Les gloires de l'absolu
bhuya eva maha-baho
shrinu me paramam vacah
yat te ’ham priyamanaya
vaksyami hita-kamyaya
Le Seigneur Suprême dit :
Encore une fois, ô Arjuna aux-bras-puissants, Mon ami très cher, écoute Ma parole suprême, dite pour ton bien, et qui t'apportera la joie.
Parasara Muni donne du mot parama la définition suivante: celui qui possède, dans leur plénitude, les six perfections -beauté, richesse, renommée, puissance, sagesse et renoncement c'est-à-dire Dieu, la Personne Suprême. Parasara Muni, comme tous les sages de sa dimension, a reconnu en Krsna cette Personne Suprême, qui, durant Son séjour sur Terre, laissa paraître aux yeux du monde toutes ces perfections. Krsna a déjà décrit, commençant dès le septième chapitre, Ses diverses énergies ainsi que leurs fonctions, afin de donner à l'homme une foi profonde en la voie dévotionnelle, ce que visait plus particulièrement le chapitre précédent. Il offre maintenant, dans ce chapitre, une connaissance plus intime encore de Ses gloires et de Ses Actes sublimes, et continue d'entretenir Arjuna de Ses manifestations et de Ses gloires diverses.
Plus on entend parler de l'Etre Suprême, et plus on gagne de fermeté dans le service de dévotion. Aussi doit-on toujours, en la compagnie de Ses dévots, écouter les louanges du Seigneur, et stimuler ainsi notre dévotion. Seuls les hommes assoiffés de la conscience de Krsna peuvent prendre part, parmi les bhaktas, à cette glorification du Seigneur. Pour les abhaktas, c'est chose impossible. Et ici, Krsna l'exprime clairement: c'est parce qu'Arjuna Lui est très cher que, pour son bien, Il va l'entretenir de Ses gloires.
prabhavam na maharsayah
aham adir hi devanam
maharsinam ca sarvasah
Ni les multitudes de devas, ni les grands sages ne connaissent Mon origine, car en tout, Je suis des uns comme des autres la Source.
Krsna est le Seigneur Suprême, la cause de toutes les causes, et nul ne Le dépasse. Cet enseignement de la Brahma-samhita est ici corroboré par le Seigneur en personne, qui déclare être la source de tous les sages. Or, affirme le Srimad-Bhagavatam, ni les devas ni les sages ne peuvent vraiment comprendre Krsna, Son Nom, Sa Personnalité. Que dire alors des prétendus érudits de notre insignifiante planète? Nul ne sait voir pourquoi le Seigneur Suprême vient sur Terre, tel un homme ordinaire, et Se comporte d'une façon tout à la fois commune et, pourtant, extraordinaire. C'est que la qualité requise pour connaître Krsna n'est pas l'érudition; la preuve en est que même les devas et les grands sages ont failli dans leurs tentatives de Le connaître par la spéculation intellectuelle. Car leurs spéculations, limitées par des sens imparfaits, même si elles peuvent les conduire jusqu'à l'impersonnalisme, jusqu'à comprendre que Dieu n'est pas issu des trois gunas, ou même à donner de Lui certaines définitions imaginaires, jamais ne leur permettent de connaître Sa vraie nature.
Krsna, par un certain biais, enseigne que si un homme désire connaître la Vérité Absolue, il lui faut savoir reconnaître qu'il est Dieu, la Personne Suprême, l'Etre Absolu. Car, même si on ne peut percevoir la présence personnelle du Seigneur inconcevable, Il n'en existe pas moins pour autant. On peut d'ailleurs, par la simple étude de Ses paroles dans la Bhagavad-gita et le Srimad-Bhagavatam, comprendre la nature de Krsna, éternelle, toute de connaissance et de félicité. Cependant, si l'on reste conditionné par l'énergie inférieure de Dieu, on pourra peut-être concevoir le Brahman impersonnel, mais jamais la Personne Suprême, que l'on ne réalise qu'au niveau spirituel pur.
Krsna descend sur Terre par Sa grâce immotivée pour les élucubrateurs de toutes espèces, pour aider la grande masse des populations formées d'hommes incapables de comprendre Sa véritable nature. Mais l'énergie matérielle les souille tous à tel point qu'en dépit de Ses Actes merveilleux, ils persistent à croire que le Brahman impersonnel est l'aspect suprême de Dieu. Seuls les bhaktas, totalement voués au Seigneur Suprême, peuvent, par Sa grâce, comprendre qu'il n'est nul autre que Krsna. Ils ne se soucient point du Brahman, l'aspect impersonnel de Dieu; leur foi et leur dévotion les amènent à s'abandonner aussitôt aux pieds du Seigneur Suprême, Krsna, et, de par Sa grâce immotivée, ils parviennent à Le comprendre. Cela n'est possible à nul autre. Aussi les grands sages s'entendent-ils sur la définition de l'Absolu, qu'on nomme aussi atma: Celui que nous devons adorer.
vetti loka-maheshvaram
asammudhah sa martyesu
sarva-papaih pramucyate
Qui Me sait non né, sans commencement, le Souverain de tous les mondes, celui-là, sans illusion parmi les hommes, devient libre de tout péché.
Comme le mentionnait le septième chapitre, ceux qui essaient d'atteindre à la réalisation spirituelle ne sont pas des hommes ordinaires; ils s'élèvent au-dessus des millions d'êtres qui n'en ont pas même conscience. Mais parmi ceux qui s'efforcent de connaître leur identité spirituelle, celui qui parvient à comprendre que Krsna, est Dieu, la Personne Suprême, le Non-né, possesseur de tout ce qui est, cet homme connaît la réalisation la plus haute, la réussite spirituelle la plus grande. Alors seulement, pleinement conscient de la nature suprême de Krsna, il peut s'affranchir tout entier des conséquences de ses péchés.
Dans ce verset, le mot ajam, "non né", ne s'applique pas à l'être distinct, que le second chapitre qualifiait également d'ajam. Le Seigneur diffère des âmes conditionnées, qui, par attachement matériel, doivent naître et mourir. Tandis que le corps des âmes conditionnées change sans fin, le Sien demeure immuable: Il reste le même Non-né, même lorsqu'il descend dans l'univers matériel, et pour que ce fait soit bien clair, le quatrième chapitre a montré que, par le fait de Sa puissance interne, le Seigneur n'est jamais assujetti à l'énergie inférieure: Il Se situe toujours dans l'énergie supérieure.
Krsna, distinct de Sa création, existait avant elle. Il n'a pas, comme les devas, été créé avec l'univers matériel. C'est pourquoi Il Se distingue même des grands devas de l'univers, tels Brahma, Siva, etc. Il est Lui-même le créateur de Brahma et de Siva, comme de tous les autres devas; Il est le maître, le souverain de toutes les planètes.
Quiconque sait Krsna distinct de tout ce qui est créé se voit aussitôt affranchi des effets de tous ses actes coupables, ce qui est un facteur indispensable pour connaître le Seigneur Suprême. Et, dit la Bhagavad-gita, seul le service de dévotion peut octroyer ce savoir.
N'essayons jamais de comprendre Krsna comme s'Il était un homme ordinaire. Les versets qui précèdent l'ont affirmé: seul un sot Le voit de cette façon. Nous retrouverons ici la même idée, mais sous un angle différent: celui qui, au contraire du sot, possède assez d'intelligence pour comprendre la nature éternelle de Dieu, se voit à jamais libre des conséquences de ses péchés.
Mais une question surgit. Comment Krsna peut-Il être non né puisqu'on Le connaît comme fils de Devaki? Le Srimad-Bhagavatam répond: Krsna ne prit pas naissance comme un enfant ordinaire; Il apparut à Vasudeva et Devaki dans Sa Forme originelle, et ce n'est qu'ensuite qu'il Se transforma en nourrisson semblable à tous les autres.
Tout acte accompli sous la direction de Krsna est absolu, et ne peut être souillé par aucune suite matérielle, favorable ou défavorable. D'ailleurs, l'idée de favorable et de défavorable, dans l'univers matériel, n'est rien d'autre qu'une création mentale, car rien en ce monde n'est favorable. Tout y est de mauvais augure, car le masque même de la matière l'est. Nous n'y voyons le bien que par un acte d'imagination, car le seul vrai bien dépend de ce qui est accompli dans la conscience spirituelle, la conscience de Krsna, dans une dévotion et un service absolus. Si le moindre désir nous anime de rendre nos actes favorables, il faut donc suivre les directives du Seigneur Suprême, transmises par les Ecritures révélées, telles que la Bhagavad-gita et le Srimad-Bhagavatam, ainsi que par un maître spirituel authentique. Les instructions de ce dernier, en effet, sont celles mêmes du Seigneur Suprême, puisqu'il Le représente. Le maître spirituel, les sages et les Ecritures donnent exactement le même enseignement; aucune contradiction ne s'élève entre ces trois sources. Tout acte accompli sous leur autorité n'entraîne pas les conséquences qu'engendrent les actes matériels, coupables ou vertueux. L'attitude du bhakta, dans l'agir, en est une d'ordre purement spirituel, de vrai renoncement, ou sannyasa. Et le sannyasi, le yogi, sera celui qui agit sous la conduite du Seigneur Suprême, et non l'imposteur qui se contente de l'habit.
ksama satyam damah samah
sukham duhkham bhavo ’bhavo
bhayam cabhayam eva ca
ahimsa samata tustis
tapo danam yaso ’yasah
bhavanti bhava bhutanam
matta eva prithag-vidhah
L'intelligence, le savoir, l'affranchissement du doute et de l'illusion, l'indulgence, la véracité, la maîtrise de soi et la quiétude, les joies et les peines, la naissance et la mort, la peur et l'intrépidité, la non-violence, l'équanimité, le contentement, l'austérité, la charité, la gloire et l'opprobre, tous de Moi seul procèdent.
Les divers attributs des êtres, favorables ou défavorables, sont tous créés par Krsna; ce verset les énumère.
L'intelligence (buddhi) correspond au pouvoir d'analyser les choses dans leur juste perspective.
Le véritable savoir (jnana) est la capacité de distinguer le spirituel du matériel. Les connaissances académiques, acquises dans les universités, ne touchent qu'à la matière, et ne peuvent donc être acceptées comme le vrai savoir. En effet, l'éducation moderne demeure incomplète, car elle ne jette aucune lumière sur le spirituel, sur l'âme; elle s'arrête aux éléments matériels et aux besoins du corps.
L'affranchissement du doute et de l'illusion (asammoha) survient lorsque, inébranlable dans sa pratique du bhakti-yoga, l'être parvient à un entendement profond de la philosophie spirituelle. Lentement, mais sûrement, il s'extirpe alors de la confusion dans laquelle il s'enlisait; mais notons que c'est l'attention, la prudence, et non pas un élan aveugle, qui le mènent à accepter cette science.
L'indulgence (ksama), que tout homme devrait pratiquer, consiste à pardonner les offenses mineures d'autrui.
La véracité (satya), qui est un autre impératif pour l'homme, consiste à présenter, à l'avantage de tous, les faits tels qu'ils sont. Les conventions sociales conseillent de ne dire la vérité que lorsqu'elle est plaisante. Mais quel genre de véracité est-ce là? Les faits ne doivent pas être déformés. La vérité doit être exposée directement, franchement, pour que chacun voie les choses dans leur juste relief. Dire la vérité, c'est prévenir, les gens qu'un homme est un voleur s'il en est un, fût-ce là une vérité déplaisante. Par définition, donc, la véracité exige que les faits soient présentés tels quels, pour le bénéfice de tous.
La maîtrise de soi (dama), c'est ne pas employer ses sens inutilement, pour son plaisir personnel. Il n'est certes pas interdit de répondre aux besoins naturels des sens, mais abuser des plaisirs matériels est nuisible au progrès spirituel. De même, on ne doit pas absorber son mental en de vaines pensées; la paix intérieure obtenue alors s'appelle la quiétude (sama). Il faut éviter de perdre son temps à méditer sur les moyens de s'enrichir; car cela correspond à un mauvais usage des facultés mentales, dont le rôle essentiel est de nous faire connaître, à partir de sources authentiques, ce qui est le besoin primordial de l'homme. Le pouvoir de la pensée doit se développer par le contact avec des hommes en qui celle-ci est déjà très élevée, avec des autorités en matière spirituelle, des saints hommes ou des maîtres spirituels.
La peur (bhaya) naît avec le souci de l'avenir. Le bhakta ne la connaît pas, parce que son avenir est certain, et lumineux; ses actes le ramènent en toute certitude au monde spirituel, auprès de Dieu. Les abhaktas, au contraire, vivent dans une angoisse constante, car ils ne connaissent leur avenir ni dans cette vie, ni dans la suivante. Le seul moyen d'échapper à cette angoisse, d'échapper à toute peur, est de connaître Krsna et de vivre toujours en pleine conscience de Lui. Le Srimad-Bhigavatam dit que la crainte vient de ce que nous sommes absorbés dans l'énergie illusoire. Il confirme également qu'elle n'atteint plus quiconque s'est délivré du joug de cette énergie, quiconque s'est engagé dans le service absolu de la Personne Suprême, conscient de n'être pas un corps de matière, mais un être spirituel, partie intégrante de Dieu. La peur est le lot de l'homme dénué de conscience spirituelle; seul l'homme conscient de Krsna peut connaître l'intrépidité, l'absence de peur (abhaya).
Le, plaisir, ou la joie (sukha), ne repose vraiment qu'en ce qui favorise la connaissance spirituelle, la conscience de Krsna; tout ce qui lui nuit ne peut entraîner que malheur (dubkha). Par suite, tout ce qui favorise cette conscience de Krsna doit être accepté, et tout ce qui l'empêche, rejeté.
La naissance (bhava) ne peut concerner que le corps, puisqu'il n'existe, pour l'âme, pas de naissance, ni de mort, comme l'a expliqué le deuxième chapitre. La naissance, ainsi que la mort (abhava), n'affectent toujours que l'enveloppe charnelle.
La non-violence (ahimsa) consiste à ne rien faire qui puisse plonger autrui dans la douleur ou la confusion. Si les programmes proposés par les hommes politiques, sociologues, philanthropes et autres, n'aboutissent qu'à de piteux résultats, c'est que leurs auteurs ne possèdent pas de vision spirituelle, et méconnaissent le vrai bien, de l'humanité. Appliquer l'ahimsa, cela veut dire éduquer les gens de sorte qu'ils puissent utiliser pleinement leur corps humain, en tirer le meilleur parti. Le corps étant essentiellement destiné à la réalisation spirituelle, tout programme qui l'en éloigne lui fait violence. La non-violence est, en définitive, la voie qui engendre le bonheur spirituel des hommes.
L'équanimité (samata), c'est être libre de l'attachement comme de l'aversion. Que l'on soit très attaché ou très détaché des choses de ce monde, l'une et l'autre attitudes ont les mêmes défauts. Le monde matériel doit être accepté de façon égale, sans attachement, sans aversion non plus. De la même manière, on devra accepter tout ce qui favorise la conscience de Krsna et rejeter tout ce qui peut y faire obstacle. Voilà ce qu'on appelle samata, l'équanimité.
Le contentement (tusti), c'est ne plus chercher, en se livrant à des actes inutiles, à toujours accroître ses biens matériels, mais savoir se contenter de ce que le Seigneur Suprême nous accorde par Sa grâce.
L'austérité, ou la pénitence (tapa), désigne les nombreux principes régulateurs que recommandent les Vedas. Se lever tôt le matin, par exemple, et aussitôt purifier son corps par un bain; la chose peut parfois être très difficile, et tout effort volontaire pour s'y soumettre mérite le nom d'austérité. Des jeûnes sont également prescrits en certains jours du mois: on peut avoir du mal à les observer, mais quiconque est fermement déterminé à progresser sur la voie scientifique de la conscience de Krsna n'hésitera pas à supporter ces désagréments du corps, recommandés par les Ecritures. Il ne s'agirait pas, néanmoins, de jeûner sans raison, ou contre les stipulations des Ecritures, non plus que par intérêt politique; la Bhagavad-gita décrit ces sortes de jeûnes comme relevant de l'ignorance, et aucun acte inspiré par l'ignorance ou la passion ne saurait engendrer de bienfait spirituel. Au contraire, tout acte inspiré par la vertu favorise le progrès de son auteur, et tout jeûne accompli en fonction des normes védiques est une occasion d'enrichir son savoir spirituel.
En ce qui concerne les actes de charité (dana), tout homme doit donner la moitié de son revenu pour le service d'une bonne cause. Selon les textes sacrés, cette cause doit être la conscience de Krsna, certes la meilleure, car Krsna est infiniment bon, et il en va naturellement de même pour Sa cause. Il s'agit donc de donner en charité à ceux qui œuvrent dans cette voie. Les Ecritures védiques recommandent en effet de donner aux brahmanas (selon une pratique encore suivie en Inde, bien que, de nos jours, assez en marge des normes scripturaires). Mais pourquoi est-ce aux brahmanas (ou brahmajanas, "ceux qui connaissent le Brahman") qu'il faut offrir la charité? Simplement parce qu'ils cultivent la connaissance spirituelle la plus haute, et qu'ayant voué leur existence entière à la compréhension du Brahman, leur service constant ne leur laisse pas le loisir de gagner leur vie. Les sannyasis également doivent recevoir la charité. Ils mendient de porte en porte, non pour ramasser de l'argent, mais dans un but missionnaire. De maison en maison, ils sortent les familles des torpeurs de l'ignorance. Sous couvert de mendicité, ils encouragent les chefs de famille, oublieux, tant ils sont impliqués dans les préoccupations domestiques, du vrai but de la vie, à devenir conscients de Krsna. Ils distribuent l'enseignement des Vedas, implorent les hommes de s'éveiller pour obtenir la perfection que leur doit la vie humaine, en même temps qu'ils leur indiquent la méthode qui y conduit. C'est donc à de bonnes causes, comme le soutien des sannyasis et des brahmanas, et non à des causes frivoles, qu'il faut distribuer ses richesses par des actes de charité.
Le véritable renom, ou gloire (yasa), doit correspondre à la définition qu'en a donné Sri Caitanya Mahaprabhu: un homme n'est illustre, glorieux, que s'il est célébré pour sa grande dévotion au Seigneur, pour sa valeur dans la conscience de Krsna. Toute autre forme de gloire est sans valeur.
Les qualités que nous venons d'énumérer se manifestent chez les hommes et les devas comme chez les diverses races réparties dans l'univers entier, sur les innombrables planètes. Pour ceux qui désirent s'élever dans la conscience de Krsna, Krsna les crée, mais ceux-ci doivent les développer en eux-mêmes, par la pratique du service de dévotion, qui, par la grâce du Seigneur, a le pouvoir de les engendrer.
L'origine de tout ce qui existe, bon ou mauvais, est Krsna. Rien ne se manifeste dans l'univers matériel qui ne soit en Lui. Qui sait cela possède le vrai savoir. Les manifestations, en cet univers, sont diverses, mais leur source est unique: Krsna.
catvaro manavas tatha
mad-bhava manasa jata
yesham loka imah prajah
Les sept grands sages, les quatre autres, qui furent avant eux, et les Manus [les pères de l'humanité] sont nés de Mon Mental; tous les êtres, en ce monde, sont leurs descendants.
Le Seigneur résume ici l'arbre généalogique universel. Brahma, né de l'énergie d'Hiranyagarbha, le Seigneur Suprême, est la créature originelle. De lui sont issus les sept grands sages et, avant eux, les quatre Kumaras (Sanaka, Sananda, Sanatana et Sanat-kumara) ainsi que les quatorze Manus. Ces vingt-cinq grands sages sont les ancêtres des entités vivantes de toute forme, de toute espèce, qui peuplent les innombrables planètes des incalculables univers. Brahma dut mener, une ascèse pendant mille ans (selon la mesure du temps sur les planètes des devas) avant de comprendre, par la grâce de Krsna, comment il devait créer. De lui naquirent Sanaka, Sananda, Sanatana et Sanat-kumara, puis Rudra, et les sept sages. Ainsi, tous les brahmanas et les ksatriyas sont nés de l'énergie de Dieu, la Personne Suprême. Comme l'expliquera le trente-neuvième verset du onzième chapitre, Brahma est considéré comme l'aïeul (pitamaha) de tous les êtres, et Krsna, comme le père de l'aïeul (prapitamaha).
mama yo vetti tattvatah
so ’vikalpena yogena
yujyate natra samsayah
Qui, en vérité, connaît cette gloire et cette puissance, les Miennes, Me sert avec une dévotion pure, sans partage; c'est là un fait certain.
Connaître Dieu, la Personne Suprême, c'est atteindre le sommet de la perfection spirituelle. A moins d'être fermement convaincu des multiples gloires du Seigneur Suprême, il est impossible de s'engager dans le service de dévotion. Si les gens savent en général que Dieu est grand, ils ne connaissent pas les attributs de Sa grandeur. Ici s'en trouvent les détails. Celui qui connaît, d'une connaissance concrète, la grandeur de Dieu, tout naturellement s'abandonnera à Lui et Le servira avec dévotion. Nul autre choix, en effet, dès l'instant où l'on connaît les excellences du Seigneur, que décrivent la Bhagavad-gita, et le Srimad-Bhagavatam et bien d'autres Ecrits.
De nombreux devas, disséminés à travers l'univers, veillent à sa gestion. A leur tête se trouvent Brahma, Siva, les quatre Kumaras et autres anciens. Nombreux sont les ancêtres de ceux qui peuplent l'univers. Tous sont issus du Seigneur Suprême, Krsna, l'ancêtre originel, père de tous les ancêtres.
Telles sont quelques-unes des perfections du Seigneur. Celui qui, en toute conviction, les sait appartenir à Krsna, Lui donne toute sa foi; affranchi du doute, il s'engage à Son service. La connaissance détaillée des perfections du Seigneur est essentielle si l'on veut accroître son désir de Le servir avec amour et dévotion. Nul ne doit négliger de comprendre Krsna dans la plénitude de Sa grandeur, car c'est un tel savoir qui nous établira fermement et sincèrement dans Son service.
mattah sarvam pravartate
iti matva bhajante mam
budha bhava-samanvitah
De tous les mondes, spirituels et matériels, Je suis la Source, de Moi tout émane. Les sages qui connaissent parfaitement cette vérité de tout leur coeur Me servent et M'adorent.
L'érudit, l'homme pleinement versé dans l'étude des Vedas, qui connaît l'enseignement de maîtres parfaitement compétents tels que l'avatara Caitanya Mahaprabhu, et sait faire le pas de la théorie à la pratique, peut comprendre que Krsna est l'origine de tout ce qui est, dans l'univers matériel comme dans le monde spirituel. Sa pleine connaissance le fixe fermement dans le service du Seigneur Suprême, et ni les sots, ni les commentateurs les plus vaniteux, aussi nombreux soient-ils, ne peuvent l'égarer. Tous les Ecrits védiques s'accordent pleinement sur le fait que Krsna est la source de Brahma, de Siva et des autres devas. L'Atharva-veda, par exemple, rapporte:
"C'est Krsna qui, au début des temps, instruisit Brahma dans le savoir védique, et c'est encore Lui qui, jadis, dissémina ce savoir de par le monde."
Et les preuves s'accumulent dans les Vedas:
"Narayana, la Personne Suprême, désira alors créer les êtres."
Puis:
"De Narayana, Brahma est né, de Narayana également sont nés les anciens. De Narayana, Indra est né, de Narayana encore, les huit Vasus, les onze Rudras, et de Narayana aussi les douze Adityas."
Toujours dans les Vedas:
"Le fils de Devaki, Krsna, est la Personne Suprême."
Et encore:
"Au début de la création, seul existait Narayana, la Personne Suprême. Ni Brahma, ni Siva, ni le feu, ni le soleil ou les étoiles n'étaient. Seul existait Krsna, qui crée tout et jouit de tout."
Les nombreux Puranas confirment que Siva est né de l'Etre ultime, du Seigneur Suprême, Krsna; et les Vedas disent encore que l'unique objet d'adoration est le Seigneur Suprême, créateur de Brahma et de Siva. Krsna Lui-même affirme, dans le Moksa-dharma:
"Je suis le créateur des anciens, Siva et les autres, mais à eux manque la conscience d'être créés par Moi, car ils sont illusionnés par Mon énergie externe."
Et le Varaha Purana d'ajouter:
"Narayana est Dieu, la Personne Suprême. De Lui est né Brahma, de qui est né Siva."
Source de toute création, Krsna est connu comme la cause efficiente de toute chose. "Je suis l'origine de tout, dit-Il, car tout est né de Moi. Tout vit sous Ma direction, nul ne Me dépasse." Le maître absolu, ultime, est Krsna, et Le comprendre à la lumière des Ecritures, à l'aide d'un maître spirituel authentique, employer toute son énergie dans la conscience de Krsna, voilà ce qui fait d'un homme un véritable érudit. A côté de lui, ceux qui ne connaissent pas Krsna dans toute Sa vérité sont des faibles d'esprit. Car, seul un faible d'esprit peut prendre Krsna pour un homme ordinaire. Le bhakta ne doit jamais se laisser abuser par ces faibles d'esprit; il doit éviter de lire tout commentaire et interprétation non autorisés de la Bhagavad-gita, et poursuivre la conscience de Krsna avec détermination et fermeté.
bodhayantah parasparam
kathayantas ca mam nityam
tusyanti ca ramanti ca
Mes purs dévots toujours absorbent en Moi leurs pensées, et leur vie, Me l'abandonnent. Ils s'éclairent les uns les autres sur Ma Personne, s'entretiennent de Moi sans fin, et par là trouvent une satisfaction et une joie immenses.
Les purs bhaktas s'engagent pleinement dans le service absolu du Seigneur, avec amour et dévotion. Rien ne peut détourner leur pensée des pieds pareils-au-lotus de Krsna. Ils n'abordent que des sujets purement spirituels. Ce verset décrit très précisément le caractère de leur vie: vingt-quatre heures par jour, les dévots du Seigneur louent Ses Actes glorieux; l'âme et le coeur constamment absorbés en Krsna, ils éprouvent une joie immense à parler de Lui en compagnie d'autres bhaktas.
Dès le début de son service de dévotion, le bhakta goûte le bonheur spirituel que procure ce service en lui-même, et atteint finalement l'amour de Dieu. Là, situé à un niveau purement spirituel, il savoure la perfection suprême que dévoile le Seigneur dans Sa demeure. Sri Caitanya Mahaprabhu compare le service de dévotion à une graine plantée dans le coeur de l'être; car, parmi les êtres innombrables errant de planète en planète, d'un bout à l'autre de l'univers, quelques-uns seulement ont le bonheur de rencontrer un pur bhakta, et ainsi de pouvoir comprendre le service de dévotion. Si, une fois la graine du service de dévotion plantée dans son coeur, l'homme écoute et récite avec persévérance le mantra:
cette semence fructifiera, comme une graine d'arbre régulièrement arrosée. La plante spirituelle du service de dévotion se met alors à pousser, à grandir jusqu'à percer l'enveloppe de l'univers matériel et entrer dans l'éclat du brahmajyoti. Là, dans le monde spirituel, elle continue de croître jusqu'à atteindre là planète la plus élevée, Goloka Vrndavana, demeure suprême, où vit le Seigneur, Sri Krsna. Elle s'y abrite sous les pieds pareils-au-lotus de Krsna et, enfin arrivée au but, y demeure. Graduellement, elle fleurit, donne ses fruits, et le bhakta continue de l'arroser en écoutant et en récitant les gloires de Krsna. Le Caitanya-caritamrta, qui donne une description détaillée de cette plante de la dévotion, explique comment, une fois que la plante tout entière prend refuge aux pieds du Seigneur Suprême, le bhakta se fond dans l'amour de Dieu. Pareil au poisson incapable de vivre hors de l'eau, il ne peut plus vivre un seul instant sans être en contact avec Krsna. A ce point, il acquiert toutes les qualités spirituelles.
Le Srimad-Bhagavatam regorge de passages décrivant les relations unissant le Seigneur Suprême à Ses dévots; et par suite, il est très cher aux bhaktas. Dans ce récit, rien qui concerne les actes matériels, les plaisirs sensoriels ou même la libération. C'est le seul ouvrage qui décrive la nature absolue du Seigneur Suprême et de Ses dévots. Aussi, de même qu'au niveau matériel un jeune homme et une jeune fille connaissent une grande joie à être ensemble, de même, au niveau spirituel, les êtres réalisés, conscients de Krsna, ressentent une joie constante à écouter la lecture de tels Ecrits spirituels.
bhajatam priti-purvakam
dadami buddhi-yogam tam
yena mam upayanti te
Ceux qui toujours Me servent et M'adorent avec amour et dévotion, Je leur donne l'intelligence par quoi ils pourront venir à Moi.
Arrêtons-nous sur le sens du mot buddhi-yogam, mentionné dans ce verset, et souvenons-nous du deuxième chapitre, où le Seigneur disait à Arjuna que, lui ayant parlé jusqu'à présent de sujets divers, Il voulait maintenant l'instruire dans le buddhi-yoga. C'est ce que maintenant Il entreprend. Le buddhi-yoga, l'action dans la conscience de Krsna, est le signe de la plus haute intelligence. Buddhi signifie "intelligence", et yoga, "actes spirituels", ou "élévation spirituelle". Le buddhi-yoga est donc le mode d'action de celui qui, désireux de retourner à Dieu, en Sa demeure absolue, s'abandonne pleinement à Son service, ou, en d'autres mots, le moyen de se libérer des chaînes de la matière. Le but ultime de tout progrès spirituel est Krsna, mais l'homme, de façon générale, l'ignore; et pour dissiper cette ignorance, il est essentiel de vivre auprès d'un acarya, ainsi qu'auprès des bhaktas. Mais il faut d'abord reconnaître en Krsna le but ultime; une fois cette conviction acquise, on progressera, lentement mais sûrement, sur la voie qui mène à Krsna, et l'on parviendra au but.
Agir selon le karma-yoga, c'est savoir que Krsna est le but ultime de la vie mais aspirer tout de même au fruit de ses actes. Agir selon le jnana-yoga, c'est encore connaître le Seigneur comme le but ultime mais poursuivre des spéculations intellectuelles sur Sa nature. Par contre, on vit selon le bhakti-yoga, ou buddhi-yoga, qui représente le yoga dans sa plénitude, quand, en pleine connaissance du but ultime, on cherche Krsna, dans le seul service de dévotion, dans la conscience de Krsna. Ce bhakti-yoga représente la plus haute perfection de l'existence. Et si un homme, bien que disciple d'un maître spirituel et attaché à une communauté spirituelle, manque des qualités d'intelligence nécessaires pour progresser, Krsna en personne lui donnera, de l'intérieur, les instructions pour parvenir jusqu'à Lui sans difficulté. Du côté du bhakta, la seule condition requise est de s'engager constamment dans la conscience de Krsna, de servir Krsna avec dévotion, de toutes les façons possibles. Il doit, avec amour, faire quelque chose pour Krsna. S'il a suffisamment d'intelligence, il progressera alors sur la voie de la réalisation spirituelle. Un être sincère, qui se donne au service de Krsna avec, dévotion, reçoit du Seigneur la possibilité de progresser et d'arriver finalement jusqu'à Lui.
aham ajnana-jam tamah
nasayamy atma-bhava-stho
jnana-dipena bhasvata
Vivant dans leur coeur, et plein pour eux de compassion, Je dissipe, du flambeau lumineux de la connaissance, les ténèbres nées de l'ignorance.
Lorsqu'à Bénarès, Il propageait le chant du mantra.
hare rama hare rama rama rama hare hare
Des milliers de gens suivaient Sri Caitanya Mahaprabhu. Prakasananda, par contre, érudit très influent et de grand renom à cette époque, Le dénigrait, L'accusant de sentimentalisme. Il arrive parfois, en effet, que des "philosophes" critiquent les bhaktas, qu'ils les prennent pour de naïfs rêveurs sans philosophie, prisonniers des ténèbres de l'ignorance. Erreur grossière, car nombreux sont en fait les bhaktas érudits, qui ont promulgué philosophiquement les principes de la dévotion. Et même si un bhakta ne tire pas parti des avantages que lui offrent soit les Ecritures, soit son maître spirituel, Krsna en personne, présent dans son coeur, l'aidera, s'il est sincère, dans son service de dévotion. Le bhakta sincère ne demeure donc jamais dans l'ignorance s'il sert le Seigneur avec dévotion, pleinement absorbé dans la conscience de Krsna.
Les philosophes modernes pensent que l'on ne peut posséder la connaissance pure sans être doté d'une vaste érudition. Mais le Seigneur Suprême en personne leur répond dans ce verset: même s'ils manquent d'éducation, même si leur connaissance des principes védiques est insuffisante, ceux qui Le servent avec une dévotion pure reçoivent Son aide. De plus, le Seigneur apprend à Arjuna qu'il est fondamentalement impossible de connaître la Vérité Suprême et Absolue, Dieu, l'Etre Souverain, par de simples spéculations intellectuelles; Il est si grand qu'il s'avère impossible de Le connaître ou de L'approcher par un simple effort mental. S'il ne Lui est pas dévoué, s'il ne Lui donne pas son amour, l'homme pourra méditer pendant des millions d'années sans jamais réaliser Krsna, la Vérité Suprême et Absolue. Seul le service de dévotion peut satisfaire Krsna et Celui-ci, par Son énergie inconcevable, Se révèle alors à Son pur dévot, en son cœur. Le pur bhakta garde toujours Krsna en son cœur, et pour cette raison, on le compare à un soleil dissipant les ténèbres de l'ignorance. Telle est la grâce spéciale que Krsna lui accorde.
Contaminé par un séjour de plusieurs millions de vies dans la matière, l'être conditionné a le coeur recouvert de la poussière du matérialisme. Mais qu'il serve le Seigneur avec dévotion, qu'il récite avec constance le mantra Hare Krsna, et cette poussière s'envolera rapidement, lui ouvrant la voie de la connaissance pure. Ni la spéculation intellectuelle, ni la controverse ne peuvent mener à Visnu, but ultime. Seuls y conduisent le chant ou la récitation de ce mantra et le service de dévotion. Le pur bhakta n'a pas à se préoccuper des nécessités de la vie, car, une fois repoussées les ténèbres de son coeur, alors le Seigneur Suprême, satisfait par son amour et son service, comble automatiquement tous ses besoins. Et dès que le Seigneur le prend ainsi en charge, le bhakta se voit affranchi de la nécessité de fournir des efforts matériels pour assurer sa subsistance. Tel est, en essence, l'enseignement de la Bhagavad-gita, dont l'étude conduit l'homme à s'abandonner entièrement au Seigneur Suprême et à Le servir dans la dévotion pure.
param brahma param dhama
pavitram paramam bhavan
purusham sasvatam divyam
adi-devam ajam vibhum
ahus tvam rsayah sarve
devarsir naradas tatha
asito devalo vyasah
svayam caiva bravisi me
Arjuna dit:
Tu es le Brahman Suprême, l'ultime Demeure, le Purificateur souverain, la Vérité Absolue et l'éternelle Personne Divine. Tu es Dieu, l'Etre primordial, originel et absolu. Tu es le Non-né, la Beauté qui tout pénètre. Tous les grands sages le proclament, Narada, Asita, Devala, Vyasa; et Toi-même, à présent, me le révèles.
Par ces deux versets, le Seigneur donne aux philosophes modernes une chance de saisir la distinction très nette qui existe entre l'Ame Suprême et l'âme infinitésimale. Après avoir écouté les quatre versets essentiels de la Bhagavad-gita (X. 8-11), Arjuna est totalement affranchi de ses doutes. Il accepte que Krsna est Dieu, la Personne Suprême, et, sur-le-champ, déclare avec fermeté: "Tu es Dieu, la Personne Suprême, le Param Brahman. " Krsna, en effet, S'était décrit comme l'origine de tout; les devas et les humains dépendent de Lui, même si leur ignorance les conduit à se croire absolus et indépendants de Lui. Cette ignorance, toutefois, comme Krsna l'explique dans le verset précédent, disparaît complètement par la pratique du service de dévotion. Par Sa grâce même, Arjuna reconnaît maintenant, en accord avec les recommandations des Ecritures, que Krsna est la Vérité Suprême et Absolue. Ce n'est pas par simple amitié, ni pour Le flatter, qu'Arjuna adresse à Krsna les Noms de Dieu, Personne Suprême, Vérité Absolue. Chaque mot chaque qualificatif qu'il Lui attribue est confirmé par les Vedas, qui affirment en outre que seul peut comprendre le Seigneur Suprême le bhakta voué à Son service.
La Kena Upanisad lorsqu'elle établit que tout repose en le Brahman Suprême, alors que Krsna vient d'expliquer que tout repose en Lui, ne rend que plus évident le fait que Krsna et le Brahman Suprême sont une seule et même personne. Quant à la Mundaka Upanisad, elle corrobore à son tour le fait que seul un homme absorbé dans la pensée du Seigneur, en qui tout repose, peut Le réaliser. Ce souvenir permanent constitue l'une des méthodes du service de dévotion, nommée smarana. C’est donc par le service de dévotion, et par lui seul, que l'homme peut saisir sa nature réelle et se débarrasser du corps matériel.
Les Vedas, eux, dépeignent le Seigneur Suprême comme le plus pur d'entre les purs; quiconque perçoit cet Attribut de Krsna et s'abandonne à Lui peut se purifier de tous ses actes coupables. Il n'existe, en fait, pas d'autre moyen. Qu'Arjuna ait reconnu Krsna comme l'Etre de pureté suprême est donc en parfait accord avec les écrits védiques, outre le fait que les plus grands érudits, avec à leur tête Narada, ont confirmé sa vision.
Krsna est Dieu, la Personne Suprême; il faut à chaque instant méditer sur Lui, et goûter la relation spirituelle qui nous unit à Lui. Il est l'Etre Suprême assujetti ni aux besoins corporels, ni à la naissance, ni à la mort, non seulement dans l'opinion du seul Arjuna, mais également dans tous les Ecrits védiques, dont les Puranas et les récits historiques. Enfin, le Seigneur Lui-même, pour, Sa part, dit, dans le quatrième chapitre, que bien qu'il soit non né, Il apparaît sur Terre pour rétablir les principes de la spiritualité. Rien n'a causé Son existence, car Il est l'origine de tout, la cause de toutes les causes, et tout émane de Lui. Et c'est Sa grâce seule qui apporte à l'être la bénédiction de ce savoir parfait.
C'est de par cette grâce qu'Arjuna peut ici s'exprimer. Il en résulte que pour comprendre la Bhagavad-gita, il faut faire siennes les paroles d'Arjuna dans ces deux versets, et reconnaître la parampara, l'indispensable filiation spirituelle. En effet, à ceux qui ne sont pas dans cette succession disciplique, l'éducation académique ne peut être d'aucun secours; ceux qui pourtant s'y tiennent et en tirent vanité continueront toujours, regrettablement, à prendre Krsna pour une personne ordinaire, malgré les multiples preuves du contraire dont regorgent les Ecritures védiques.
yan mam vadasi keshava
na hi te bhagavan vyaktim
vidur deva na danavah
O Krsna, tout ce que tu m'as dis, je l'accepte comme la vérité la plus pure. Ni devas ni asuras ne connaissent Ton vrai visage, ô Seigneur.
Arjuna confirme ici qu’il est impossible aux hommes sans foi, aux natures démoniaques, de connaître Krsna. Pas même les devas ne le peuvent, comment donc le pourraient les pseudo-érudits du monde moderne? Par la grâce du Seigneur, cependant, Arjuna a réalisé que la Vérité Absolue est Krsna, qu'il est l'Etre parfait. Suivons donc le chemin qu'a tracé Arjuna, qui est le premier maître dans la compréhension de la Bhagavad-gita. Comme on l'a vu au quatrième chapitre, la filiation spirituelle (parampara) qui devait transmettre le message de la Bhagavad-gita se rompit, et Krsna vint la rétablir; en raison de l'amitié intime comme de la grande dévotion que Lui témoignait Arjuna, Il choisit ce dernier pour en faire le chaînon manquant. C'est donc, ainsi que nous l'avons mentionné dans notre introduction à la Gîtopanisad, à travers la parampara qu'il faut saisir le sens et l'essence de la Bhagavad-gita, en suivant l'exemple d'Arjuna, qui accepte tout ce que Krsna lui enseigne. Alors, et seulement alors, saurons-nous comprendre que Krsna est Dieu, la Personne Suprême.
vettha tvam purushottama
bhuta-bhavana bhutesa
deva-deva jagat-pate
En vérité, Toi seul, par Tes propres puissances, Te connais, ô Source de tout ce qui est, Seigneur de tous les êtres, Dieu même des devas, ô Personne Suprême, Maître de l'Univers.
Seuls peuvent connaître le Seigneur Suprême ceux qui, comme Arjuna et ses successeurs, s'unissent à Lui par le service de dévotion. Pour les autres, de mentalité démoniaque ou athée, ils n'ont aucun espoir d'y parvenir. S'éloigner ou éloigner autrui de Krsna par des spéculations fantaisistes est certes l'une des fautes les plus graves. C'est pourquoi celui qui ne connaît pas Krsna doit s'abstenir de commenter la Bhagavad-gita. Ce Texte contient les paroles mêmes de Krsna, il renferme la science de Krsna; on doit donc le comprendre tel qu'Arjuna l'a compris, tel qu'il fut énoncé par Krsna, et ne jamais prêter l'oreille aux interprétations qu'en donnent les athées.
La Vérité Absolue Se présente sous trois aspects. le Brahman impersonnel, le Paramatma, sis dans le coeur de chaque être, et, finalement, Bhagavan, Dieu, la Personne Suprême. Réaliser Dieu, la Personne Suprême, constitue donc la prise de conscience la plus complète de la Vérité Absolue. Un homme libéré, ou même un homme ordinaire, peut réaliser le Brahman impersonnel ou le Paramatma, l'aspect "localisé" de la Vérité Absolue. Mais cela n'implique pas automatiquement qu'il puisse comprendre la personnalité de Dieu, telle que Dieu Lui-même –Krsna- la décrit dans les versets de la Bhagavad-gita. Il arrive parfois que les impersonnalistes acceptent Krsna en tant que Bhagavan, ou encore qu'ils reconnaissent volontiers Sa compétence en matière spirituelle. Cependant, beaucoup parmi les êtres, même libérés, ne peuvent comprendre que Krsna soit la Personne Suprême, père de tous les êtres. C'est d'ailleurs pour souligner ce point qu'Arjuna Le nomme Purusottama. Puis il Le nomme Bhutesa, maître de tous, au cas où même ceux qui verraient Krsna comme le père de tous les êtres Lui refuseraient malgré tout la qualité de maître suprême. Il L'appelle ensuite Devadeva, Celui qu'adorent même les devas, et ce Nom est pour ceux qui, tout en Le sachant maître suprême, ignorent qu'il est aussi à l'origine de tous les devas. Et en dernier lieu, afin que ceux qui L'acceptent comme tel ne Lui dénient pas la qualité de possesseur suprême, il Lui donne le Nom de Jagatpati. Arjuna, par sa réalisation de Krsna, établit ici la vérité concernant la nature du Seigneur. Qui veut connaître Krsna tel qu'il est n'a donc qu'à suivre fidèlement les traces d'Arjuna.
divya hy atma-vibhutayah
yabhir vibhutibhir lokan
imams tvam vyapya tisthasi
Instruis-moi en détail, je T'en prie, de Tes divins pouvoirs, par quoi Tu pénètres tous ces mondes et en eux demeures.
Ce verset laisse transparaître qu'Arjuna est à présent tout entier satisfait de sa connaissance du Seigneur Suprême. Par Sa grâce, il possède l'expérience, l'intelligence, la connaissance, et goûte les bienfaits qu'elles procurent; il a, de plus, réalisé la Divinité suprême de Krsna. Il n'éprouve plus le moindre doute, et s'il pose encore des questions à Krsna concernant Sa nature omniprésente, ce n'est pas dans un but personnel, mais pour qu'à l'avenir, les hommes, et particulièrement les impersonnalistes, comprennent Sa présence en toute chose, à travers Ses diverses énergies. Il faut bien voir qu'Arjuna présente cette requête pour le bien des hommes en général, et non pour le sien propre.
divya hy atma-vibhutayah
yabhir vibhutibhir lokan
imams tvam vyapya tisthasi
Comment dois-je sur Toi méditer, ô Yogi suprême? Dans quelles formes Te contempler, ô Seigneur bienheureux?
Comme l'a expliqué le chapitre précédent, Dieu, la Personne Suprême, est recouvert, comme d'un voile, par Son énergie yoga-maya. Seuls Ses dévots, les âmes soumises, peuvent Le voir. Arjuna est maintenant convaincu que son ami proche, Krsna, est bien le Seigneur Suprême. Mais il désire à présent que Celui-ci lui expose la méthode qui aidera l'homme du commun à Le connaître à son tour. Car, aux regards des profanes, et parmi eux, des hommes démoniaques et des athées, Krsna est caché, "gardé" par Son énergie yoga-maya; ils ne peuvent donc connaître Krsna. Redisons-le, c'est pour leur profit et non le sien qu'Arjuna pose ces questions. Le bhakta avancé se soucie non seulement de sa propre compréhension, mais de celle de l'humanité entière. Parce qu'il est un vaisnava, un dévot de Krsna, Arjuna, par compassion, ouvre la voie qui permettra à tous les hommes de comprendre l'omniprésence du Seigneur Suprême. Il nomme Krsna yogin, pour souligner, qu'il est le maître de l'énergie yoga-maya, qui, à Son ordre, Le cache ou Le dévoile au commun des hommes.
L'homme ordinaire, parce qu'il est dépourvu d'amour pour Krsna, ne peut penser à Lui constamment; il garde donc des pensées matérielles. Arjuna en est conscient, il se rend compte qu'un matérialiste ne saurait comprendre Krsna du niveau purement spirituel. C'est pourquoi l'esprit formé au matérialisme devra d'abord se concentrer sur des manifestations physiques, et essayer de voir comment Krsna Se manifeste en elles, comment elles Le représentent.
vibhutim ca janardana
bhuyah kathaya trptir hi
shrinvato nasti me ’mrtam
De Tes puissances et de Tes gloires, encore et en détail parle-moi, ô Janardana, car de l'ambroisie de Ta parole, je ne saurais me rassasier.
Les rsis de Naimisaranya, avec à leur tête Saunaka, adressèrent des paroles semblables à Suta Gosvami:
"On ne saurait se lasser d'entendre les Divertissements spirituels de Krsna, que louent les hymnes védiques. Ceux qui ont retrouvé leur relation sublime avec Krsna font à chaque instant leur délice, du récit des Divertissements du Seigneur."
Arjuna désire donc entendre parler de Krsna, et particulièrement de la façon dont Il Se manifeste en tant que le Seigneur omniprésent.
Arjuna use du mot amrtam "nectar", ou "ambroisie", car toute parole décrivant Krsna possède la saveur du nectar, un nectar que l'expérience nous fera goûter. Une des grandes différences entre les traités d'histoire actuels, romans, contes et nouvelles, et les textes où l'on voit décrits les Divertissements sublimes du Seigneur, c'est que des premiers on se fatigue vite, tandis que jamais on ne se lasse d'entendre louer Krsna. Or, les Ecrits védiques, les Puranas en particulier, qui retracent l'histoire de l'univers à travers ses âges, regorgent de récits ayant trait à ces Divertissements du Seigneur Suprême dans les multiples Formes où Il apparut. Ainsi, ces textes gardent à jamais leur fraîcheur et leur nouveauté, les lirait-on maintes et maintes fois.
hanta te kathayisyami
divya hy atma-vibhutayah
pradhanyatah kuru-srestha
nasty anto vistarasya me
Le Seigneur bienheureux dit :
Je te décrirai donc Mes gloires divines, ô Arjuna, mais seules les plus saillantes, car infinie est Ma splendeur.
Connaître la grandeur et les perfections de Krsna est chose impossible. Imparfaits, les sens de l'âme distincte ne lui permettent pas de comprendre dans leur totalité la nature et les Actes de Krsna. Les bhaktas essaient pourtant de connaître Krsna, dira-t-on. Certes, mais c'est avec l'intention non pas de parvenir à Le comprendre entièrement à une étape donnée de leur progrès, mais seulement de savourer les descriptions de tout ce qui Le concerne; ces récits ont pour eux la saveur du nectar. Parler des excellences de Krsna et de Ses diverses énergies remplit les purs bhaktas d'une joie spirituelle inégalable. Aussi brûlent-ils d'entendre la description de Ses gloires et d'en discuter entre eux. Krsna sait que les êtres ne peuvent comprendre toute l'étendue de Ses perfections, et pour cela décide de ne décrire que les principales manifestations de Ses énergies. Le mot pradhanyatah, "principales", le souligne: nous pouvons comprendre seulement quelques-uns des principaux Attributs du Seigneur Suprême: Ses traits sont illimités, nous ne pouvons les connaître tous. Quant au terme vibhuti, il désigne, dans le contexte, les qualités par lesquelles Il dirige l'univers tout entier. D'après le dictionnaire Amara-kosa, vibhuti indique un attribut exceptionnel.
L'impersonnaliste et le panthéiste ne peuvent comprendre ni les perfections exceptionnelles du Seigneur Suprême, ni les manifestations de Son énergie divine. Ses énergies se manifestant partout dans les univers matériel et spirituel, Krsna va maintenant décrire celles que le commun des hommes peut directement percevoir, lesquelles ne constituent qu'une partie infime de Ses énergies totales.
sarva-bhutasaya-sthitah
aham adis ca madhyam ca
bhutanam anta eva ca
Je suis l'Ame Suprême, ô Gudakesa, sis dans le coeur de chaque être. De tous, Je suis le commencement, le milieu et la fin.
Krsna donne ici `aArjuna le nom de "Gudakesa": conquérant des ténèbres du sommeil. Ce titre souligne le fait qu'il est impossible aux hommes assoupis dans les ténèbres de l'ignorance de comprendre comment le Seigneur Suprême Se manifeste dans les mondes matériel et spirituel. Mais parce qu'Arjuna se trouve au-delà de ces ténèbres, la Personne Suprême accepte de lui décrire Ses diverses perfections.
Tout d'abord, Il Se révèle à lui comme l'âme de l'entière manifestation cosmique, sous la forme de Son émanation plénière. Avant la création du monde, le Seigneur Suprême, par Son émanation plénière, accepte la forme des purusa-avataras; c'est à partir de Lui seulement que commence toute vie. Il est donc l'atma, l'âme du mahat-tattva, agrégat des éléments universels. L'énergie matérielle n'est pas la cause de la création. C'est Maha-Visnu, le premier purusa-avatara, qui entre dans le mahat-tattva, et l'anime; Il est l'âme de l'énergie matérielle globale. Après que Maha-Visnu ait pénétré dans tous les univers, Il Se manifeste en chaque être sous la forme du Paramatma. Nous savons par expérience que l'existence du corps dépend de la présence de l'étincelle spirituelle, sans quoi il ne peut se développer. De même, la manifestation matérielle ne peut entrer en mouvement à moins que l'Ame Suprême, Krsna n'y pénètre.
Dieu, la Personne Suprême, vit en chaque univers sous la forme de l'Ame Suprême. Le Srimad-Bhagavatam décrit d'ailleurs les trois purusa-avataras de la façon suivante:
"Dieu, la Personne Suprême, Se manifeste dans la création matérielle sous trois aspects: Karanodakasayi Visnu, Garbhodakasayi Visnu et Ksirodakasayi Visnu."
En tant que Maha-Visnu, Krsna, le Seigneur Suprême, cause de toutes les causes, repose sur l'océan cosmique; Il est le commencement, le soutien et la fin de l'énergie matérielle dans sa totalité.
jyotisam ravir amsuman
maricir marutam asmi
nakshatranam aham sasi
D'entre les Adityas, Je suis Visnu, et d'entre les sources de lumière, le soleil radieux. Parmi les Maruts, Je suis Marici, et parmi les astres de la nuit, la lune.
Il existe douze Adityas, dont Krsna est le principal. Et parmi tous les luminaires célestes, le soleil est le plus important; d'autre part, la Brahma-samhita le décrit comme l'éclatante radiance du Seigneur Suprême, et aussi comme la représentation de l'un de Ses yeux. Marici est le deva régissant les espaces édéniques. Quant à la lune, le plus brillant des astres de la nuit, elle représente également Krsna.
devanam asmi vasavah
indriyanam manas casmi
bhutanam asmi cetana
D'entre les Vedas, Je suis le Sama. Parmi les devas, Je suis Indra, et parmi les sens, le mental. En les êtres, Je suis la force vitale [la conscience].
L'âme possède la conscience, et la matière non. Voilà leur différence. La conscience est donc suprême et éternelle; ce n'est pas le produit d'un agrégat d'éléments matériels.
vitteso yaksha-rakshasam
vasunam pavakas casmi
meruh sikharinam aham
Parmi les Rudras, Je suis Siva. D'entre les Yaksas et les Raksasas, Je suis le deva des richesses [Kuvera], et chez les Vasus, Je suis le Feu [Agni]. D'entre les montagnes, Je suis Meru.
Il existe onze Rudras, parmi lesquels prédomine Sankara, Siva. Il est la manifestation du Seigneur Suprême dirigeant, dans l'univers matériel, le tamo-guna, l'ignorance. Kuvera est le trésorier des devas; lui aussi représente le Seigneur Suprême. Meru est une montagne réputée pour ses richesses naturelles.
viddhi partha brihaspatim
senaninam aham skandah
sarasam asmi sagarah
D'entre les prêtres, ô Arjuna, sache que Je suis la tête, Brhaspati, le seigneur de la dévotion, et d'entre les chefs militaires, Skanda, le seigneur de la guerre. Parmi les eaux, Je suis l'océan.
Indra est le chef des devas, connu comme le souverain des planètes édéniques, et la planète où il règne est appelée Indraloka. Brhaspati remplit auprès de lui les fonctions de prêtre; il est le plus important de tous les prêtres, puisqu'Indra est le plus important de tous les rois. Et comme Indra domine sur tous les rois, Skanda, fils de Siva et Parvati, domine sur tous les chefs militaires. L'océan, pour sa part, est la plus grande de toutes les étendues d'eau. Toutes ces représentations de Krsna ne donnent qu'un mince aperçu de Sa grandeur.
giram asmy ekam aksharam
yajnanam japa-yajno ’smi
sthavaranam himalayah
Chez les grands sages, Je suis Bhrgu. Parmi les vibrations de son Je suis Om, la syllabe absolue, et parmi les sacrifices, le japa, le chant des Saints Noms. Parmi les masses inébranlables, Je suis les Himalayas.
Brahma, la première créature de l'univers, engendra un grand nombre de fils destinés à propager à leur tour les diverses espèces vivantes. Le plus puissant d'entre eux, mais également le plus grand sage, est Bhrgu. Parmi les vibrations spirituelles, c'est le son om l'omkara) qui représente le Seigneur Suprême. D'entre les sacrifices, c'est le japa, le chant du maha-mantra:
hare rama hare rama rama rama hare hare
qui offre la plus pure représentation du Seigneur. On trouve parfois prescrits certains sacrifices animaux, mais dans le sacrifice qui consiste à chanter le mantra Hare Krsna, nulle violence; c'est le plus simple, le plus pur des sacrifices. Toute chose sublime en ce monde représente Krsna. Ainsi pour les Himalayas, les plus hautes montagnes de la planète. L'un, des versets précédents avait mentionné le mont Meru, mais les Himalayas le surpassent, en ce qu'elles sont inébranlables, tandis que le Meru peut parfois connaître des déplacements.
devarsinam ca naradah
gandharvanam citrarathah
siddhanam kapilo munih
D'entre les arbres, Je suis le figuier sacré, et d'entre les sages et les devas, Narada. Chez les Gandharvas, chantres des devas, Je suis Citraratha, et parmi les âmes accomplies, le sage Kapila.
Le figuier banian (asvattha) est l'un des plus beaux et des plus grands arbres; en Inde, les gens lui rendent souvent un culte, qui constitue l'un des rites du matin. Parmi les devas, ils vénèrent également Narada, lequel est considéré être le plus grand dévot de Krsna dans l'univers, et qui, par là, Le représente. Les planètes Gandharvas. sont peuplées d'êtres au chant merveilleux, dont le plus doué est Citraratha. Kapila est, parmi les êtres éternels, considéré comme un avatara, et sa philosophie se trouve exposée dans le Srimad-Bhagavatam. Distinguons-le d'un autre Kapila, qui vint plus tard et acquit une certaine renommée en propageant une philosophie athée: un abîme les sépare.
viddhi mam amrtodbhavam
airavatam gajendranam
naranam ca naradhipam
D'entre les chevaux, sache que Je suis Uccaihsrava, né du nectar d'immortalité. Chez les nobles éléphants, Je suis Airavata, et chez les hommes, le monarque.
Les devas, dévots du Seigneur, et les asuras, êtres démoniaques, entreprirent un jour une expédition en mer. Au cours de cette expédition, ils produisirent et du nectar et du poison. Siva but le poison et du nectar sortirent de merveilleuses créatures dont le cheval Uccaihsrava et l'éléphant Airavata. Parce qu'ils sont nés du nectar, ces deux animaux possèdent une importance particulière, et représentent Krsna.
Le roi est, parmi les hommes, le représentant de Krsna, parce que, choisi en raison de ses qualités divines, il est le soutien de son royaume, de même que Krsna est le soutien de l'univers. Maharaja Yudhisthira, Maharaja Pariksit et l'avatara Ramacandra furent des rois de la plus haute vertu, toujours soucieux du bien-être de leurs citoyens. Les Textes védiques dépeignent le roi comme un représentant de Dieu. En l'âge où nous vivons, cependant, la monarchie s'est dégradée, par la corruption des principes religieux, jusqu'à être finalement abolie; jadis, les rois étaient justes, vertueux, et les citoyens vivaient heureux sous leur égide, bien plus que dans les sociétés modernes.
dhenunam asmi kamadhuk
prajanas casmi kandarpah
sarpanam asmi vasukih
Parmi les armes, Je suis la foudre, et parmi les vaches, la surabhi, au lait abondant. Chez les procréateurs, Je suis Kandarpa, le deva de l'amour, et d'entre les serpents, le roi, Vasuki.
La foudre, qui est certes une arme puissante, représente la force de Krsna. Sur Krsnaloka, dans le monde spirituel, vivent les vaches surabhis, avec cette particularité qu'elles donnent du lait aussi souvent et en aussi grande quantité qu'on le désire. De telles vaches n'existent naturellement pas dans l'univers matériel, mais, les Ecritures nous l'indiquent, sur Krsnaloka, où le Seigneur aime à les conduire en grand nombre dans les pâturages.
Au contraire du désir sexuel à quoi on s'abandonne pour la seule jouissance, Kandarpa incarne le désir destiné à engendrer de dignes fils, de bons enfants, et représente donc également Krsna.
varuno yadasam aham
pitrnam aryama casmi
yamah samyamatam aham
Chez les Nagas, serpents célestes, Je suis Ananta, et chez les princes de l'onde, Varuna. Parmi les ancêtres, Je suis Aryama, et parmi ceux qui appliquent la loi, le deva de la mort.
Ananta, le plus important des serpents célestes (les Nâgas), et Varuna, le plus important des êtres aquatiques, représentent tous deux Krsna, de même qu'Aryama, qui règne sur une planète d'arbres. Quant à Yama, il domine les nombreux êtres chargés de punir les mécréants, et vit sur une planète voisine de la Terre, où sont transférés, après leur mort, les grands pécheurs. Là, Yama veille à leurs châtiments respectifs.
kalah kalayatam aham
mrganam ca mrgendro ’ham
vainateyas ca paksinam
D'entre les démoniaques Daityas, Je suis le fervent Prahlada, et d'entre les asservisseurs, le temps. Parmi les bêtes, Je suis le lion, et parmi les oiseaux, Garuda, qui porte Visnu.
Diti et Aditi sont deux sœurs. Les fils d'Aditi sont les Adityas, tous dévots du Seigneur; ceux de Diti, les Daityas, sont athées. Prahlada, pourtant né dans la famille des Daityas, fut, dès son plus jeune âge, un très grand bhakta. Son service dévotionnel et sa sainteté lui valent de représenter Krsna.
Nombreuses sont les puissances conquérantes, mais le temps les dépasse toutes, car il désagrège irrémédiablement tout ce qui existe dans l'univers matériel; il représente donc Krsna. Le lion est le plus puissant et le plus féroce des animaux, et Garuda, qui porte Visnu, le plus important d'entre les millions d'oiseaux.
ramah shastra-bhrtam aham
jhasanam makaras casmi
srotasam asmi jahnavi
Parmi les purificateurs, Je suis le vent, et d'entre ceux qui portent les armes, Je suis Rama. Chez les poissons, Je suis le requin, et parmi les cours d'eau, le Gange.
Le requin est l'un des plus grands animaux aquatiques, et, sans nul doute, le plus dangereux pour l'homme. Aussi représente-t-il Krsna. Le Gange, la mère, est le plus grand des fleuves de l'Inde. Quant à l'avatara Ramacandra, dont le Ramayana raconte l'épopée, Il est le plus puissant des guerriers.
madhyam caivaham arjuna
adhyatma-vidya vidyanam
vadah pravadatam aham
De toute création, ô Arjuna, Je suis le début et la fin, et l'entre-deux. Parmi toutes les sciences, Je suis la science spirituelle de l'âme, et des logiciens, Je suis la conclusion, la vérité finale.
De toute chose créée en ce monde, les éléments de base procèdent de Maha-Visnu et sont détruits par Siva. Brahma n'est que le second créateur. Tous ces éléments sont des manifestations des trois gunas, les énergies matérielles issues du Seigneur Suprême; Celui-ci est donc le commencement, le soutien et la fin de toute création.
On trouve exposée la science spirituelle, ou science de l'Etre Suprême, dans de nombreux ouvrages, tels les quatre Vedas, le Vedanta-sutra, les Puranas, le Srimad-Bhagavatam et la Bhagavad-gita; tous représentent Krsna. La logique comporte divers stades d'argumentation: la présentation des arguments (japa), la tentative de réfutation des arguments (vitanda) et la conclusion finale (vada). Cette vérité conclusive, qui termine tout raisonnement, est Krsna.
dvandvah samasikasya ca
aham evakshayah kalo
dhataham vishvato-mukhah
D'entre les lettres, Je suis le A, et parmi les mots composés, le dvandva. Je suis également le temps inexhaustible, et parmi les créateurs, Brahma, dont les faces multiples regardent partout.
Akara, la première lettre de l'alphabet sanskrit, constitue le commencement de toute la littérature védique. Aucun mot ne peut être prononcé sans elle, qui représente l'origine de tout son. Il existe, en sanskrit, beaucoup de mots composés, dont le mot double, le dvandva. Rama-Krsna, par exemple, est un dvandva, car Rama et Krsna possèdent le même rythme.
Le temps est le pire des meurtriers, parce qu'il détruit tout. Il représente Krsna, car le moment venu, apparaîtra un feu dévastateur qui annihilera l'univers entier.
Brahma est le chef d'entre les êtres et les créateurs. Les divers Brahmas possèdent quatre, huit, seize têtes, ou plus, selon la taille de leur univers respectif, dont ils sont les principaux créateurs. Les Brahmas représentent tous Krsna.
udbhavas ca bhavisyatam
kirtih srir vak ca narinam
smritir medha dhrtih ksama
Je suis la mort qui tout dévore, et aussi la Source de tout ce qui est à venir. En la femme, Je suis le nom, la fortune, mais aussi les belles paroles, la mémoire, l'intelligence, la fidélité et la patience.
Dès après sa naissance, l'homme meurt à chaque instant. La mort dévore chaque être à chaque instant, et ce qu'on nomme la mort proprement dite n'est que le dernier coup qu'elle leur porte. Cette mort est Krsna. Quelle que soit leur espèce, les êtres doivent franchir six étapes de transformation fondamentales: naissance, croissance, stabilisation, reproduction, déclin et mort, dont la première, la délivrance de la matrice, moment initial de toutes les activités à venir, est également Krsna.
Les six qualités énumérées ici sont dites féminines. Une femme devient glorieuse si elle les possède toutes, ou même quelques-unes. Le sanskrit, langue parfaite, est aussi très glorieux. Celui qui peut, après étude, se souvenir de l'étude, on le dira doué d'une bonne mémoire (smrti). Cependant, il n'est pas nécessaire de lire un grand nombre de livres sur divers sujets; il suffit de pouvoir se souvenir de quelques-uns et les citer au besoin: c'est là une autre qualité.
gayatri chandasam aham
masanam marga-sirso ’ham
rtunam kusumakarah
D'entre les hymnes, Je suis le Brhat-sama, que l'on chante pour Indra, et d'entre les poèmes, la Gayatri, que chantent chaque jour les brahmanas. Parmi les mois, Je suis novembre et décembre, et parmi les saisons, le printemps fleurissant.
Le Seigneur Lui-même indiquait que l'un des Vedas, le Sama-veda, s'orne de beaux chants que font vibrer les devas. Le Brhat-sama est l'un d'eux: on le chante à minuit sur une mélodie exquise.
La poésie sanskrite suit des règles précises; la rime et le mètre n'y sont pas capricieux comme dans la plupart des œuvres modernes. Le gayatri-mantra, que chantent les brahmanas dûment qualifiés, et dont le Srimad-Bhagavatam fait mention, est le plus important des poèmes composés selon ces règles. Particulièrement destiné à la réalisation spirituelle, il représente le Seigneur Suprême. Il est réservé aux personnes élevées spirituellement, et le chanter avec succès revient à percer la nature absolue du Seigneur. Mais pour le chanter, il faut d'abord acquérir les qualités qui font l'être parfait, ou, dans l'ordre matériel, les qualités de la vertu. Le gayatri-mantra, dont le rôle est capital dans la civilisation védique, est considéré comme la manifestation sonore du Brahman. Brahma en est l'initiateur, et c'est par une filiation spirituelle qu'il fut, à partir de lui, transmis.
Les mois de novembre et décembre sont considérés, en Inde, comme les meilleurs mois, car ils y correspondent à la saison des récoltes, saison qui réjouit les cœurs. Quant au printemps, c'est une saison universellement aimée, car il n'y fait ni trop chaud, ni trop froid, et c'est alors que les arbres bourgeonnent, que les fleurs s'épanouissent. Le printemps offre aussi l'occasion de nombreuses cérémonies commémorant les Divertissements de Krsna. La plus joyeuse parmi les saisons, elle représente donc Krsna, le Seigneur Suprême.
tejas tejasvinam aham
jayo ’smi vyavasayo ’smi
sattvam sattvavatam aham
Je suis le jeu des trompeurs, et l'éclat de tous ce qui resplendit. Je suis la victoire, l'aventure et la force du fort.
Il existe bon nombre de tricheurs dans l'univers! Et la plus grande duperie imaginable réside en les jeux de hasard, qui, pour cela, représentent Krsna. Krsna étant l'Etre Suprême, Il peut être également le plus fourbe. Si Krsna choisit de tromper quelqu'un, Il le fera mieux qu'aucun autre. Sa grandeur n'est pas limitée à un aspect seulement, Il est suprême en tout.
Victoire des victorieux, splendeur du splendide, Il est aussi, parmi les industriels entreprenants, le plus dynamique, et parmi les aventuriers, le plus intrépide, le plus fort d'entre les forts. Lorsque Krsna était présent sur Terre, nul homme ne put Le surpasser en force. Tout jeune, Il souleva la colline Govardhana. Nul, encore une fois, ne peut Le surpasser, ni dans la fourberie, ni dans la splendeur, la victoire, l'initiative ou la force. Il existe bon nombre de tricheurs dans l'univers! Et la plus grande duperie imaginable réside en les jeux de hasard, qui, pour cela, représentent Krsna. Krsna étant l'Etre Suprême, Il peut être également le plus fourbe. Si Krsna choisit de tromper quelqu'un, Il le fera mieux qu'aucun autre. Sa grandeur n'est pas limitée à un aspect seulement, Il est suprême en tout.
pandavanam dhananjayah
muninam apy aham vyasah
kavinam usana kavih
Chez les descendants de Vrsni, Je suis Vasudeva, et chez les Pandavas, Arjuna. Parmi les sages, Je suis Vyasa, et d'entre les grands penseurs, Usana.
Krsna est Dieu, la Personne Suprême, originelle, dont Vasudeva constitue l'émanation immédiate. Krsna, dans Sa Forme de Vasudeva, et Baladeva apparurent tous deux sur Terre en tant que les fils de Vasudeva. Parmi les fils de Pandu, Arjuna est particulièrement vaillant et renommé; il est en fait le meilleur des hommes, aussi représente-t-il Krsna. Vyasa est le plus important des munis (érudits versés dans la connaissance védique), lui qui, pour l'entendement de la masse des hommes en cet âge de Kali, exposa le savoir védique sous tant de diverses formes. Vyasa est aussi reconnu comme un avatara, et, par suite, représente Krsna. Parmi les kavis (on désigne sous ce nom les hommes capables de réfléchir avec une intensité parfaite sur n'importe quel sujet), Usana, qui fut le maître spirituel des asuras, représente également la perfection de Krsna, parce qu'homme politique et spiritualiste accompli, à l'intelligence extrême et aux vues fort étendues.
nitir asmi jigisatam
maunam caivasmi guhyanam
jnanam jnanavatam aham
Parmi les châtiments, Je suis la verge, et chez ceux qui cherchent à vaincre, la moralité. Dans les choses secrètes, Je suis le silence, et du sage la sagesse.
Nombreux sont les agents punitifs, mais les plus importants sont ceux qui rabaissent les mécréants, et la verge du châtiment, qui sert à les, corriger, représente Krsna. Le plus sûr facteur de la victoire chez ceux qui luttent pour elle, dans quelque domaine que ce soit, est la moralité. Le silence est l'élément le plus important dans les actes profonds, secrets, que sont l'audition, la pensée et la méditation, car il conduit à un progrès rapide. Le sage est l'homme capable de distinguer le matériel du spirituel, la nature inférieure de la nature supérieure de Dieu. Son savoir est Krsna Lui-même.
bijam tad aham arjuna
na tad asti vina yat syan
maya bhutam caracaram
De plus, ô Arjuna, Je suis la Semence de toute existence. Rien de mobile ou d'immobile n'existe sans Moi.
Tout a une cause, et cette cause, cette semence de toute manifestation est Krsna. Rien ne peut exister sans l'énergie de Krsna, c'est pourquoi on L'appelle l'Omnipotent. Sans Sa puissance, ni le mobile ni l'immobile ne peuvent exister. Et toute existence non fondée sur l'énergie de Krsna est dite "maya", ou "ce qui n'est pas".
vibhutinam parantapa
esa tuddesatah prokto
vibhuter vistaro maya
Mes gloires divines ne connaissent pas de limites, ô vainqueur des ennemis. Ce qui Je t'ai révélé n'est qu'une manière d'exemple, une infime parcelle de Ma grandeur infinie.
Comme l'indiquent les Ecritures védiques, les perfections et les énergies du Seigneur Suprême, bien qu'on les perçoive de diverses façons, n'ont pas de limites; ainsi, on ne peut les décrire toutes. Krsna n'a livré à Arjuna que quelques exemples, afin d'apaiser sa curiosité.
srimad urjitam eva va
tat tad evavagaccha tvam
mama tejo-’msa-sambhavam
Tout ce qui est beau, puissant, glorieux, éclôt, sache-le, d'un simple fragment de Ma splendeur.
Comprenons bien que tout ce qui existe de glorieux ou de beau, dans l'univers matériel comme dans le monde spirituel, n'est qu'une manifestation fragmentaire de la magnificence de Krsna. Tout ce qui prouve une extraordinaire grandeur représente Sa grandeur.
kim jnatena tavarjuna
vistabhyaham idam krtsnam
ekamsena sthito jagat
Mais à quoi bon, ô Arjuna, tout ce détail? Car, l'Univers entier, par une simple étincelle de Ma Personne, Je le pénètre et le soutiens.
Le Seigneur Suprême, entré en chaque chose sous la forme de l'Ame Suprême, est partout manifesté dans l'univers matériel. Il est vain, dit-Il à Arjuna, de voir la grandeur et l'excellence des choses dans leur individualité; il faut savoir que toutes n'existent que grâce à l'Ame Suprême, entrée en chacune d'elles. Depuis Brahma, l'être le plus gigantesque, jusqu'à la fourmi la plus minuscule, tout n'existe que grâce à Sa présence active et Son soutien.
Ce verset entend nous éloigner du culte des devas, puisque même les plus grands d'entre eux, Brahma et Siva, ne représentent qu'un fragment de la grandeur du Seigneur Suprême. Krsna est l'origine de tout ce qui naît, et comme l'indique le mot samata, nul ne L'égale et nul ne Lui est supérieur. Le visnu-mantra nous avertit même que mettre Sri Krsna sur le même plan que les devas, s'agirait-il de Brahma ou Siva, fait aussitôt de nous un athée. Celui qui, par contre, étudie avec sérieux les descriptions des gloires de Sri Krsna et de l'expansion de Ses énergies, comprendra sans le moindre doute Sa position; alors, il pourra, sans jamais dévier, fixer sur Lui son mental et L'adorer. Le Seigneur est omniprésent, car Il pénètre en chaque être et en chaque chose sous la forme de Sa représentation partielle, l'Ame Suprême. Conscients de ce fait, les purs bhaktas absorbent leur pensée dans le service de dévotion, en pleine conscience de Krsna: ils sont, par là, éternellement situés dans le service de dévotion et l'adoration de Krsna, traçant ainsi la voie de la pure bhakti. Le chapitre tout entier a d'ailleurs décrit en détail la manière d'atteindre le sommet de la perfection, toute dévotionnelle, de l'union au Seigneur Suprême, Dieu.
Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta sur le dixième chapitre de la Srimad-Bhagavad-gita, intitulé: "Les gloires de l'Absolu".