans la pure vertu, se sent vivifié par le service de dévotion et saisit pleinement la science de Dieu. Ainsi le bhakti-yoga tranche-t-il le nœud puissant des attachements matériels et permet-il aussitôt d'atteindre à la réalisation parfaite de la Vérité Suprême et Absolue, Personne Divine et Souveraine."
idam vaksyamy asesatah
yaj jnatva neha bhuyo ’nyaj
jnatavyam avasisyate
Dans sa totalité, Je te la révélerai, cette connaissance et du phénomène et du noumène, hors de quoi il n'est rien qui reste à connaître.
Le savoir qui comprend et la connaissance de l'univers matériel et celle du monde spirituel, qui constitue leur source commune, est le savoir total, absolu. Science que Krsna va maintenant livrer à Arjuna, en tant qu'il est Son dévot et ami intime. Ainsi se réalisent les paroles du Seigneur au début du quatrième chapitre: seul un bhakta peut acquérir la connaissance parfaite, et seul le Seigneur, ou Son représentant dans la succession disciplique, peut lui transmettre cette connaissance. Soyons donc assez clairvoyants pour puiser le savoir à sa source, la cause de toutes les causes et l'unique objet de méditation dans tous les yogas. Qui connaît cette cause suprême n'a plus rien d'autre à connaître. Ce que confirment les Vedas.
kascid yatati siddhaye
yatatam api siddhanam
kascin mam vetti tattvatah
Parmi des milliers d'hommes, un seul, peut-être, recherchera la perfection, et parmi ceux qui l'atteignent, rare celui qui Me connaît en vérité.
Il y a diverses catégories d'hommes, et parmi des milliers, un seul peut être éprouvera suffisamment d'intérêt à l'égard de la réalisation spirituelle pour chercher à approfondir sa connaissance du corps, de l'âme et de la Vérité Absolue. D'ordinaire, l'homme se laisse conduire par ses tendances animales - manger, dormir, s'accoupler et se défendre; rares sont ceux qui voient quelque intérêt à cultiver le savoir spirituel. C'est pourtant à eux que s'adressent les six premiers chapitres de la Bhagavad-gita, qui révèlent la nature de l'âme distincte et de l'Ame Suprême, puis enseignent, comme méthodes de réalisation spirituelle, le jnana-yoga, le dhyana-yoga et le sankhya-yoga. Toutefois, nous savons que seul le bhakta peut connaître Sri Krsna, la Personne Suprême. Les autres spiritualistes, jnanis et yogis, ne parviennent pas à dépasser le Brahman impersonnel ou le Paramatma, aspects plus accessibles de la Vérité Absolue; leurs efforts pour comprendre Krsna ne font qu'accroître leur confusion.
"Krsna est le Seigneur originel, Govinda; Il est le maître absolu, la cause de toutes les causes, et Sa Forme est toute d'éternité, de connaissance et de félicité."
Même Sripada Sankaracarya, le plus grand des philosophes impersonnalistes, a, dans son commentaire de la Bhagavad-gita, reconnu Krsna comme Dieu, la Personne Suprême; ses disciples refusent cependant de L'accepter comme tel. Pourquoi? Simplement parce que Krsna, la Vérité Absolue, est difficilement connaissable pour les abhaktas, même lorsqu'ils L'ont réalisé sous l'aspect du Brahman impersonnel. Ils prétendent que la voie du bhakti-yoga est une voie trop facile, mais pourquoi alors ne pas l'adopter? Pourquoi choisir la voie difficile? Mais en réalité, la bhakti n'est aucunement une voie facile, et ils ne peuvent la pratiquer. Le bhakti-yoga tel que le pratiquent certains profanes au savoir limité peut être aisé, mais pas le véritable service de dévotion, où l'on observe les principes régulateurs donnés dans les Ecritures, et qui a désarmé bien des "philosophes" et des "érudits". Srila Rupa Gosvami ajoute, dans son Bhakti-rasamrta-sindhu:
"Le bhakti-yoga non conforme aux Ecrits faisant autorité en la matière -tels les Upanisads, les Puranas, le Narada-pancaratra... - ne peut être qu'inutilement nuisible à la société."
Il est impossible au jnani et au yogi, lesquels ont respectivement réalisé la Vérité Absolue en tant que le Brahman et le Paramatma, de connaître Krsna, la Personne Suprême, l'origine même du Brahman et du Paramatma, comme de comprendre Son apparition sous la forme du fils de Yasoda ou du conducteur du char d'Arjuna. Les grands devas eux-mêmes sont parfois troublés quant à la personnalité de Krsna, confirmant cette parole du Seigneur:
"En vérité, nul ne Me connaît comme Je suis."
Ailleurs, Il dit également de celui qui, malgré tout, parvient à Le connaître, qu'un tel mahatma est infiniment rare. Sans le service de dévotion, on ne peut donc vraiment connaître Krsna tel qu'il est (tattvatah), fût-on le plus grand des érudits et des philosophes. Et seuls les purs bhaktas peuvent avoir quelque intelligence de Ses Attributs absolus et inconcevables, Sa beauté, Sa richesse, Sa renommée, Sa puissance, Sa sagesse et Son renoncement infinis, car Krsna, l'objet ultime de la réalisation du Brahman, S'approche naturellement d'eux. Ce que confirme le Padma Purana:
"Nul, par ses sens matériels émoussés, ne peut connaître Krsna tel qu'il est. Il ne Se révèle qu'à Ses dévots, satisfait de l'amour et de la dévotion qu'ils Lui montrent en Le servant".
kham mano buddhir eva ca
ahankara itiyam me
bhinna prakritir astadha
Terre, eau, feu, air, éther, mental, intelligence et faux ego, ces huit éléments, distincts de Moi-même, constituent Mon énergie inférieure.
La science de Dieu étudie en détail Sa nature divine et celle de Ses diverses énergies. Celle qu'il manifeste à travers les purusa-avataras, par exemple, est appelée prakrti, la nature matérielle. Le Svatvata Tantra précise.
"Créant l'univers matériel, l'émanation plénière de Krsna Visnu, revêt trois aspects. Maha-Visnu, d'abord, crée la totalité de l'énergie matérielle, ou mahat-tattva. Le second, Garbhodaksayi Visnu, pénètre en chaque univers, où Il fait naître la diversité. Le troisième, Ksirodakasayi Visnu, est partout présent; Il pénètre jusqu'au moindre atome, et on Le désigne sous le nom de Paramatma, l'Ame Suprême. Quiconque atteint la connaissance de ces trois Visnu peut s'affranchir de l'esclavage de la matière."
L'univers matériel est donc la manifestation temporaire d'une des énergies du Seigneur, et tout s'y déroule sous la conduite des trois Visnu, émanations de Krsna. Celui qui ignore le service de Dieu, Krsna, croit en général que cet univers fut créé pour le plaisir des êtres distincts et que ces derniers en sont alors la cause, comme les maîtres et les ultimes bénéficiaires, en un mot les purusas. La Bhagavad-gita dénonce comme fausses ces croyances. Ainsi, le verset qui nous occupe établit Krsna comme cause originelle de la manifestation matérielle (ce que corrobore également le Srimad-Bhagavatam). Les éléments matériels qui la composent sont des énergies distinctes du Seigneur; même le brahmajyoti, qui pourtant se situe au-delà de l'univers matériel, est une énergie du Seigneur. Le brahmajyoti, au contraire des planètes Vaikunthas, ne connaît pas la diversité, et pourtant, les impersonnalistes l'acceptent comme but ultime de l'existence. Même le Paramatma n'a pas d'existence permanente dans le monde spirituel; il n'est qu'une manifestation omniprésente temporaire du Ksirodakasayï Visnu. Ainsi, Krsna, Dieu, la Personne Suprême, est, sans contredit, la Vérité Absolue. Il est la source et le maître de toutes les énergies, internes ou externes.
Comme l'indique ce verset, l'énergie matérielle compte huit éléments de base, dont les cinq premiers (la terre, l'eau, le feu, l'air et l'éther) sont dits "géants", ou bruts. Ces derniers constituent les manifestations physiques de l'odeur, du goût, de la forme, du tact et du son, soit des cinq objets des sens, qu'ils englobent. La science matérielle ne va pas au-delà de ces dix éléments; elle ignore les trois éléments subtils que sont le mental, l'intelligence et l'égo matériel. Les chercheurs qui s'intéressent au mental existent, mais leur savoir est balbutiant, car ils ignorent Krsna, source de tout ce qui est. L'égo matériel, le faux égo, qui fait penser, "Je suis" et "Je possède", est à la racine même de l'existence matérielle, et il comprend dix nouveaux "éléments": les cinq organes de perception (le nez, la langue, les yeux, la peau et les oreilles) et les cinq organes d'action du corps (la bouche, les bras, les jambes, l'appareil génital et l'anus). L'intelligence, elle, se rapporte à la totalité de la création matérielle (qu'on désigne sous le nom de mahat-tattva). Les vingt quatre éléments de la nature matérielle sont donc manifestés à partir des huit énergies distinctes du Seigneur dont parle ce verset. Ils forment aussi l'objet de la philosophie athée du sankhya, mais cette dernière ne reconnaît pas Krsna comme leur source, comme la cause de toutes les causes, se limitant ainsi à la connaissance, nécessairement partielle, de Ses énergies externes.
prakritim viddhi me param
jiva-bhutam maha-baho
yayedam dharyate jagat
O Arjuna aux-bras-puissants, outre cette énergie inférieure, une autre énergie est Mienne, une énergie supérieure, spirituelle; les êtres vivants, qui luttent avec la nature matérielle et par quoi l'univers subsiste, la constituent.
De ce verset, il découle à l'évidence que les êtres vivants appartiennent à l'énergie supérieure du Seigneur Suprême. Son énergie inférieure, comme nous l'avons vu dans le verset précédent, est constituée par les huit principaux éléments matériels, soit la terre, l'eau, le feu, l'air et l'éther, le mental, l'intelligence et l'égo matériel. C'est par les êtres vivants qu'agit l'énergie matérielle. Simple objet d'exploitation dans leurs mains, elle n'a aucun pouvoir indépendant, et doit être mise en œuvre par l'énergie supérieure, laquelle, comme toute énergie, est, en dernière analyse, contrôlée par sa source. Ainsi, les êtres distincts se trouvent toujours subordonnés au Seigneur; jamais ils ne sauraient exister en dehors de Lui, et jamais non plus égaler Sa puissance, comme le prétendent certains ignorants. Le Srimad-Bhagavatam précise ainsi la position de l'être distinct par rapport au Seigneur Suprême.
"0 Toi, le Suprême, l'Eternel! Si les êtres incarnés étaient, comme Toi, éternels et omniprésents, alors ils ne seraient pas par Toi dominés. Mais en vérité, ils sont d'infimes parcelles de l'une de Tes énergies et Te sont toujours subordonnés. C'est pourquoi ils ne peuvent atteindre la libération parfaite qu'en acceptant Ta tutelle, en s'abandonnant à Toi; alors seulement, ils trouveront le bonheur et seront en pleine possession de leur pouvoir. Les ignorants qui prônent l'égalité absolue de Dieu et des êtres vivants (monisme) prennent certes la voie mauvaise, entraînant avec eux de nombreux innocents."
Sri Krsna, le Seigneur Suprême, est donc seul maître absolu, à qui tous les êtres sont subordonnés. S'ils constituent Son énergie supérieure, c'est que leur nature participe de la Sienne; toutefois, ils ne possèdent pas, en termes de quantité, les mêmes pouvoirs que Lui. Car, en manipulant les énergies matérielles grossières et subtiles, l'être distinct devient, par elles, conditionné; sous l'influence de la matière, il oublie son mental et son intelligence spirituels. Mais qu'il s'affranchisse de l'illusion matérielle, et il atteindra la mukti, la libération. Pris par l'illusion matérielle, le faux égo nous dicte: "Tu es matière", "tout t'appartient". Mais l'être libéré abandonne ces faux concepts, parmi lesquels il faut ranger la perspective d'une fusion totale avec Dieu.
On peut donc conclure des enseignements de la Bhagavad-gita que l'être vivant ne constitue qu'une des multiples énergies du Seigneur; et que lorsqu'il s'affranchit du conditionnement matériel, c'est pour devenir pleinement conscient de Krsna, ce qui représente la libération parfaite.
sarvanity upadharaya
aham krtsnasya jagatah
prabhavah pralayas tatha
De toutes choses en ce monde, matérielles comme spirituelles, sache que Je suis l'Origine et la Fin.
Tout ce qui existe est produit de l'union de l'âme avec la matière. Et tout repose sur l'énergie spirituelle. L'âme n'est pas, comme le voudraient certains, une manifestation de la matière à un certain degré de son évolution. Au contraire, c'est la matière qui trouve son origine en l'énergie spirituelle, à partir de quoi l'univers tout entier est manifesté. Ainsi, quand le corps matériel se développe, passant de l'enfance à la maturité, puis à la vieillesse, c'est qu'une force supérieure l'anime, et cette énergie vitale, c'est l'âme. De la même façon, à une autre échelle, si l'univers existe et se développe, c'est par la présence de l'Ame Suprême, Visnu.
L'entière manifestation cosmique, la "forme universelle", se constitue par un jeu d'énergies matérielles et spirituelles dont la cause originelle est le Seigneur Suprême, duquel elles émanent. L'être distinct, fragment infime du Seigneur, peut à son gré transformer les énergies matérielles en gratte-ciel, en usine, en ville.... mais il est tout à fait incapable de créer ces énergies, pas plus qu'il n'est en mesure de créer, une planète ou un univers. Donc, comme le confirme la Katha Upanisad, l'origine de l'univers, c'est l'Ame Suprême, Krsna, le créateur de tous les êtres et la cause de toutes les causes.
kincid asti dhananjaya
mayi sarvam idam protam
sutre mani-gana iva
Nulle vérité ne M'est supérieure, ô conquérant des richesses. Tout sur Moi repose, comme des perles sur un fil.
La Vérité Absolue est-Elle une Personne ou une totalité impersonnelle? C'est depuis toujours un sujet de controverse. Mais la Bhagavad-gita démontre parfaitement, en particulier dans ce verset, que la Vérité Absolue est Sri Krsna, Dieu, la Personne Suprême, ce que confirme par ailleurs la Brahma-samhita:
"La Vérité Absolue est le Seigneur Suprême, Sri Krsna, Govinda, qui est le Seigneur originel, la source de tous les plaisirs, et la Forme éternelle de la connaissance et de la félicité absolues."
L'ensemble des Ecrits faisant autorité en la matière ne laisse aucun doute à ce sujet: la Vérité Absolue est la Personne Suprême, cause de toutes les causes. Les impersonnalistes, il est vrai, prétendent le contraire, en s'appuyant sur la Svetasvatara Upanisad:
"Le premier des êtres de l'univers est Brahma, supérieur à tous les devas, hommes et bêtes. Mais au-delà de Brahma, on trouve l'Absolu, qui n'a pas de forme matérielle, qui est libre de tout conditionnement matériel. Quiconque réalise cet Absolu transcende également la matière, tandis que les souffrances matérielles continuent de peser sur ceux qui L'ignorent."
Les impersonnalistes attachent une grande importance au mot arupam (littéralt: sans forme) dans ce verset, mais ce mot ne signifie pas "impersonnel"; il indique seulement que la Vérité Absolue n'a pas de forme matérielle, que Sa Forme est éternelle, toute de connaissance et de félicité, telle que la Brahma-samhita la décrit dans le verset cité plus haut. D'autres versets de la Svetasvatara Upanisad confirment par ailleurs que la Vérité Absolue est bien une personne, la Personne Suprême:
"Je connais cet Etre Suprême, qui transcende les ténèbres matérielles. Qui Le connaît peut seul dépasser la naissance et la mort, et atteindre la libération. Nulle vérité ne Lui est supérieure: Il est l'Être Suprême. Plus petit que le plus petit, Il est aussi plus grand que le plus grand. Comme un arbre silencieux, Il Se dresse, éclairant tout le monde spirituel et déployant Ses innombrables énergies, comme un arbre ses racines."
De tels passages nous permettent encore une fois de conclure à l'évidence que la Vérité Absolue est la Personne Suprême, omniprésente par Ses énergies tant matérielles que spirituelles.
prabhasmi sasi-suryayoh
pranavah sarva-vedesu
shabdah khe paurusam nrsu
De l'eau Je suis la saveur, ô fils de Kunti, du soleil et de la lune la lumière, des mantras védiques la syllabe om. Je suis le son dans l'éther, et dans l'homme l'aptitude.
Ce verset explique comment le Seigneur manifeste Son omniprésence par l'intermédiaire de Ses diverses énergies, matérielles et spirituelles. On peut donc, au commencement de la voie spirituelle, percevoir la Vérité Absolue à travers Ses énergies, et ainsi réaliser Son aspect impersonnel. Tout comme on perçoit le deva du soleil, dont l'existence est personnelle, à travers les rayons de l'astre, le Seigneur, qui ne quitte jamais Son royaume, peut être perçu à travers Ses multiples énergies. Le principe actif de l'eau, par exemple, est son goût. Personne n'aime boire de l'eau de mer, car le goût pur de l'eau y est masqué par celui du sel. C'est la pureté de son goût qui détermine l'attrait qu'on a pour l'eau, et ce goût pur est l'une des énergies du Seigneur. Mais de telles énergies peuvent être perçues de diverses façons. L'impersonnaliste, par exemple, se contentera de voir l'Absolu dans le goût de l'eau, tandis que le personnaliste, lui, n'oubliera pas de glorifier le Seigneur pour avoir permis aux êtres d'étancher leur soif. Il y a là une réalisation supérieure de l'Absolu.
Originellement, la lumière du soleil et de la lune émane du brahmajyoti, la radiance impersonnelle, du Seigneur. Et l'omkara, également appelé pranava, c'est-à-dire le son spirituel et absolu adressé au Seigneur Suprême, et qui commence tout mantra védique, émane de Celui-ci. Les impersonnalistes, qui s'effraient à la seule idée de glorifier le Seigneur en prononçant l'un de Ses innombrables Noms, préfèrent entendre sur leurs lèvres vibrer le son de l'omkara, sans comprendre qu'il est aussi la représentation sonore de Krsna.
En fait, personnalisme et impersonnalisme ne s'opposent pas vraiment. Pour qui connaît Dieu, toute chose renferme à la fois Son aspect personnel et Son aspect impersonnel, comme l'enseigne d'ailleurs Sri Caitanya Mahaprabhu, par la doctrine sublime de l'acintya-bhedabheda-tattva: l'Unité et la multiplicité simultanées. Ainsi, la conscience de Krsna embrasse tout, et quiconque l'adopte est béni, libéré, alors que ceux qui l'ignorent demeurent dans l'illusion, enchaînés à la matière.
tejas casmi vibhavasau
jivanam sarva-bhutesu
tapas casmi tapasvisu
De la terre Je suis le parfum originel, et du feu la chaleur. Je suis la vie en tout ce qui vit, et l'ascèse de l'ascète.
Chaque chose, en ce monde (la fleur, la terre, l'eau, le feu, etc.), possède une senteur, un goût, qui lui sont propres. Ces propriétés dépendent des composants chimiques des objets dont elles émanent, et elles peuvent donc se trouver modifiées sous l'interaction de ces composants.
Mais il est une fragrance, une saveur originelle, pure et inaltérée (punya), qui imprègne chaque partie de la création, et ce parfum, ce goût premier, c'est Krsna. Le mot vibhava, quant à lui, désigne le feu, nécessaire à la cuisson des aliments, à la mise en action de nombreuses machines, et à la digestion, puisque, comme l'enseigne la médecine védique, la mauvaise assimilation des aliments provient d'une température trop basse à l'intérieur de l'estomac. Or, ce feu, et la chaleur essentielle qui le caractérise, sont Krsna. Dans la conscience de Krsna, l'être réalise que tous les éléments vitaux (la terre, l'eau, le feu, l'air ...) proviennent de Krsna, que la vie même et sa durée sont données et contrôlées par Krsna. L'homme peut donc, par la grâce de Krsna, prolonger ou raccourcir son existence. Ainsi, la conscience de Krsna agit à tous les niveaux.
viddhi partha sanatanam
buddhir buddhimatam asmi
tejas tejasvinam aham
Sache-le, ô fils de Prtha, Je suis de tous les êtres la Semence première. De l'intelligent Je suis l'intelligence, et du puissant la prouesse.
Krsna est l'originelle semence (bijam). Lorsque cette semence entre en contact avec l'énergie matérielle, s'engendrent les entités vivantes, mobiles (hommes, bêtes, oiseaux, reptiles ... ) et immobiles (plantes, arbres ... ), qui forment ensemble 8 400 000 espèces. Pour elles toutes, Krsna est la semence de vie. Les Ecrits védiques établissent clairement que le Brahman Suprême, la Vérité Absolue, est Celui dont tout émane, d'où tout est né. Or, Krsna est ce Param Brahman, ce Brahman Suprême. Le Brahman est impersonnel, le Param Brahman, personnel; et le second englobe le premier. Tel est l'enseignement de la Bhagavad-gita. Krsna est donc à l'origine de tout. Comme l'arbre entier repose sur ses racines, la création entière est soutenue par Krsna, racine de toutes choses. Krsna est l'Etre éternel par excellence, l' Etre Suprême, l'unique soutien de toute vie, mais également, selon Ses propres paroles, l'origine de l'intelligence, sans laquelle nul ne peut Le connaître.
kama-raga-vivarjitam
dharmaviruddho bhutesu
kamo ’smi bharatarsabha
Je suis la force du fort exempt de désir et de passion. Je suis, ô prince des Bharatas, l'union charnelle qui n'enfreint pas les principes de la religion.
La force du fort doit servir à protéger les faibles, non pas à agresser autrui par intérêt personnel. Et la vie sexuelle, selon les principes de là spiritualité, selon le dharma, ne doit avoir d'autre objet que la procréation d'enfants dont on assurera le développement de la conscience spirituelle, la conscience de Krsna. Telle est la responsabilité des parents.
rajasas tamasas ca ye
matta eveti tan viddhi
na tv aham tesu te mayi
Tout état de l'être, qu'il relève de la Vertu, de la Passion ou de l'Ignorance, n'est qu'une manifestation de Mon énergie. En un sens, Je suis tout; jamais, cependant, Je ne perds Mon individualité. Comprends qu'aux gunas Je ne suis pas soumis.
Tous les actes matériels s'accomplissent sous la dictée des trois gunas, lesquels, bien que mais aussi parce que manifestations de Sa puissance, n'influent jamais sur le Seigneur Suprême, Sri Krsna. Les habitants d'un royaume, par exemple, sont tenus d'en observer les lois, sans exception; mais le souverain échappe à cette obligation. De même, Krsna ne subit jamais l'influence de l'énergie matérielle, car Il en est l'origine. C'est pourquoi on Lui attribue l'adjectif nirguna: non sujet aux gunas. Tel est l'un des traits particuliers de Dieu, la Personne Suprême, Bhagavan, Sri Krsna.
ebhih sarvam idam jagat
mohitam nabhijanati
mam ebhyah param avyayam
Egaré par les trois gunas [Vertu, passion et ignorance], l'Univers entier ignore qui Je suis, Moi le Suprême, l'Intarissable, qui transcende ces influences matérielles.
La création matérielle subit tout entière la fascination des trois gunas. Tous ceux qu'ils égarent, toutes les âmes conditionnées, prisonnières de la matière, perdent le pouvoir de comprendre qu'au-delà de l'énergie matérielle, on rencontre le Seigneur Suprême, Sri Krsna.
Selon leur nature respective, les êtres revêtent divers types de corps, chacun possédant des caractères psycho-physiologiques qui lui sont propres. En termes généraux, la société se divise en quatre groupes, ou varnas, déterminés selon l'influence particulière de chacun des gunas sur ses membres: placés sous l'égide de la pure vertu, ils constituent le groupe des brahmanas; sous l'influence de la pure passion, celui des ksatriyas; ceux qui subissent l'emprise à la fois de la passion et de l'ignorance forment les vaisyas; et ceux que voile entièrement l'ignorance sont appelés sudras. Au-dessous de ces quatre groupes, on trouve les animaux, ou encore ceux des hommes qui vivent, à leur exemple. Mais ces désignations sont toutes temporaires, comme le sont les corps auxquels elles s'appliquent. Et pourtant, bien que les jours de l'homme soient comptés, bien qu'il ignore tout de l'après-mort, il persiste, sous les envoûtements de l'énergie illusoire, à s'identifier à ce corps, il continue de se croire américain, indien, russe, hindou, musulman, chrétien, brahmana... Egaré par les trois gunas, l'être distinct oublie Dieu, qui domine l'énergie matérielle. Krsna nous fait comprendre, dans ce verset, que les êtres sur qui pèse l'influence trompeuse des trois gunas ne peuvent pas saisir Sa présence au-delà de 1a matière.
Tous les êtres vivants -devas, hommes, animaux... - subissent l'influence de l'énergie matérielle, et tous ont, d'une manière ou d'une autre, oublié Dieu, la Personne Suprême. Et l'action des gunas -l'ignorance, la passion ou même la vertu rend l'être incapable de dépasser la conception du Brahman, de l'aspect impersonnel de la Vérité Absolue; les traits personnels du Seigneur Suprême dans la plénitude de Sa beauté, de Sa richesse, de Sa renommée, de Sa puissance, de Sa sagesse et de Son renoncement, le déroutent complètement. Même ceux en qui règne la vertu ne peuvent approcher le Seigneur; que dire de ceux que dominent la passion et l'ignorance! La conscience de Krsna transcende les trois gunas, et quiconque la vit pleinement a déjà atteint la libération.
mama maya duratyaya
mam eva ye prapadyante
mayam etam taranti te
L'énergie que constituent les trois gunas, cette énergie divine, la Mienne, on ne peut, sans mal, la dépasser. Mais qui s'abandonne à Moi en franchit facilement les limites.
Le Seigneur Suprême possède d'innombrables énergies, toutes divines et éternelles. Mais les êtres, les âmes distinctes, bien que participant de Ses énergies divines, voient leur pouvoir supérieur, lorsqu'ils entrent en contact avec l'énergie matérielle, se voiler. Et une fois recouvert par l'énergie matérielle, on ne peut jamais, par soi-même, en vaincre les influences. De nature divine, les énergies matérielles et spirituelles sont, nous l'avons vu, toutes deux éternelles; par suite, l'illusion des êtres conditionnés par la matière sera également éternelle: ces êtres sont donc appelés nitya-baddhas, "éternellement conditionnés". Nul ne peut retrouver l'origine de son conditionnement matériel; c'est d'ailleurs pourquoi il est si difficile d'échapper aux griffes de la matière. Il est vrai que l'énergie matérielle est inférieure, mais n'oublions pas qu'en dernière analyse, elle opère sous la direction du Seigneur, et qu'aucun être ne peut aller contre Sa volonté. Si l'on va jusqu'à définir comme divine l'énergie matérielle, c'est qu'elle, émane du Seigneur et n'agit que par Sa volonté divine. Ainsi, bien qu'elle soit inférieure, la puissance externe du Seigneur, parce qu'elle repose entièrement sur la volonté suprême, agit admirablement quant à la création et la destruction de la manifestation cosmique. Ce que corroborent les Vedas:
"Maya est certes temporaire et illusoire, mais le magicien qui Se tient derrière elle n'est nul autre que Mahesvara, le maître absolu, Dieu, la Personne Suprême."
Le mot "guna", qui désigne les influences matérielles, signifie également "corde", illustrant comment l'âme conditionnée est prisonnière des liens de l'illusion. Pieds et poings liés, le prisonnier ne peut espérer se libérer par lui- même; et comme il n'a rien à attendre de ses compagnons de misère, il ne devra sa liberté qu'à un homme libre. De même, seuls Krsna et Son représentant authentique, l'acarya, peuvent affranchir l'âme conditionnée. Sans aide supérieure, nul ne pourra trancher les liens qui le retiennent à la matière. Mais pour obtenir un tel secours, il suffit de pratiquer le service de dévotion, d'adopter la conscience de Krsna. Krsna, maître de l'énergie illusoire, peut bien, par affection pour un être qui, est Son fils bien-aimé, par miséricorde infinie pour l'âme soumise, ordonner à cette force invincible de lâcher son étreinte et de rendre à l'âme sa liberté. C'est donc seulement par l'abandon devant les pieds pareils-au-lotus du Seigneur que l'on pourra échapper aux griffes puissantes de la nature matérielle.
Notons le mot mam, qui se réfère à Krsna (Visnu) et à Lui seul. Car Brahma et Siva, lesquels président respectivement au rajo-guna (la passion) et au tamo-guna (l'ignorance), n'ont pas, bien qu'ils soient presque au niveau de Visnu, le pouvoir d'arracher l'âme conditionnée des griffes de maya, car eux-mêmes subissent son influence; seul Krsna peut en libérer les êtres. Ce que corroborent les Vedas:
"Seul accède à la liberté qui connaît Krsna."
Et Siva lui-même affirme que la libération ne peut s'atteindre que par la grâce de Visnu:
"Visnu est Celui qui accorde la libération à tous les êtres; c'est là une certitude."
prapadyante naradhamah
mayayapahrta-jnana
asuram bhavam asritah
Les sots, les derniers des hommes, ceux dont le savoir est dérobé par l'illusion, les démoniaques,-ces mécréants ne s'abandonnent pas à Moi.
La Bhagavad-gita nous enseigne que quiconque s'abandonne aux pieds pareils-au-lotus de Sri Krsna, la Personne Suprême, transcende la rigueur des lois de la nature matérielle. On peut alors se demander pourquoi les érudits, les philosophes, les hommes de science, les chefs d'entreprise, les administrateurs et tous les dirigeants de la société ne le font pas, ne s'abandonnent pas aux pieds pareils-au-lotus de Sri Krsna, Dieu, la Personne Suprême et Toute puissante. Les chefs de l'humanité ont sans cesse cherché, par divers plans, année après année, ou même vie après vie, à se libérer du joug de la nature matérielle et de ses lois intransigeantes, à atteindre la mukti. Pourquoi tant de génies, tant de chefs glorieux, n'ont-ils pas adopté la voie si simple de l'abandon au Seigneur?
La Bhagavad-gita répond qu'il existe bien de véritables chefs de la société, qui sont en même temps des érudits, tel Brahma, Siva, Kapila, les Kumaras, Manu, Vyasa, Devala, Asita, Janaka, Prahlada, Bali et d'autres, plus récents, comme Madhvacarya, Ramanujacarya, Sri Caitanya Mahaprabhu, et plusieurs autres encore, tous fervents philosophes, politiciens, hommes de science, éducateurs et administrateurs, et qui se sont effectivement abandonnés aux pieds pareils-au-lotus de la Personne Suprême, le maître tout puissant. Mais il existe également des trompeurs qui, afin d'en tirer quelque avantage matériel, s'attribuent le nom de philosophe, politicien, etc. C'est la raison pour laquelle ils n'acceptent pas de suivre la voie tracée par le Seigneur. N'ayant aucune conception de Dieu, ils fabriquent leurs propres solutions", ne réussissant ainsi qu'à compliquer leur propre existence et celle des autres, multipliant les problèmes plutôt que de les résoudre. Ils refusent de voir que l'énergie matérielle est très puissante, qu'elle peut résister à tous leurs congrès, commissions et plans athées.
Ces athées, ces "planificateurs", Krsna les désigne dans ce verset par le mot duskrtina, "mécréant", par opposition à krtina, "qui accomplit des actes méritoires". Il ne s'agit pas de nier l'intelligence des matérialistes, car ils réalisent, à leur manière, de grandes choses, et toute réalisation d'envergure requiert de l'intelligence. Mais parce qu'ils font un mauvais usage de cette intelligence en allant à l'encontre de la volonté du Seigneur Suprême, on les nomme duskrtinas, pour montrer combien leur intelligence et leurs efforts sont déviés, fausssés.
Toujours dans la Bhagavad-gita nous lisons que l'énergie matérielle agit totalement sous la direction du Seigneur Suprême, qu'elle n'a aucun pouvoir indépendant, mais se meut comme une ombre, intimement liée à son objet. Elle n'en demeure pas moins très puissante, et l'athée, parce qu'il ignore Dieu, n'en peut connaître les lois de fonctionnement, pas plus qu'il ne peut saisir les plans divins du Seigneur. Parce qu'il demeure prisonnier de l'illusion, de la passion et de l'ignorance toutes ses entreprises sont vouées à l'échec, comme le furent jadis celles d'Hiranyakasipu et Ravana, tous deux puissants érudits, philosophes, administrateurs, hommes de science et éducateurs.
On divise les mécréants (duykrtinas) en quatre groupes distincts.
1. Les mudhas, ou ceux qui peinent comme des bêtes de somme, qui souffrent d'inintelligence chronique. Ils veulent jouir seuls du fruit de leurs actes, et ne l'échangeraient pour rien au monde, pas même pour l'Absolu. Ils ont pour symbole l'âne, personnification même de la bêtise. Ce pauvre animal peine jour et nuit, sans trop savoir pour qui. Il se contente d'un peu d'herbe pour tout salaire, dort dans la crainte d'être battu et cherche périodiquement à séduire l'ânesse, qui, à chaque fois, ne manque pas de lui décocher une ruade. Il lui arrive de chanter, ou même de philosopher, mais son braiment a pour seul résultat d'incommoder l'entourage. Telle est la condition de l'insensé qui ignore le but réel de ses actes, qui ignore que l'action, le karma, est pour le sacrifice (yajna), et ne peut donc agir que pour des motifs ridicules.
En général, ceux qui travaillent sans répit pour satisfaire des besoins qu'ils se sont eux-mêmes créés ne veulent pas entendre parler de l'immortalité de l'âme, "ils n'en ont pas le temps". Ces mudhas ne vivent que pour le gain. Pourtant, ils ne jouissent pas même à part entière des bienfaits matériels périssables pour lesquels ils doivent fournir un effort si épuisant. Ils travaillent parfois plusieurs jours et plusieurs nuits sans dormir, se nourrissent mal, souffrent d'indigestion et d'ulcères à l'estomac, entièrement pris par leur service à des faux maîtres. Ignorant leur vrai maître, ils servent stupidement Mammon. Pour leur malheur, ils ne s'abandonnent jamais au maître absolu, maître de tous les maîtres, et ne prennent pas même le temps de s'enquérir de Lui à des sources autorisées. Comme le porc qui préfère la boue aux douceurs faites de sucre et de ghi, le matérialiste insensé dévore les faits divers à sensation, les magazines tape-à-l'œil et les nouvelles relatives aux fluctuations des énergies matérielles, tandis qu'il néglige entièrement la voie de la spiritualité.
2. Les naradhamas, ou "les plus déchus des hommes" (de nara: homme, et adhama: le plus bas). Parmi les 8 400 000 espèces vivantes, 400 000 sont humaines. Parmi ces dernières, plusieurs sont inférieures, pratiquement non civilisées. Est civilisé l'homme qui se soumet à certains principes, de vie sociale, politique et religieuse. Ceux qui évoluent sur le plan social et politique, mais négligent la spiritualité, méritent le nom de naradhamas. Or, il n'y a pas de vraie religion sans Dieu, puisque le but intrinsèque de toute religion est de connaître la Vérité Absolue et le lien qui nous y relie. Dans la Bhagavad-gita, Dieu, la Personne Suprême, établit clairement qu'Il est cette Vérité Absolue, et que rien ni personne ne Lui est supérieur. L'homme civilisé est donc celui qui se donne pour devoir de raviver sa conscience spirituelle perdue, sa connaissance de la relation qui l'unit à l'Absolu, Sri Krsna, la Personne Suprême et Toute-puissante. Quiconque néglige ce devoir est qualifié de naradhama. Nous apprenons des Ecritures que l'enfant, dans le sein de la mère, prie Dieu qu'Il le libère de sa condition de fœtus, pénible à l'extrême, et Lui fait la promesse, en retour, de n'adorer que Lui. Il est bien naturel de prier Dieu aux moments difficiles, puisque tous les êtres Lui sont éternellement liés. Mais sous l'influence de maya, de l'énergie illusoire, l'enfant, dès qu'il est libéré du sein de la mère, oublie ses souffrances, et du même coup son sauveur.
Le devoir de ceux qui ont charge de l'enfant sera désormais de réveiller sa conscience divine assoupie. Dans la Manu-smrti, véritable guide de la vie spirituelle, dix méthodes de purification nous sont données, au sein du varnasrama-dharma, pour raviver la conscience de Dieu. Mais aujourd'hui, nul n'observe plus rigoureusement aucun de ces principes, et par suite, la population terrestre, dans sa presque totalité, ne compte plus que des naradhamas. Et l'énergie matérielle, toute-puissante, rend vaine la science d'une telle civilisation. Dans la perspective de la Bhagavad-gita, le véritable érudit est l'homme qui parvient à voir d'un œil égal à la fois le sage brahmana, la vache, l'éléphant, le chien et le mangeur de chien. Cette vision est celle du pur bhakta.
Sri Nityananda Prabhu, avatara dans la figure du maître parfait, libéra les frères Jagai et Madhai, les parfaits naradhamas, montrant ainsi que la miséricorde du pur bhakta s'étend même aux plus déchus. Et ce n'est qu'ainsi, par la grâce d'un dévot du Seigneur, que le naradhama, condamné par le Seigneur Lui-même, peut raviver sa conscience spirituelle. Sri Caitanya Mahaprabhu, en préconisant le bhagavata-dharma, l'action dévotionnelle, recommande que l'on écoute avec soumission le message du Seigneur Suprême. Or, la Bhagavad-gita constitue l'essence de ce message, et c'est seulement s'il l'écoute avec soumission que le naradhama peut se libérer; par malheur, les hommes déchus refusent même de lui prêter l'oreille; comment pourraient-ils dès lors s'abandonner à la volonté du Seigneur? En un mot, les naradhamas négligent totalement le premier devoir de l'homme raviver sa conscience spirituelle et renouer le lien qui l'unit à Krsna.
3. Les mayayapahrta-jnanas, ou ceux dont la vaste science a été frappée de nullité par l'emprise de l'énergie matérielle. La plupart sont connus comme de grands érudits philosophes, poètes, hommes de lettre ou de science, mais égarés par l'énergie illusoire, ils agissent contre la volonté du Seigneur.
Grand est aujourd'hui leur nombre, et on en trouve même parmi les "spécialistes" de la Bhagavad-gita. En termes irréfutables, la Bhagavad-gita établit que Sri Krsna est Dieu, la Personne Suprême, à nul autre inférieur ou même égal, que l'Ame Suprême sise dans le cœur de chacun est Son émanation plénière, qu'Il est le père de Brahma, des hommes et des êtres en général, l'origine du Brahman impersonnel et du Paramatma, la source de tout ce qui est, qu'enfin tous doivent s'abandonner à Ses pieds pareils-au-lotus. Or, malgré ces évidences, les mayayapahrta-jnanas considèrent avec ironie la Personne de Dieu, qu'ils rangent parmi le commun des hommes. Ils ignorent que la forme humaine, cette forme privilégiée, n'est qu'une image de la Forme spirituelle et éternelle du Seigneur Suprême. Il refusent donc de s'abandonner aux pieds pareils-au-lotus de Sri Krsna, et naturellement, d'enseigner ce principe fondamental. Par suite, leurs piètres commentaires de la Bhagavad-gita, et leurs interprétations inauthentiques, aparamparas, voilent le sens véritable des textes, ainsi que, du même coup, la compréhension du lecteur. 4. Les asuram bhavam asritas, ou les hommes consciemment, délibérément athées et démoniaques. Certains affirment que Dieu ne peut descendre dans l'univers matériel, sans pouvoir dire, naturellement, ce qui L'en empêcherait. D'autres voudraient même qu'Il ait pour origine le Brahman impersonnel, quand la Bhagavad-gita établit nettement le contraire. Envieux du Seigneur Suprême, ils inventent à leur usage personnel des "incarnations" et des "avataras" de toutes sortes, tous plus faux les uns que les autres. Faisant du refus de la Personne Divine le coeur même de leur existence, ils ne peuvent s'abandonner à Sri Krsna, Dieu tel que Le reconnaissent les Ecritures et les grands acaryas.
Sri Yamunacarya Albandru disait:
"0 Seigneur! Malgré le caractère incomparable de Tes Formes, de Tes Attributs, de Tes Actes, malgré toutes les Ecritures qui, sous le signe de la vertu, confirment Ta nature personnelle, et malgré tous les grands sages et érudits de la science spirituelle qui Te reconnaissent eux aussi comme la Personne Suprême, Tu demeures inaccessible aux athées."
C'est pourquoi, en dépit du conseil de toutes les Ecritures comme de tous les grands sages et érudits, les sots, les derniers des hommes, les "penseurs" mystifiés par leurs propres élucubrations, et les athées déclarés, tels que nous les avons décrits dans ces lignes, ne s'abandonnent jamais aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur Suprême.
janah sukritino ’rjuna
arto jijnasur artharthi
jnani ca bharatarsabha
De quatre ordres, ô Arjuna, les vertueux qui avec dévotion Me servent: le malheureux, le curieux, l'homme qui poursuit la richesse et celui qui désire connaître l'Absolu, ô prince des Bharatas.
Les vertueux, au contraire des mécréants décrits dans le verset qui précède, adhèrent strictement aux principes régulateurs donnés dans les Ecritures, à l'ensemble des lois sociales et morales, et sont, à des degrés divers, dévoués au Seigneur Suprême, d'où leur nom de sukrtinas. On les classe en quatre groupes:
1) ceux qui connaissent le malheur;
2) ceux qui ont besoin d'argent;
3) ceux qui manifestent une certaine curiosité;
4) ceux qui recherchent la Vérité Absolue.
Tous, sous diverses conditions, approchent le Seigneur Suprême en vue de Le servir, mais aucun ne le fait avec pureté, car en échange de leur dévotion, tous cherchent à combler certains désirs. La dévotion pure est dénuée de toute aspiration et de tout désir personnel, matériel. Le Bhakti-rasamrta sindhu la définit de cette manière:
"L'on doit servir favorablement le Seigneur Suprême, Sri Krsna, avec un amour et une dévotion purement spirituels, en s'abstenant d'y mêler des motifs qui relèvent de l'intérêt personnel ou de la spéculation intellectuelle, et rechercher par là quelque récompense matérielle. Telle est la pure bhakti, la dévotion parfaite."
Lorsque les quatre types d'hommes qui viennent au Seigneur pour Le servir se purifient pleinement au contact d'un pur bhakta, à leur tour, ils deviennent semblables à lui. Aux mécréants, il est très difficile de servir le Seigneur, car ils sont égoïstes, irréguliers dans leurs habitudes et sans but spirituel. Cependant, même eux, s'ils approchent un pur bhakta, peuvent devenir de purs dévots du Seigneur.
Les hommes absorbés en des actes intéressés s'approchent parfois du Seigneur lorsque s'abat sur eux le malheur. Ils entrent alors en contact avec de purs bhaktas et adoptent, dans leur malheur, le service de dévotion. Ceux qui sont déçus de tout viennent parfois aussi en contact avec de purs bhaktas, et commencent à s'interroger sur Dieu. Les philosophes insipides eux aussi, parce que frustrés dans leurs recherches, s'intéressent parfois à Dieu et commencent à Le servir; ils dépassent alors la connaissance du Brahman impersonnel et du Paramatma, sis dans le cœur de chacun, pour en venir à concevoir la Forme personnelle de Dieu, et ce, par la seule grâce du Seigneur ou de Son pur dévot. Enfin, quand les malheureux, ceux qui ont besoin d'argent, ceux qu'anime la curiosité et ceux qui recherchent la connaissance sont affranchis de tout désir matériel et réalisent pleinement la différence entre gain matériel et progrès spirituel, ils deviennent des purs bhaktas. Tant qu'ils n'ont pas atteint la pureté, les bhaktas, tout en servant le Seigneur, continuent de poursuivre un but intéressé, de rechercher la connaissance matérielle, de chérir quelque autre objet intérieur. Il est donc nécessaire, pour atteindre à la pure dévotion, d'éliminer ces obstacles.
eka-bhaktir visisyate
priyo hi jnanino ’tyartham
aham sa ca mama priyah
De tous, supérieur est le sage parfait au savoir, que le service de dévotion pur unit à Moi. Je lui suis très cher, comme il M'est aussi très cher.
Affranchis de toute impureté, de tout désir matériel, le malheureux, le sans-le-sou, le curieux et le chercheur de la connaissance suprême, tous peuvent être des purs bhaktas. Mais parmi eux, celui qui approche le Seigneur en connaissance de la Vérité Absolue et libre de motifs personnels, celui-là devient vraiment pur. Et des quatre, celui qui adhère au service de dévotion en pleine connaissance est, dit le Seigneur, le plus grand. Car, en cultivant la connaissance, on réalise d'abord que le moi, l'être, se distingue du corps matériel qu'il habite; puis, en progressant sur cette voie, on découvre le Brahman impersonnel et le Paramatma. Que vienne alors la purification totale, et on prend finalement conscience de sa nature intrinsèque d'éternel serviteur de Dieu. En résumé, au contact des purs bhaktas, le malheureux, celui que poursuit le désir de quelque avantage matériel, celui qu'anime la curiosité et celui qui possède la connaissance, tous se purifient. Mais celui qui, dès le début, approche le Seigneur Suprême avec dévotion, en pleine connaissance, celui-là est très cher au Seigneur. Qui détient la connaissance pure de la Vérité Absolue, de Dieu, la Personne Suprême, bénéficie d'une telle protection dans l'accomplissement de son service au Seigneur qu'aucune influence matérielle ne peut l'affecter.
jnani tv atmaiva me matam
asthitah sa hi yuktatma
mam evanuttamam gatim
Tous ces bhaktas sont certes des âmes magnanimes, mais celui qui Me connaît, Je considère qu'il vit en Moi.
N'allons pas croire, cependant, que ceux qui servent le Seigneur avec une connaissance moins haute se voient privés de Son affection. Il les considère tous comme magnanimes, car quiconque vient à Lui, peu importe pour quels motifs, mérite le titre de mahatma, de "grande âme". Le Seigneur accepte également le service de ceux qui se vouent à Lui par intérêt, car il existe, là aussi, un échange d'amour. Avec affection, ils demandent au Seigneur une récompense matérielle, et quand ils l'obtiennent, ils sont tellement heureux que leur bonheur même les fait progresser sur la voie de la dévotion. Mais celui qui sert le Seigneur Suprême en pleine connaissance de cause n'en demeure pas moins particulièrement cher à Krsna, puisqu'il a pour unique motif de Le servir avec amour et dévotion. Un tel bhakta ne peut vivre un seul instant sans être en contact avec le Seigneur, ou sans Le servir. De même, le Seigneur, très attaché à Son dévot, ne peut être séparé de lui. Krsna Lui-même déclare, dans le Srimad-Bhagavatam:
"Je porte toujours Mes dévots en Mon cœur, comme ils Me portent toujours dans leur coeur. De même que Je suis tout pour eux, Moi, Je ne peux les oublier. La relation la plus intime M'unit aux purs bhaktas. Etablis dans la connaissance, ils ne perdent jamais le lien spirituel qui les unit à Moi; aussi Me sont-ils très chers."
jnanavan mam prapadyate
vasudevah sarvam iti
sa mahatma su-durlabhah
Absorbé dans Mon service absolu, il vient à Moi. Après de nombreuses renaissances, lorsqu'il sait que Je suis tout ce qui est, la Cause de toutes les causes, l'homme au vrai savoir s'abandonne à Moi. Rare un tel mahatma.
Par l'accomplissement du service de dévotion ou des diverses pratiques spirituelles, l'homme peut, après de très nombreuses vies, atteindre à la connaissance pure et voir Dieu, la Personne Suprême, comme le but ultime de la réalisation spirituelle. Au début, le néophyte, luttant pour détruire ses attaches matérielles, tend à se laisser entraîner vers la "théologie négative" de l'impersonnalisme; mais en progressant sur la voie, il comprend qu'il existe aussi des activités spirituelles, lesquelles constituent le service de dévotion. Il commence alors à s'attacher au Seigneur Suprême en tant que Personne, pour finalement s'abandonner à Lui. Il réalise alors que rien n'a plus d'importance que la miséricorde de Krsna, que Krsna est la cause de toutes les causes et que l'univers matériel n'a, hors de Lui, aucune indépendance propre. Il comprend que ce monde n'est qu'une manifestation fragmentaire de la diversité spirituelle et que tout est lié au Seigneur Suprême, Sri Krsna. Il voit tout en relation avec Vasudeva, ou Sri Krsna, et cette vision universelle le projette vers le but ultime, l'abandon total au Seigneur Suprême, Sri Krsna. Mais infiniment rare est un tel mahatma. On trouve ce verset expliqué au troisième chapitre de la Svetasvatara Upanisad
"Dans le corps se trouvent les pouvoirs de parler, de voir, d'entendre, de penser même, mais tous ces actes n'ont de valeur que liés au Seigneur Suprême. Parce que Vasudeva est omniprésent, parce que tout est Vasudeva, le sage, en pleine connaissance, s'abandonne entièrement à Lui."
prapadyante ’nya-devatah
tam tam niyamam asthaya
prakritya niyatah svaya
Ceux dont le mental est déformé par les désirs matériels se vouent aux devas; ils suivent, chacun selon leur nature, les divers rites propres à leur culte.
Ceux qui sont lavés de toute souillure matérielle s'abandonnent au Seigneur Suprême et Le servent avec amour et dévotion. Mais non encore entièrement purifié, l'être conserve sa nature d'abhakta. Pourtant, s'ils s'en remettent au Seigneur, même ceux qu'envahissent encore les désirs matériels perdent rapidement leur attrait pour le monde extérieur, car, ayant emprunté la bonne voie, ils s'affranchissent bientôt de la concupiscence. Le Srimad-Bhagavatam enjoint à tous les êtres, qu'ils soient libres de tout désir matériel ou qu'ils en soient, au contraire, saturés, qu'ils aspirent encore à s'affranchir de la matière ou qu'ils soient déjà des purs bhaktas, désintéressés des plaisirs du monde, de s'abandonner à Vasudeva et de L'adorer.
Le même texte nous apprend encore que des êtres à l'intelligence réduite, ayant perdu leur raison spirituelle, préfèrent rendre un culte aux devas, afin d'assouvir rapidement leurs désirs matériels, plutôt que d'aller sans détour à Dieu, la Personne Suprême; la cause en est le joug que font peser sur eux les trois gunas, plus particulièrement la passion et l'ignorance. Ils suivent donc les règles du culte aux devas et voient bientôt leurs souhaits exaucés. Mais, esclaves de la mesquinerie de leurs désirs matériels, ils ignorent le but suprême. Parce que les Vedas recommandent, pour obtenir temporairement certains bienfaits matériels, de rendre un culte aux devas (le soleil, par exemple, pour avoir la santé), ils croient ces derniers plus puissants, plus aptes à satisfaire leurs demandes que Dieu Lui-même. Mais le dévot du Seigneur ne se laisse pas égarer de la sorte, il sait bien que Krsna, la Personne Suprême, est le maître de tous, hommes ou devas. Ce que confirme d'ailleurs le Caitanya-caritamrta, où il est dit que seul Krsna, Dieu, est maître, et tous les autres êtres Ses serviteurs. Le pur bhakta, pour satisfaire ses besoins matériels, n'approche donc jamais les devas; il s'en remet entièrement au Seigneur Suprême et se satisfait pleinement de ce qu'il reçoit de Lui.
shraddhayarcitum icchati
tasya tasyacalam shraddham
tam eva vidadhamy aham
J'habite le coeur de chacun en tant qu'Ame Suprême. Et dès qu'un homme désire rendre un culte aux devas, c'est Moi qui affermis sa foi et lui permets ainsi de se vouer au deva qu'il a choisi.
Dieu a doté chaque être d'un certain pouvoir de libre arbitre: si l'un d'eux aspire aux plaisirs matériels, et désire sincèrement, pour cela, faire appel aux devas, le Seigneur, présent en tant qu'Ame Suprême dans le cœur de chacun, comprendra son souhait et y accédera. Père de tous les êtres, Il ne réprime pas leur volonté d'indépendance; au contraire, Il leur donne toutes facilités pour satisfaire leurs désirs matériels. On peut se demander pourquoi Dieu, tout-puissant, permet ainsi aux êtres de jouir de la matière, et de se prendre au piège de l'énergie illusoire. Mais si, en tant qu'Ame Suprême, Il ne donnait pas cette licence aux êtres distincts, où serait leur liberté? Il laisse donc tous les êtres entièrement libres d'agir à leur guise, mais Il leur donne, dans la Bhagavad-gita, Son enseignement ultime: qu'ils laissent tout pour entièrement s'abandonner à Lui et faire ainsi leur propre bonheur.
Hommes et devas, comme tous les êtres, sont placés sous la volonté de Dieu, la Personne Suprême. Le culte aux devas ne dépend donc pas du seul désir de l'homme, pas plus que les devas ne peuvent, d'eux-mêmes, lui accorder leurs bienfaits. Il nous est d'ailleurs dit que pas un brin d'herbe ne bouge indépendamment de la volonté du Seigneur Suprême. Généralement, ceux qui souffrent approchent les devas, suivant la recommandation des Vedas. Ainsi, pour obtenir tel ou tel bienfait, on rendra un culte à tel, ou tel deva. Qui veut recouvrer la santé rend un culte au deva du soleil, qui aspire à l'érudition rend un culte à Sarasvati, la déesse du savoir, et qui désire une belle épouse à Uma, la femme de Siva. Ce sont là quelques exemples des indications données dans les sastras (les Ecritures védiques) concernant les divers cultes rendus aux multiples devas. A celui qui désire obtenir un bienfait particulier, le Seigneur donne l'inspiration et la détermination grâce auxquelles il approchera le deva capable de le lui accorder; et ainsi, il l'obtient. De même, la dévotion particulière qu'éprouve tel ou tel individu pour un certain deva vient du Seigneur et non du deva lui-même; seul Krsna, l'Ame Suprême sise dans le cœur de tous les êtres, peut inspirer l'homme dans son culte des différents devas. Car, tous les devas forment en réalité divers membres du corps universel du Seigneur Suprême, et n'ont donc aucune indépendance propre. On trouve, dans le premier anuvaka de la Taittiriya Upanisad, le verset suivant:
"En tant que Paramatma, Dieu, la Personne Suprême, habite aussi dans le coeur des devas; c'est Lui qui fait en sorte que les devas comblent les désirs des hommes. Ni les devas ni les hommes ne sont indépendants. Toujours ils dépendent de la volonté suprême.
tasyaradhanam ihate
labhate ca tatah kaman
mayaiva vihitan hi tan
Plein de cette foi, il demande au deva certaines faveurs, et voit ses désirs comblés. Mais en réalité, ces bienfaits viennent de Moi seul.
Les devas ne peuvent rien accorder à leurs adorateurs sans la sanction du Seigneur Suprême. L'homme peut oublier que tout appartient au Seigneur, mais pas les devas. C'est pourquoi, en résumé, le culte des devas ne porte ses fruits que par un arrangement de Dieu, l'Etre Suprême. Ignorant la suprématie du Seigneur, certains inintelligents, prêts à tout pour assouvir leur concupiscence, persistent, pour combler des désirs illégitimes que le Seigneur refuse de leur accorder autrement, à s'adresser aux devas. Le pur bhakta, lui, s'en remet pour tous ses besoins au Seigneur et à Lui seul. Cependant, jamais il ne demande quoi que ce soit de matériel. Le Caitanya-caritamrta précise que garder en soi le désir de jouir matériellement est incompatible avec l'adoration du Seigneur. Le culte des devas ne peut donc jamais être considéré égal au service de dévotion, à l'adoration du Seigneur Suprême: l'un reste matériel, l'autre est purement spirituel.
Les désirs matériels constituent un obstacle pour qui veut retourner à Dieu. C'est pourquoi le Seigneur ne saurait accorder à Ses dévots les satisfactions matérielles que convoitent les adorateurs des devas, lesquels vivent dans l'univers de la matière, plutôt que de servir Krsna, le Seigneur Suprême, avec amour et dévotion.
tad bhavaty alpa-medhasam
devan deva-yajo yanti
mad-bhakta yanti mam api
Les hommes à l'intelligence brève rendent un culte aux devas; éphémères et limités sont les fruits de leur adoration. Qui se voue aux devas atteint leurs planètes, quand Mes dévots, cependant, certes, atteignent Ma planète, la suprême.
Certains commentateurs de la Bhagavad-gita prétendent qu'on peut atteindre le Seigneur Suprême en vénérant les devas, mais ce verset l'établit clairement: les adorateurs des devas iront sur les planètes des devas, seuls les dévots du Seigneur retournent à Lui. Celui qui révère le deva du soleil ira sur le soleil, celui qui prie le deva de la lune ira sur la lune, et celui qui rend un culte à Indra ira sur la planète d'Indra, mais ce n'est jamais en adorant l'un ou l'autre des devas que l'on atteindra Dieu, la Personne Suprême. Les adorateurs des devas, comme l'explique ce verset, gagneront les diverses planètes de l'univers matériel, quand les bhaktas iront directement sur la planète suprême, la demeure de Dieu, dans le monde spirituel.
Certains objecteront que si les devas constituent, comme on l'a dit plus haut, diverses parties du corps du Seigneur Suprême, c'est Lui qu'on atteint en les adorant, tout aussi bien que par le service direct de Krsna. Raisonnement puéril, digne d'un esprit qui croirait qu'on nourrit le corps en nourrissant chacune des parties qui le constituent. Quelle sottise! Qui donc peut nourrir son corps par les yeux ou les oreilles? De telles croyances prouvent qu'on n'a pas vraiment réalisé que les devas sont divers membres du corps universel du Seigneur Suprême; chacun, pensent nos ignorants, est un Dieu distinct du Seigneur Suprême, et capable d'entrer en compétition avec Lui.
Ce ne sont pas seulement les devas qui forment le corps universel du Seigneur, mais aussi tous les autres êtres. Le Srimad-Bhigavatam donne les brahmanas pour sa tête, les ksatriyas pour ses bras, et ainsi de suite, chaque catégorie d'être remplissant une fonction différente. Celui qui, en toutes circonstances, garde à l'esprit que les êtres sans exception, hommes et devas, font partie intégrante du Seigneur, détient la connaissance parfaite. Mais oublier cette notion fondamentale, et porter son adoration vers les devas, c'est limiter son voyage à des planètes encore fort éloignées de la destination ultime qu'atteignent les bhaktas.
Les bienfaits accordés par les devas ne peuvent être que périssables, puisque tout en ce monde, et les planètes, et les devas, et leurs adorateurs, est périssable. Ce verset insiste donc sur la précarité du culte aux devas, réservé aux esprits défaillants. Ses fruits diffèrent en tout de ceux récoltés par les purs bhaktas, qui s'absorbent dans la conscience de Krsna, dans le service d'amour et de dévotion offert à la Personne Suprême, et connaissent ainsi une existence éternelle, où abondent la connaissance et la félicité. Le Seigneur est infini, comme sont infinis Sa grâce, Sa miséricorde, et la faveur qu'Il montre à Ses purs dévots.
manyante mam abuddhayah
param bhavam ajananto
mamavyayam anuttamam
Les hommes sans intelligence, ne Me connaissant point, croient que J'emprunte cette Forme, cette personnalité. Leur ignorance les empêche de connaître Ma nature, suprême et immuable.
En premier lieu, ce furent les adorateurs des devas que le Seigneur a décrits comme d'intelligence moindre. A présent, vient le tour des impersonnalistes. Paradoxalement, c'est Krsna, Dieu en personne, qui parle ici à Arjuna, et les impersonnalistes, dans leur ignorance, continuent de prétendre que le Seigneur Suprême n'a pas de forme. A ce propos, Yamunacarya, grand bhakta et maître dans la filiation spirituelle de Ramanujacarya, écrivit fort justement:
"Mon cher Seigneur, de grands sages comme Vyasadeva et Narada Te reconnaissent comme Dieu, la Personne Suprême. A la lumière des Textes védiques, on peut connaître Tes Attributs, Ta Forme et Tes Activités; on peut comprendre ainsi que Tu es la Personne Divine. Mais ceux qu'agitent la passion et l'ignorance, les asuras, ou les abhaktas, ne peuvent ni Te connaître ni même concevoir Ta Personne. Si experts soient-ils à discuter le Vedanta, les Upanisads et les autres Ecrits védiques, jamais ils ne parviennent à Te connaître, Toi, Dieu, la Personne Suprême."
La Brahma-samhita mentionne par ailleurs la même idée, que nul ne peut connaître le Seigneur Suprême par la simple étude du Vedanta. En effet, seule Sa miséricorde nous donnera de Le connaître.
Ce verset classe donc avec certitude comme d'intelligence médiocre, outre les adorateurs des devas, les abhaktas engagés dans l'étude du Vedanta, spéculant sur les Ecritures védiques sans le moindre soupçon de conscience de Krsna, et auxquels il est donc impossible de comprendre la nature personnelle de Dieu. On désigne sous le nom d'asuras tous ceux qui croient impersonnelle la Vérité Absolue, car ils se trompent totalement sur Son aspect ultime. En effet, le Srimad-Bhagavatam décrit ainsi les étapes de la réalisation de l'Absolu: d'abord la réalisation du Brahman impersonnel, puis celle du Paramatma, Son aspect "localisé", et enfin, celle de Son aspect ultime et complet, de Sa Forme personnelle, en la Personne du Seigneur Suprême.
Les impersonnalistes, aujourd'hui, de bien piètre intelligence, ne suivent plus même leur chef de file, Sankaracarya, qui avait ouvertement reconnu Krsna comme Dieu, la Personne Suprême. Ignorants de la Vérité Absolue, ils envisagent Krsna simplement comme le fils de Vasudeva et Devaki, un prince quelconque, ou une manière de surhomme. La Bhagavad-gita les condamne en affirmant que seuls les insensés voient Krsna comme une personne ordinaire. Elle assure d'autre part que nul ne peut comprendre Krsna s'il ne pratique le service de dévotion et ne s'efforce de développer la conscience de Krsna.
Les spéculations intellectuelles et les discussions sur les Textes védiques ne permettent pas à elles seules de comprendre Krsna, la Personne Suprême, de connaître Sa Forme, Son Nom ou Ses Attributs. Il faut, pour en approcher, le service de dévotion. Ce n'est qu'en chantant le maha-mantra:
hare krsna hare krsna krsna krsna hare hare
hare rama hare rama rama rama hare hare
et en s'engageant tout entier dans la conscience de Krsna qu'on pourra comprendre Dieu, la Personne Suprême. Les abhaktas croient le Corps de Krsna matériel, et que Ses Activités, Son Nom, Sa Forme, sont tous le fruit de l'illusion, de maya: ces impersonnalistes, connus sous le nom de mayavadis, n'entendent évidemment rien à la Vérité Suprême et Absolue.
Le vingtième verset de ce chapitre parlait de ceux qui, aveuglés par de trop ardents désirs, se vouent aux devas. On a vu aussi, dans le verset précédent, qu'outre Dieu, la Personne Suprême, qui possède Sa propre planète, spirituelle, les devas règnent également chacun sur une planète qui leur est propre, mais dans l'univers matériel; et que ceux qui vénèrent les devas iront sur leur planète respective, tandis que les dévots de Krsna gagneront Krsnaloka, la planète suprême. On ne peut être plus précis. Néanmoins, les impersonnalistes, dans leur sottise, continuent de maintenir que Dieu n'a pas de forme autre que celles qu'on Lui impose. La Bhagavad-gita, quant à elle, ne décrit pas les devas et leurs planètes pour dépourvus de forme. Il en ressort au contraire que ni les devas ni Krsna, la Personne Suprême, ne sont impersonnels, qu'ils ont une existence de personne et possèdent chacun leur planète, aussi réelle qu'eux.
La controverse soulevée par les monistes, selon qui la Vérité Suprême et Absolue n'a pas de forme autre qu'imaginaire, se révèle donc sans fondement. La Forme de l'Absolu n'a rien de fictif. La Bhagavad-gita nous enseigne clairement que les formes des devas et celle du Seigneur Suprême existent simultanément; que Dieu, Krsna, est sad-cid-ananda, personnification de la connaissance éternelle et béatifique. Les Vedas confirment à leur tour que la Vérité Suprême et Absolue est anandamaya, "débordante de félicité", par nature abhyasat, source inépuisable de qualités heureuses. Ailleurs encore dans la Bhagavad-gita, le Seigneur déclare que, bien que non né (aja), Il apparaît en personne. Tels sont les faits décrits dans la Bhagavad-gita, et que nous devrions comprendre. Comment Dieu, la Personne Suprême, pourrait être impersonnel? La Bhagavad-gita ne réfute-t-elle pas avec suffisamment de clarté la théorie des impersonnalistes, voulant qu'on ait imposé une forme à un Dieu sans forme? Il est évident, par les lignes du texte sacré, que la Vérité Suprême et Absolue, Krsna, est un Etre personnel, doté d'une Forme.
yoga-maya-samavrtah
mudho ’yam nabhijanati
loko mam ajam avyayam
Je ne Me montre jamais aux sots ni aux insensés ; par Ma puissance interne [yoga-maya], Je suis pour eux voilé. Ce monde égaré ne Me connaît donc point, Moi le Non-né, l'Impérissable.
On peut se demander pour quelle raison Krsna, jadis présent sur Terre et visible aux yeux de tous, ne l'est plus aujourd'hui. Mais, en réalité, bien que présent, Il n'était pas manifesté aux yeux de tous; seule une poignée d'hommes Le connaissaient comme le Seigneur Suprême. Lorsqu'au milieu des Kurus, Sisupala juge publiquement Krsna indigne d'être choisi comme chef des personnalités réunies là, Bhisma s'empresse de Le défendre en proclamant qu'Il est Dieu Lui-même. Les Pandavas et quelques autres savaient également qui était Krsna, mais pas tous. Krsna ne fut pas révélé en tant que tel au commun des hommes et à l'abhakta. C'est pourquoi, dans la Bhagavad-gita, Krsna enseigne qu'à l'exception de Ses dévots, tous Le prennent pour un homme ordinaire. Ainsi, Ses dévots, et eux seuls, Le virent comme la source de toute joie. Pour les autres, pour les abhaktas privés de vision, Il demeura voilé par Sa puissance éternelle. Ce que confirme le Srimad-Bhagavatam, où Kunti, dans ses prières au Seigneur, Le décrit comme recouvert par le voile de la yoga-maya, en sorte qu'un homme ordinaire ne peut Le comprendre. Elle prie encore:
"0 mon Seigneur, Tu soutiens l'univers tout entier, et Te servir avec amour est le plus haut principe spirituel. Soutiens-moi, je T'en prie, Toi dont la Forme spirituelle est voilée par le brahmajyoti, par la yoga-maya, Ta puissance interne; daigne ôter ces rayons éblouissants qui ne me laissent pas voir Ta Forme éternelle de connaissance et de félicité (sac-cid-ananda-vigraha)."
Le quinzième chapitre de la Bhagavad-gita traite également du voile de la yoga-maya: la Forme absolue de Dieu, la Personne Suprême, toute de connaissance et de félicité, est voilée par la puissance éternelle du brahmajyoti; et c'est pourquoi les impersonnalistes, de peu d'intelligence, ne peuvent voir l'Etre Suprême. Brahma, dans le Srimad-Bhagavatam, adresse au Seigneur cette prière:
"0 Etre Divin, ô Ame Suprême, ô maître de tous les secrets, qui, en ce monde, pourrait évaluer Ta puissance et Tes Divertissements? Tu étends toujours davantage Ta puissance éternelle, et ainsi, nul ne Te peut saisir. Savants, érudits, scrutent l'atome et les planètes et Tu Te dresses devant eux, mais ils demeurent à jamais incapables de mesurer Ta puissance et Ton énergie." (S.B., 10.14.7).
Krsna, Dieu, l'Etre Souverain, n'est pas seulement le Non-né, Il est aussi intarissable, impérissable (avyaya). Sa Forme éternelle est toute de connaissance et de félicité; Ses énergies sont toutes inépuisables.
vartamanani carjuna
bhavisyani ca bhutani
mam tu veda na kascana
Parce que Je suis Dieu, la Personne Suprême, ô Arjuna, Je sais tout du passé, du présent et de l'avenir. Je connais aussi tous les êtres; mais Moi, nul ne Me connaît.
Ce verset tranche définitivement le dilemme entre personnalisme et impersonnalisme. Si la Forme de Krsna, la Personne Suprême, était maya, c'est-à-dire matérielle, comme le prétendent les impersonnalistes, il faudrait supposer que, semblable à tous les êtres, Il change sans fin de corps et oublie le déroulement de Ses vies passées. En effet, nul être revêtu d'un corps matériel ne peut se rappeler ses vies antérieures, pas plus que prédire son avenir, dans cette vie ou dans l'autre, il ne peut voir le passé, le présent ou le futur; à moins d'être libéré, nul ne le peut.
Cependant, Krsna, qui n'appartient pas au commun des mortels, affirme tout savoir du passé, du présent et du futur. Nous avons pu constater, par exemple, dans le quatrième chapitre, qu'il Se rappelle avoir instruit Vivasvan, le deva du soleil, voici des millions d'années. Krsna connaît aussi tous les êtres en même temps, car Il habite le coeur de chacun d'eux. Et pourtant, bien qu'il demeure à l'intérieur de chaque être en tant qu'Ame Suprême, qu'il demeure au-delà de l'univers matériel en tant que Personne Divine et Absolue, les êtres à l'intelligence limitée ne peuvent comprendre qu'il est le Seigneur Suprême, au Corps impérissable. Il est le soleil, que cache le nuage de maya. Nous voyons, dans le ciel, le soleil, les planètes et les étoiles. Mais parfois, les nuages nous les dérobent temporairement. Or, ce voile n'est un voile que pour nos sens imparfaits, car le soleil, la lune et les étoiles ne sont pas vraiment cachés. De même, maya ne peut envelopper le Seigneur Suprême; mais Celui-ci, par Sa puissance interne, n'est pas manifesté aux yeux des hommes de moindre intelligence. Tel qu'expliqué dans le troisième verset de ce chapitre, seuls quelques hommes, entre des millions, tentent de parfaire leur existence; et parmi eux, un seul peut-être parvient à connaître Krsna. Donc, même si on est accompli dans la réalisation du Brahman impersonnel ou de l'omniprésent Paramatma, il demeure impossible, sans conscience de Krsna, de réaliser Bhagavan, Sri Krsna, Dieu, la Personne Suprême.
dvandva-mohena bharata
sarva-bhutani sammoham
sarge yanti parantapa
O descendant de Bharata, ô vainqueur des ennemis, tous les êtres naissent dans l'illusion, ballottés par les dualités du désir et de l'aversion.
La véritable position, originelle, naturelle et éternelle, de l'être distinct est une position de subordination par rapport au Seigneur Suprême, l'Etre de pur savoir. Lorsqu'on erre, et qu'on se coupe du pur savoir, on tombe alors sous le joug de l'énergie illusoire, qui nous rend incapables de comprendre Dieu, la Personne Suprême. L'énergie illusoire se manifeste dans la dualité du désir et de l'aversion. C'est en effet cette dualité qui pousse l'ignorant à s'identifier au Seigneur Suprême, à envier la divinité absolue de Krsna. Les purs bhaktas, qui ne sont pas souillés, ou illusionnés, ni par le désir, ni par l'aversion, peuvent comprendre que Sri Krsna, le Seigneur, apparaît de par Sa puissance interne; ceux qu'égarent la dualité et l'ignorance continuent de croire que Dieu, la Personne Suprême, est une création des énergies matérielles. Telle est leur infortune. Et, marque de leur aveuglement, ils passent sans fin par le feu, des dualités -honneur et déshonneur, bonheur et malheur, masculin et féminin, bien et mal, joies et peines, et ainsi de suite pensant à chaque fois: "Je suis" l'époux de cette femme; "Je suis" le propriétaire de cette maison; voilà "ma" femme; voilà "ma" maison; voilà "mon" bonheur. Ainsi agissent les dualités illusoires; ceux qu'elles séduisent perdent la tête et deviennent incapables de comprendre Dieu, la Personne Suprême.
jananam punya-karmanam
te dvandva-moha-nirmukta
bhajante mam drdha-vratah
Mais les hommes libres de ces dualités, fruits de l'illusion, les hommes qui, dans leurs vies passées comme dans cette vie, furent vertueux, les hommes en qui le péché a pris fin, ceux-là Me servent avec détermination.
Ce verset touche aux êtres qui se sont qualifiés pour atteindre le niveau spirituel et absolu. Les pécheurs, les athées, les insensés, les fourbes, ont bien du mal à franchir le cap de la dualité, le cap du désir et de l'aversion. Seuls ceux qui ont modelé leur vie sur les principes régulateurs de la vie spirituelle, qui ont agi saintement et détruit les conséquences de tous leurs actes coupables, peuvent embrasser le service de dévotion et s'élever graduellement jusqu'à la pure connaissance de Dieu, la Personne Suprême. Alors seulement, ils pourront s'absorber en méditation parfaite sur le Seigneur Suprême. C'est ainsi qu'on s'élève au niveau spirituel. Et cette élévation est possible pour celui qui vit dans la conscience de Krsna, en compagnie de purs bhaktas, capables de l'arracher aux griffes de l'illusion.
Le Srimad-Bhagavatam assure en outre que pour atteindre la libération, il faut se mettre au service des bhaktas, qui parcourent le monde à seule fin d'éveiller les âmes assoupies dans leur conditionnement. Ceux qui, au contraire, vivent au milieu de matérialistes, se préparent un chemin vers l'existence la plus ténébreuse. Quant aux impersonnalistes, ils ignorent qu'en oubliant leur nature éternelle, qui est de servir le Seigneur Suprême, ils violent Sa loi au plus haut point. A moins, donc, de recouvrer sa position naturelle, impossible de comprendre Dieu, l'Etre Souverain, ou de s'absorber pleinement en Son service d'amour.
mam asritya yatanti ye
te brahma tad viduh krtsnam
adhyatmam karma cakhilam
Par le service de dévotion, ils prennent refuge en Moi, ces hommes d'intelligence qui s'appliquent à s'affranchir de la vieillesse et de la mort. En vérité, ils sont au niveau du brahman: ils possèdent entière la connaissance des actes, spirituels ou matériels.
La naissance, la maladie, la vieillesse et la mort affectent le corps de matière, mais non l'âme spirituelle. Ainsi, l'être qui obtient un corps spirituel, qui devient un compagnon du Seigneur, destiné à Le servir éternellement, avec amour et dévotion, atteint la parfaite libération. Les Ecritures nous enseignent à réaliser que nous sommes brahman, âme spirituelle. Cette vision, comme l'indique ce verset, participe de l'exercice du service de dévotion; le pur bhakta a atteint le niveau du brahman, le niveau absolu, car il connaît la réalité des actes matériels et spirituels.
Quatre types d'êtres impurs, nous l'avons vu, acceptent le service absolu du Seigneur en poursuivant divers buts, qu'ils atteignent; lorsque, par la grâce du Seigneur Suprême, ils sont, au-delà de ces buts, devenus parfaitement conscients de Krsna, ils peuvent alors jouir de Sa compagnie spirituelle. Mais jamais les adorateurs des devas n'atteignent le Seigneur Souverain sur Sa planète suprême. De même, ceux qui ne réalisent que le Brahman impersonnel sont considérés comme d'intelligence moindre, et ne peuvent atteindre Goloka Vrndavana, la planète de Krsna. Au vrai, seuls les êtres agissant dans la conscience de Krsna (mam asritya) sont dignes d'êtres appelés brahman, car ils n'éprouvent aucun doute sur la suprématie de Krsna et font les efforts nécessaires pour atteindre Sa planète.
Ceux qui adorent Krsna dans la Forme arca, ou qui, pour se libérer de la matière méditent sur Lui, connaissent également, par Sa grâce, le sens profond des mots brahman, adhibhuta, etc., que Krsna explique dans le chapitre suivant.
sadhiyajnam ca ye viduh
prayana-kale ’pi ca mam
te vidur yukta-cetasah
Qui Me connaît comme le Seigneur Suprême, Principe même de la manifestation matérielle, Source des devas et Maître de tous sacrifice, peut, le mental fixe, même à l'instant de mourir, Me saisir et Me connaître encore.
L'être qui agit dans la conscience de Krsna ne peut jamais tout à fait s'écarter de la voie de la réalisation de Dieu, la Personne Suprême. En contact avec cette conscience de Krsna, contact purement spirituel, on en vient à comprendre comment le Seigneur Suprême est le principe qui régit la nature matérielle tout entière, sans excepter les devas. Graduellement, on s'attache à Krsna, si bien qu'au moment de la mort, il est impossible de L'oublier. Alors, naturellement, on atteint à la planète du Seigneur, Goloka Vrndavana.
Ce chapitre a expliqué de façon plus précise comment devenir parfaitement conscient de Krsna. Le premier pas dans cette voie consiste à toujours vivre en compagnie des bhaktas, lien purement spirituel qui a le pouvoir de nous mettre en contact direct avec Krsna, dont la grâce nous rend alors capables de comprendre qu'il est Dieu, l'Etre Suprême. A ce point, on connaît simultanément la nature éternelle de l'être distinct, la raison qui lui fait oublier Krsna et, par suite, l'enchaîne aux actes matériels. En effet, celui qui, au contact des bhaktas, ravive sa conscience de Krsna, comprend comment, pour L'avoir oublié, il s'est trouvé conditionné par les lois de la nature matérielle. Il voit également sa forme humaine comme une occasion de raviver sa conscience de Krsna, comprend qu'elle doit être pleinement utilisée à obtenir la miséricorde immotivée du Seigneur Suprême.
Nous avons rencontré plusieurs sujets dans ce chapitre: les types d'hommes qui viennent à Krsna, la connaissance du Brahman et du Paramatma, la libération de la naissance, de la maladie et de la mort, et l'adoration du Seigneur Suprême. Toutefois, l'être qui est vraiment avancé dans la conscience de Krsna ne s'attarde pas aux divers moyens de réalisation spirituelle. Il s'absorbe pleinement dans la pratique de la conscience de Krsna et retrouve par là sa condition naturelle et éternelle de serviteur de Dieu. Il trouve alors grande joie à entendre ce qui a trait au Seigneur, à Le glorifier, à Le servir avec un amour et une dévotion purs. Il sait qu'en suivant cette voie, il atteindra tous ses buts, verra tous ses désirs comblés. On désigne cette foi ferme du nom de drdha-vrata, et elle constitue la première étape sur la voie du bhakti-yoga, le sublime service d'amour offert au Seigneur Suprême.
Tel est le verdict de tous les Ecrits sacrés. Et ce septième chapitre de la Bhagavad-gita révèle l'essence même de cette conviction, le drdha-vrata.
Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta sur le septième chapitre de la Srimad-Bhagavad-gita, intitulé. "La connaissance de l'Absolu ".