La forme universelle.
mad-anugrahaya paramam
guhyam adhyatma-samjnitam
yat tvayoktam vacas tena
moho ’yam vigato mama
Arjuna dit:
Les enseignements sur les secrets du savoir spirituel qu'avec bonté tu m'as révélés, je les ai entendus, et mon illusion s'est maintenant évanouie.
Krsna est la cause de toutes les causes, c'est ce que nous révélera ce chapitre. Maha-Visnu Lui-même, de qui émanent tous les univers matériels, trouve en Krsna Sa cause. Krsna n'est pas un avatara, mais la source de tous les avataras. Le chapitre précédent l'a déjà d'ailleurs parfaitement expliqué. Présentement, Arjuna informe Krsna que l'illusion dont il était la proie s'est désormais dissipée; entendons par là qu'il ne prend plus le Seigneur pour un homme ordinaire, qui serait son ami, mais reconnaît en cet ami la source de toutes choses. Au faite de l'éclairement, Arjuna éprouve le bonheur d'avoir un ami tel que Krsna, mais a également conscience du fait que si lui-même accepte Krsna comme la source de tout ce qui est, d'autres peuvent Le refuser. Le voilà donc, dans ce chapitre, implorant Krsna de montrer Sa forme universelle, car il veut établir aux yeux de tous Sa nature divine. La vision de cette forme universelle du Seigneur provoque en vérité la frayeur, comme Arjuna en fera l'expérience; mais telle est la bonté du Seigneur qu'Il reprendra devant lui Sa Forme originelle.
Arjuna acquiesce à maintes reprises aux paroles de Krsna. Le Seigneur ne lui parle que pour son bien, et Arjuna reconnaît en les événements auxquels il se trouve confronté une manifestation de Sa grâce. Krsna est la cause de toutes les causes, Il est l'Ame Suprême, qui vit dans le coeur de chacun: Arjuna en est à présent fermement convaincu.
srutau vistaraso maya
tvattah kamala-patraksha
mahatmyam api cavyayam
De Tes lèvres, ô Toi aux yeux pareils-au-lotus, j'ai appris Tes gloires intarissables, et par elles, j'ai aussi découvert les vérités précises sur l'origine et la fin des êtres.
Krsna, dans le dernier verset du chapitre précédent, confirmait à Arjuna qu'il soutient l'univers entier par un simple fragment de Lui-même, et celui ci, dans sa joie, s'adresse à Sri Krsna par l'intermédiaire de ces mots: "Toi dont les yeux sont pareils-au-lotus (les yeux de Krsna sont tout à fait semblables aux pétales du lotus). Tout, en ce monde, tire du Seigneur son origine, et Arjuna, de Ses lèvres mêmes, apprend les détails de ces processus. Il le sait, bien que Krsna soit la cause de la naissance et de l'anéantissement de toute chose, Lui-même est au-delà de ces phénomènes. Partout présent, Il ne perd pas pour autant Son individualité. Tel est l'inconcevable pouvoir de Krsna, et Arjuna reconnaît l'avoir pleinement réalisé.
atmanam paramesvara
drastum icchami te rupam
aishvaram purushottama
O Personne Suprême, ô Forme Souveraine, je Te vois devant moi, tel que tu es, mais je désire encore voir celle de Tes formes par quoi Tu pénètres dans la manifestation matérielle.
Le Seigneur a enseigné, nous l'avons lu, que l'univers matériel existe et se maintient seulement parce qu'il y pénètre, par Son émanation plénière. Arjuna est inspiré par les paroles de Krsna, il n'a lui-même aucun doute à ce sujet, mais afin d'en convaincre les générations à venir, et leur éviter de prendre Krsna pour une personne ordinaire, il demande que le Seigneur le laisse voir Sa forme universelle, et connaître de quelle manière Lui, qui en est distinct, agit à l'intérieur de l'univers. Il est certes intéressant de considérer en elle-même la requête d'Arjuna: Krsna, en tant que Dieu, la Personne Suprême, est présent en lui, Il connaît ses désirs, et peut donc comprendre que le prince, pleinement satisfait de Le contempler en Sa Forme de Krsna, ne demande à voir Sa forme universelle que pour la conviction d'autrui.
Arjuna n'a pas pour lui-même le désir d'une confirmation visuelle. Mais une autre raison, également connue du Seigneur, fait qu'Arjuna souhaite Le voir en Sa forme universelle: il veut par là que soit établi un critère certain de l'avatara, car il sait que dans l'avenir, nombreux seront les hommes à se prétendre Dieu. Que les gens restent toujours sur leurs gardes: quiconque déclare être Krsna devra d'abord manifester Sa forme universelle.
maya drastum iti prabho
yogeshvara tato me tvam
darsayatmanam avyayam
O Seigneur, ô Maître de tous les pouvoirs surnaturels, si Tu estimes que je peux la contempler, montre-moi, je T'en prie, Ta forme universelle.
Les Ecritures védiques enseignent que nul, à travers ses sens matériels, ne peut voir, entendre, comprendre ou percevoir le Seigneur Suprême, Sri Krsna. Mais à celui qui, dès l'abord, s'engage avec amour et dévotion dans Son service absolu, le Seigneur Se révèle en personne. Comment l'être distinct, minuscule étincelle spirituelle, pourrait-il voir ou comprendre le Seigneur Suprême? Arjuna, comme tout bhakta, plutôt que de dépendre de ses propres capacités mentales, de ses facultés spéculatives, admet ses limites en tant qu'être distinct, infime, et reconnaît inconcevable la position de Krsna. Il comprend que l'être infime ne peut saisir la nature de l'Infini, de l'illimité, sauf si l'Infini, par l'effet de Sa grâce, Se révèle à lui. Le mot yogesvara, dans ce verset, indique précisément le pouvoir inconcevable du Seigneur. Bien qu'Il soit infini, le Seigneur peut, s'Il le désire, Se révéler par Sa grâce.
Aussi Arjuna implore-t-il cette inconcevable miséricorde. Il n'emploiera évidemment pas le ton de l'ordre, car jamais le Seigneur n'est contraint de Se manifester à quiconque, si ce n'est à celui qui s'absorbe dans le service de dévotion et s'abandonne entièrement à Lui, en pleine conscience de Krsna. A moins de cette conscience, comment l'homme qui n'a pour instrument que ses capacités mentales, spéculatives, pourrait-t-il voir le Seigneur, Sri Krsna?
pasya me partha rupani
sataso ’tha sahasrasah
nana-vidhani divyani
nana-varnakritini ca
Le Seigneur Bienheureux dit:
O Mon cher Arjuna, fils de Prtha, vois ici Ma gloire, des centaines, des milliers de formes divines, infiniment diverses, multicolores comme la mer.
Arjuna désire voir Krsna dans Sa forme universelle, laquelle, bien qu'absolue, n'est manifestée que dans l'univers matériel, et se trouve donc soumise à la durée temporaire de la manifestation matérielle. Comme l'univers matériel, la forme universelle de Krsna est parfois manifestée et parfois non manifestée. Elle n'a pas, comme les autres Formes de Krsna, une place éternelle dans le monde spirituel. Le bhakta, en général, n'aspire pas à voir cette forme, mais puisqu'Arjuna le Lui demande, Krsna y consent. L'homme du commun n'a pas accès à la vision de cette forme universelle: il faut d'abord recevoir de Krsna le pouvoir de la connaître.
asvinau marutas tatha
bahuny adrsta-purvani
pasyascaryani bharata
Aperçois les Adityas, les Rudras, tous les autres devas. Contemple, ô meilleur des Bharatas, les innombrables manifestations que jamais jusqu'ici nul n'a connues.
Arjuna est l'ami intime du Seigneur, son savoir dépasse celui du plus grand des érudits, mais même lui ne peut tout connaître du Seigneur, Sri Krsna. Ce verset nous enseigne en effet qu'aucun homme, jusque-là, n'a connu, directement ou indirectement, ces formes et manifestations multiples et merveilleuses que Krsna révèle maintenant à Arjuna.
pasyadya sa-caracaram
mama dehe gudakesha
yac canyad drastum icchasi
Tout ce que tu désires et désireras voir, le mobile comme l'immobile, vois-le à l'instant dans cette forme universelle, car tout s'y trouve, ô Gudakesa.
Nul ne peut voir, rassemblé en un lieu unique, l'univers matériel tout entier. Même les hommes de science les plus évolués sont impuissants à connaître les phénomènes qui prennent place dans toutes les différentes parties de l'univers. Mais ici, par la grâce de Krsna, par le pouvoir qu'il lui donne, Arjuna est à même de voir tout ce qu'il désire, le passé, le présent, le futur, tout.
anenaiva sva-caksusa
divyam dadami te caksuh
pasya me yogam aishvaram
Mais tu ne peux Me voir avec les yeux qui sont tiens; Te te confère donc les yeux divins par quoi tu pourras contempler Mes inconcevables pouvoirs.
Le pur bhakta n'aspire pas à voir Krsna sous une autre forme, que Sa Forme à deux bras; cependant, s'il lui arrive de vouloir contempler la forme universelle du Seigneur seul Ce dernier, par Sa grâce, peut le lui permettre. Pour voir cette forme, i; ne s'agit pas d'user de son mental comme instrument de vision, mais d'yeux spirituels, et c'est pourquoi le Seigneur enseigne à Arjuna à changer sa vision, et non son mental. La forme universelle, comme le montrent clairement les versets de ce chapitre, ne constitue pas un aspect fondamental du Seigneur. Cependant, pour répondre au désir d'Arjuna, Krsna lui accorde la vision adéquate pour qu'il puisse voir cette forme.
Les bhaktas qu'unit à Krsna une relation pure, spirituelle, sont attirés par Ses aspects d'amour, et non pas par un déploiement impersonnel de puissances. Jamais les compagnons de jeu du Seigneur, Ses amis, Ses parents, ne désirent voir Ses grandeurs. La dévotion pure les inonde tant, qu'ils oublient même que Krsna est Dieu, la Personne Suprême; dans leurs échanges d'amour avec Lui, ils oublient qu'Il n'est autre que le Seigneur Suprême. Le Srimad-Bhagavatam enseigne que les jeunes garçons qui jouent avec Krsna ne sont pas des êtres ordinaires: tous relèvent de la plus haute vertu, et c'est seulement après de très nombreuses existences vouées à des actes pieux qu'il leur est accordé de jouer ainsi en la compagnie du Seigneur. Pour eux, Krsna est un ami intime; ils ne savent pas qu'Il est Dieu.
Le grand sage voit Krsna comme le Brahman impersonnel, le bhakta comme Dieu, la Personne Suprême, et l'homme du commun comme un être engendré par la nature matérielle. Le bhakta, encore un fois, n'a nul désir de voir la visva-rupa, la forme universelle du Seigneur, et si Arjuna demande à Krsna de la manifester, c'est afin de prouver l'authenticité de Ses dires. Ainsi, dans le futur, les hommes pourront-t-ils comprendre que Krsna ne S'est pas seulement présenté en tant qu'Etre Suprême de façon théorique et philosophique, mais S'est également manifesté comme tel. Et s'Il S'est ainsi manifesté devant Arjuna, c'est également parce que celui-ci constitue le premier chaînon de la parampara, la succession disciplique, et devra donc confirmer pour l'avenir la suprématie du Seigneur. Quiconque est vraiment sincère dans sa recherche de Dieu, la Personne Suprême, Krsna, quiconque désire marcher sur les traces d'Ajurna, doit comprendre que Krsna S'est non seulement présenté comme l'Etre Suprême, mais qu'Il S'est également révélé être cet Absolu.
Si Krsna dote Arjuna du pouvoir de connaître Sa forme universelle c'est que, nous l'avons vu, la requête de ce dernier n'est pas motivée par des désirs personnels.
evam uktva tato rajan
maha-yogesvaro harih
darsayam asa parthaya
paramam rupam aishvaram
Sanjaya dit:
O roi, à ces mots, Dieu, la Personne Suprême, Maître de tous les pouvoirs surnaturels, montre à Arjuna Sa forme universelle.
anekadbhuta-darshanam
aneka-divyabharanam
divyanekodyatayudham
divya-malyambara-dharam
divya-gandhanulepanam
sarvascarya-mayam devam
anantam vishvato-mukham
Prodigieuse la vision tout entière: innombrables les bouches, innombrables les yeux, en cette forme universelle, parée de divins et étincelants joyaux, de multiples vêtures, brandissant de multiples armes. Glorieusement couverte de guirlandes, ointe de parfums célestes, cette forme qui tout pénètre, magnifique et sans fin, Arjuna la contemple.
Ces deux versets indiquent que les mains du Seigneur, Ses bouches, Ses jambes, etc., sont innombrables. Ces manifestations s'étendent partout dans l'univers, elles sont infinies; mais par la grâce du Seigneur, par Son pouvoir inconcevable, Arjuna, bien que situé en un lieu unique, peut maintenant les voir toutes.
bhaved yugapad utthita
yadi bhah sadrsi sa syad
bhasas tasya mahatmanah
Si des milliers et des milliers de soleils, ensemble, se levaient dans le ciel, peut-être leur éclat s'approcherait-il de celui du Seigneur Suprême dans cette forme universelle.
Ce que voit Arjuna, nul ne saurait le décrire. Pourtant, cette grande révélation, Sanjaya s'efforce d'en évoquer l'image dans le mental de Dhrtarastra. Ni Sanjaya ni Dhrtarastra ne sont présents devant la forme universelle du Seigneur, mais Sanjaya, par la grâce de Vyasa, qui l'a doté d'un pouvoir de vision, peut tout connaître des événements qui se déroulent sur le champ de bataille. Ici, il donne de la scène une image encore à la mesure de notre entendement, et la compare à un phénomène accessible à notre imagination: l'apparition de centaines de milliers de soleils.
pravibhaktam anekadha
apasyad deva-devasya
sarire pandavas tada
Les mondes, bien qu'infinis et innombrables, Arjuna les voit alors, tous rassemblés en un point unique, en la forme universelle du Seigneur.
Les implications du mot tatra, "là", dans ce verset, doivent être approfondies: il nous montre Krsna et Arjuna ensemble sur le char, au moment où Arjuna voit la forme universelle du Seigneur. Les autres guerriers, sur le champ de bataille, ne peuvent la contempler, car seul Arjuna a reçu de Krsna la vision adéquate.
Dans le corps du Seigneur, il voit des milliers d'univers. Les Ecrits védiques nous enseignent en effet qu'il existe d'innombrables univers, d'innombrables planètes; certaines sont faites de terre, d'autres faites d'or, de joyaux..., il en est d'immenses, d'autres sont moins étendues... Sur son char, Arjuna peut les voir toutes. Personne, cependant, sur le champ de bataille, ne soupçonne ce qui arrive entre Krsna et Arjuna.
hrsta-roma dhananjayah
pranamya sirasa devam
kritanjalir abhasata
Alors, frappé d'émerveillement, les poils hérissés, Arjuna rend son hommage au Seigneur, et mains jointes, commence de Lui offrir des prières.
Aussitôt la vision divine révélée, la relation entre Krsna et Arjuna change de nature. Une étroite relation d'amitié a toujours uni Arjuna au Seigneur, mais ici, après qu'il a perçu Sa forme universelle, voilà qu'il Lui offre avec grand respect son hommage, voilà qu'il joint les mains pour la prière, et cette prière, il l'adresse à Krsna, louant Sa forme universelle. Sa relation d'amitié avec Krsna se métamorphose en une relation d'émerveillement. Les grands bhaktas voient Krsna comme le réservoir, l'océan de toutes les relations qui unissent entre eux les hommes, ou les devas, ou, le Seigneur et Ses dévots. Douze relations fondamentales sont mentionnées dans les Ecritures,(1) et toutes se retrouvent en Krsna. Arjuna est donc inspiré par une relation d'émerveillement, qui suscite en lui, d'ordinaire si modéré, si calme et serein, l'extase: les poils de son corps se hérissent, et, les mains jointes, il rend son hommage au Seigneur Suprême. Jamais la peur ne s'empare de lui, mais il est frappé par les gloires merveilleuses du Seigneur Suprême. Et c'est cet émerveillement qui, troublant le lien naturel d'amitié profonde qui l'unit au Seigneur, provoque en lui le comportement que décrit ce verset.
pasyami devams tava deva dehe
sarvams tatha bhuta-visesa-sanghan
brahmanam isam kamalasana-stham
rsims ca sarvan uragams ca divyan
Arjuna dit:
O Krsna, mon cher Seigneur, je vois, en Ton corps réunis tous les devas et autres êtres. J'aperçois Brahma, assis sur la fleur de lotus, et Siva, et les sages, et les serpents divins.
Arjuna voit tout de l'univers: Brahma, le premier être créé, ainsi que, dans les régions inférieures, le serpent céleste sur lequel S'allonge Garbhodakasayi Visnu: on désigne cette "couche" du nom de Vasuki (d'autres serpents ont également le même nom). De Garbhodakasayi Visnu jusqu'au sommet de l'univers, à la planète en forme de fleur de lotus où demeure Brahma, le premier être créé, du commencement jusqu'à la fin, Arjuna, sur son char, peut contempler tout l'univers, et cela, par la seule grâce du Seigneur Suprême, Sri Krsna.
(1) Ces douze relations correspondent à autant d'émotions" (rasas), qui en déterminent le caractère:
i. madhurya (ou srngara): sentiment amoureux;
ii. vatsalya: affection parentale;
iii. sakhya: amitié;
iv. dasya: attitude de service;
v. ganta: neutralité;
vi. raudra: colère;
vii. adbhuta: émerveillement;
viii. hasya: comédie;
ix. vira: vaillance;
x. daya: compassion;
xi. bhayanaka: peur, horreur;
xii. bibhatsa: bouleversement.
pasyami tvam sarvato ’nanta-rupam
nantam na madhyam na punas tavadim
pasyami visvesvara vishva-rupa
0 Seigneur de l'univers, je vois, en Ton corps universel, d'innombrables formes, d'innombrables yeux, bouches, bras et ventres, étendus à l'infini. Là, point de fin, de milieu, ni de commencement.
Krsna est Dieu, la Personne Suprême, Il est l'Infini: en Lui, toutes choses peuvent être contemplées.
tejo-rasim sarvato diptimantam
pasyami tvam durniriksyam samantad
diptanalarka-dyutim aprameyam
Sa radiance éblouissante, dont le flamboiement et l'ampleur sont semblables à ceux du soleil, rend Ta forme, parée de multiples couronnes, de masses et de disques, difficile à garder sous les yeux.
tvam asya vishvasya param nidhanam
tvam avyayah sasvata-dharma-gopta
sanatanas tvam purusho mato me
Tu es le but premier, suprême, et nul, dans tous les univers, n'égale Ta grandeur, Toi qui es intarissable, le plus ancien de tout. Tu es le soutien de la religion impérissable et l'éternelle Personne Divine.
ananta-bahum sasi-surya-netram
pasyami tvam dipta-hutasa-vaktram
sva-tejasa vishvam idam tapantam
Sans commencement, sans milieu et sans fin, Tu es de tout l'origine. Sans nombre sont Tes bras, sans nombre Tes yeux grandioses, et parmi eux, le soleil et la lune. Tes bouches crachent un feu brûlant, et de Ta radiance, Tu réchauffes cet univers tout entier.
Les six perfections du Seigneur Suprême s'étendent sans fin. Dans ce verset, comme dans nombre d'autres, on trouvera des répétitions; mais les Ecrits védiques nous enseignent que la répétition des gloires de Krsna ne constitue en rien une faiblesse littéraire. N'arrive-t-il pas, lorsqu'on est égaré, émerveillé ou saisi d'une grande extase, que l'on répète maintes fois les mêmes exclamations? Ces formes répétées ne sauraient être comprises comme la trace d'une imperfection.
vyaptam tvayaikena disas ca sarvah
drishtvadbhutam rupam ugram tavedam
loka-trayam pravyathitam mahatman
Bien qu'unique, Tu Te déploies à travers le ciel, les planètes et l'espace qui les sépare. Contemplant cette forme, la Tienne, terrible et merveilleuse, ô grand parmi les grands, je vois les trois systèmes planétaires, tous jetés dans la confusion.
Le mots dyav aprthivyoh (l'espace qui sépare le ciel et la Terre) et loka-trayam (les trois mondes) sont ici d'une importance toute particulière: ils montrent que la forme universelle du Seigneur est vue non seulement par Arjuna, mais aussi par d'autres personnes, en divers systèmes planétaires. Cette vision ne relève en rien du songe, puisque tous ceux dont la conscience spirituelle est éveillée, qui sont dotés d'yeux "divins", la contemplent également.
kecid bhitah pranjalayo grnanti
svastity uktva maharsi-siddha-sanghah
stuvanti tvam stutibhih puskalabhih
Tous les devas, par groupes, se soumettent et entrent en Toi. Terrifiés, les mains jointes, ils T'adressent des prières et chantent les hymnes védiques.
Les devas, dans tous les systèmes planétaires, craignent cette forme universelle et son éblouissante radiance. C'est pourquoi ils prient et implorent la protection du Seigneur.
visve ’svinau marutas cosmapas ca
gandharva-yakshasura-siddha-sangha
viksante tvam vismitas caiva sarve
Les différentes manifestations de Siva, les Adityas, les Vasus, les Sadhyas, les Visvadevas, les deux Asvins, les Maruts, les ancêtres et les Gandharvas, les Yaksas, les Asuras et les devas accomplis, tous Te contemplent, frappés d'émerveillement.
maha-baho bahu-bahuru-padam
bahudaram bahu-damstra-karalam
drishtva lokah pravyathitas tathaham
A la vue de Tes visages et de Tes yeux sans nombre, de Tes bras, ventres, jambes, tous innombrables, et de Tes terribles dents, ô Toi au-bras-puissant, les planètes et tous leurs devas sont troublés, comme je le suis moi-même.
vyattananam dipta-visala-netram
drishtva hi tvam pravyathitantar-atma
dhrtim na vindami samam ca visno
Tes couleurs éblouissantes, multiples, emplissent les cieux, et à la vue de Tes yeux immenses et flamboyants, de Tes bouches béantes, je ne puis conserver plus longtemps mon mental en paix, ô Visnu, Toi qui tout pénètres, j'ai peur.
drishtvaiva kalanala-sannibhani
diso na jane na labhe ca sarma
prasida devesa jagan-nivasa
Comme je regarde Tes visages, ardents comme la mort, et Tes dents, terribles, les sens me font défaut. De toutes parts m'assaille la confusion. 0 Seigneur des seigneurs, ô havre des mondes, accorde-moi Ta grâce.
sarve sahaivavani-pala-sanghaih
bhismo dronah suta-putras tathasau
sahasmadiyair api yodha-mukhyaih
vaktrani te tvaramana vishanti
damstra-karalani bhayanakani
kecid vilagna dasanantaresu
sandrsyante curnitair uttamangaih
Les fils de Dhrtarastra et leurs alliés royaux, et Bhisma, Drona, Karna, et aussi les plus éminents de nos guerriers, tous se précipitent dans Tes bouches, dont les dents effroyables écrasent leurs têtes. J'en vois même qui, entre ces dents, sont broyés.
Comme nous l'avons vu dans un verset antérieur, Krsna a promis à Arjuna qu'il lui montrerait des choses qui susciteront en lui le plus grand intérêt. Et, en effet, Arjuna voit ici les chefs de l'armée rivale (Bhisma, Drona, Karna, tous les fils de Dhrtarastra) et leurs hommes, ainsi que ses propres guerriers, mais tous anéantis. Cette vision lui prédit la victoire, malgré des pertes considérables dans les deux camps. Même Bhisma, dit invincible, périra; et aussi Karna. Les grands guerriers de l'armée rivale ne seront pas seuls à trouver la mort, certains des chefs du camp d'Arjuna les accompagneront.
samudram evabhimukha dravanti
tatha tavami nara-loka-vira
vishanti vaktrany abhivijvalanti
Telles les eaux des fleuves qui dans l'océan se jettent, ces légions de grands guerriers dans Tes bouches de feu se ruent et périssent.
vishanti nasaya samrddha-vegah
tathaiva nasaya vishanti lokas
tavapi vaktrani samrddha-vegah
Comme des phalènes se hâtent à leur perte dans le feu brûlant, ainsi tous les hommes se précipitent dans Tes bouches pour s'y détruire.
lokan samagran vadanair jvaladbhih
tejobhir apurya jagat samagram
bhasas tavograh pratapanti visno
O Visnu, je Te vois qui engloutis tous ces êtres dans Tes bouches enflammées, qui couvres l'univers de Ta radiance sans mesure et embrases les mondes.
namo ’stu te deva-vara prasida
vijnatum icchami bhavantam adyam
na hi prajanami tava pravrttim
0 maître des maîtres, Toi dont la forme est si terrible, je T'en prie, dis moi qui Tu es. Je Te rends mon hommage; accorde-moi Ta grâce. Je ne comprends pas le dessein de Tes œuvres, et voudrais le connaître.
kalo ’smi loka-ksaya-krt pravrddho
lokan samahartum iha pravrttah
rte ’pi tvam na bhavisyanti sarve
ye ’vasthitah pratyanikesu yodhah
Le Seigneur Bienheureux dit:
Je suis le temps, destructeur des mondes, venu engager tous les hommes. En dehors de vous [les Pandavas], ils périront tous, guerriers des deux armées qui s'affrontent.
Bien qu'Arjuna sache que Krsna est Dieu, la Personne Suprême, et demeure son ami, il se trouve égaré en voyant la puissance des diverses formes que maintenant Il manifeste. C'est pourquoi il cherche à en savoir davantage quant à la véritable mission de cette puissance dévastatrice. Les Vedas enseignent que la Vérité Absolue détruit tout, jusqu'à Brahma: les brahmanas, les ksatriyas, tous finissent par être anéantis par cette Vérité suprême. Le Seigneur, sous la forme du temps qui tout consume, est comparé à un ogre insatiable, et c'est dans cette forme qu'il Se présente ici. A l'exception de quelques Pandavas, tous les guerriers présents sur le champ de bataille seront par Lui dévorés.
Arjuna est défavorable au combat, il lui semble qu'en l'évitant, on éviterait du même coup toute frustration. Mais le Seigneur, Lui, appuie sur le fait que même s'il refuse de combattre, tous ces guerriers périront, car tel est Son dessein. Même si Arjuna décidait de ne pas livrer bataille, ils mourraient par quelque autre voie. Rien ne peut arrêter la mort. Tous, en vérité, sont déjà morts. Le temps représente la destruction, et toute manifestation, en ce monde, est, par le désir du Seigneur, vouée à l'anéantissement. Telles sont les lois de la nature.
jitva satrun bhunksva rajyam samrddham
mayaivaite nihatah purvam eva
nimitta-matram bhava savya-sacin
Aussi, lève-toi, prêt à combattre. Triomphant de tes ennemis, tu jouiras d'un royaume prospère. Tous, par Mon ordre, sont déjà tués, et toi, ô Savyasacin, ne peut être, dans cette lutte, qu'un instrument dans Ma main.
Krsna désigne ici Arjuna du nom de Savyasacin, qui désigne l'archer très habile, le guerrier qui de ses flèches peut, sur le champ de bataille, anéantir tous ses ennemis. Les mots nimitta-matram ("deviens seulement l'instrument") ont également une grande importance. Car, le monde entier se meut selon le plan de Dieu, la Personne Suprême. Les sots, les gens de peu de savoir, pensent que la nature agit par caprice, qu'elle n'est pas déterminée par la volonté d'une autorité supérieure, et que toute manifestation n'y est qu'accidentelle. On rencontre nombre de ces pseudo-savants qui construisent chacun leur propre explication de la création et du mouvement de la nature matérielle, à force de "peut-être" et de "il est fort possible". Mais il n'est pas question de "peut-être", car cet univers matériel obéit à un plan, il sert un dessein bien précis. La manifestation cosmique constitue l'occasion, pour les âmes conditionnées, de retourner à leur véritable demeure, au royaume de Dieu. Mais ces âmes demeureront conditionnées aussi longtemps qu'elles garderont leur mentalité dominatrice, qu'elles s'efforceront de régner sur la nature matérielle. Quiconque, cependant, parvient à saisir la volonté du Seigneur, et cultive la conscience de Krsna, fait preuve de la plus haute intelligence. La création et la destruction de la manifestation matérielle s'accomplissent sous la conduite de Dieu. De même pour la Bataille de Kuruksetra: elle sera livrée selon le plan du Seigneur. A un Arjuna refusant de livrer bataille, Krsna déclare qu'il devrait combattre tout en fixant sur Lui ses pensées. C'est seulement ainsi qu'il trouvera le bonheur. Parfait est l'homme qui, absorbé dans la conscience de Krsna, se voue au service absolu du Seigneur.
karnam tathanyan api yodha-viran
maya hatams tvam jahi ma vyathistha
yudhyasva jetasi rane sapatnan
Drona, Bhisma, Jayadratha, Karna, et les autres guerriers valeureux, tous déjà sont mis à mort. Combats sans être troublé, et tu vaincras dans cette lutte tous tes ennemis.
Bien que tout s'accomplisse par Sa volonté, le Seigneur Suprême, Sri Krsna, est si bon et miséricordieux envers Ses dévots, qui servent Son dessein selon Ses vœux, qu'il veut toujours leur attribuer tous les mérites. C'est pourquoi tous les êtres devraient comprendre le Seigneur Suprême à travers Son pur dévot, le maître spirituel, et, par cette voie, consacrer leur existence à la conscience de Krsna. Par la miséricorde du Seigneur, on pourra connaître Sa volonté. Alors, il suffit d'y obéir, ou d'obéir à celle de Ses dévots, qui a tout autant d'importance, pour sortir victorieux de la lutte pour l'existence.
etac chrutva vacanam keshavasya
kritanjalir vepamanah kiriti
namaskritva bhuya evaha krishnam
sa-gadgadam bhita-bhitah pranamya
Sanjaya dit à Dhrtarastra:
O roi, ayant ouï les paroles du seigneur Suprême, Arjuna tremble, et, terrifié, les mains jointes, lui rend son hommage. D'une voix coupé par l'émotion, il se met à parler.
A la vue de la forme universelle du Seigneur, Ajurna, nous l'avons déjà dit, est complètement saisi d'émerveillement. Encore et encore, il offre ses respects à Krsna, et, de sa voix entrecoupé par l'émotion, lui adresse ses prières, non plus comme son ami, mais Son dévot émerveillé.
sthane hrishikesha tava prakirtya
jagat prahrsyaty anurajyate ca
rakshamsi bhitani diso dravanti
sarve namasyanti ca siddha-sanghah
Arjuna dit:
Au son de Ton Nom, ô Hrsikesa, l'univers s'emplit de joie, et ainsi, tous s'attachent à Toi. Les êtres accomplis Te rendent leur hommage respectueux, mais les êtres démoniaques, saisis d'épouvante, s'enfuient de toutes parts. C'est justement et à bon droit qu'il en est ainsi.
Après avoir connu, des lèvres de Krsna, l'issue de la bataille, Arjuna, dévot du Seigneur, se trouve éclairé. Il admet que tout ce que Krsna accomplit est juste et bon. Il confirme que Ses Actes sont également bénéfiques pour tous: pour Ses dévots, dont Il est le soutien, l'objet d'adoration, et pour les démoniaques, dont Il est le destructeur. Arjuna comprend que, de l'espace, nombre de devas, de siddhas, ainsi que les hauts habitants des planètes supérieures, vont observer le combat avec un grand intérêt, causé par la présence même de Krsna, et assisteront à la conclusion de la Bataille de Kuruksetra. Au moment où Arjuna contemple la forme universelle du Seigneur, immense est la satisfaction des devas; mais les autres, les athées, les asuras, ne peuvent supporter les louanges alors adressées au Seigneur. Naturellement, ils craignent cette forme destructrice de Dieu, et fuient devant elle. Arjuna glorifie Krsna pour la façon dont Il traite Ses dévots et pour celle aussi dont Il traite les athées. Toujours le bhakta glorifie le Seigneur, car il sait que tout ce qu'Il accomplit est accompli pour le bien de tous.
gariyase brahmano ’py adi-kartre
ananta devesa jagan-nivasa
tvam aksharam sad-asat tat param yat
0 Toi, si grand, qui dépasses même Brahma, Tu es le maître originel. Comment ne Te rendraient-ils pas leur hommage, ô Toi l'Infini. 0 refuge de l'univers, Tu es la source impérissable, la cause de toutes les causes, au delà de la manifestation matérielle.
En offrant ainsi son hommage à Krsna, Arjuna L'établit comme digne de l'adoration de tous les êtres. Il est l'Omniprésent, l'âme de chaque âme. Arjuna s'adresse à Krsna par les mots mahatma, ananta et devesa: mahatma parce qu'il est infini et des plus magnanimes, ananta car rien n'échappe à Ses énergies et influences, et devesa pour montrer qu'Il est maître de tous les devas et Se trouve au-dessus d'eux tous. Il est le centre de l'univers tout entier. Arjuna juge tout à fait convenable que tous les puissants devas et êtres de perfection Lui rendent leur hommage respectueux, car nul ne L'égale. Il mentionne en particulier que Krsna dépasse Brahma, qui fut par Lui créé. Brahma fut engendré à partir de la fleur de lotus qui pousse du nombril de Garbhodakasayi Visnu, Lui-même émanation plénière de Krsna. Brahma, Siva, engendré par Brahma, et à leur suite tous les autres devas, se doivent donc de rendre leur hommage à Krsna. Ainsi est-Il respecté d'eux. Le mot aksaram est également significatif dans ce verset: il indique que le Seigneur transcende la création matérielle, soumise à la destruction. Il est la cause de toutes les causes, et, par suite, domine la nature matérielle de même que toutes les âmes qu'elle conditionne. Il est donc l'Etre Suprême, le Tout puissant.
tvam asya vishvasya param nidhanam
vettasi vedyam ca param ca dhama
tvaya tatam vishvam ananta-rupa
Tu es Dieu, la Personne Suprême et Originelle, unique sanctuaire de ce monde manifesté. Tout est par Toi connu, et Tu es tout ce qui se peut connaître. Aux trois gunas Tu n'es point lié, ô Forme infinie, Tu es partout présent dans l'univers.
Le mot nidhanam indique que tout, même le brahmajyoti, repose en Krsna, Dieu, la Personne Suprême. Et parce que tout repose en Lui, Il est aussi le refuge ultime. Tous les détails de cet univers Lui sont connus; et si la connaissance a un but, Il est certes ce but. On L'appelle donc le connu comme le connaissant. Par Son omniprésence, Il constitue l'objet du savoir. Cause même du monde spirituel, Il transcende le monde de la matière. Enfin, dans le royaume spirituel, Il est la Personne dominante, Suprême.
prajapatis tvam prapitamahas ca
namo namas te ’stu sahasra-kritvah
punas ca bhuyo ’pi namo namas te
Tu es l'air, le feu, l'eau et aussi la lune. Tu es le maître absolu et l'aïeul. Mille fois, encore et encore, je T'offre mon hommage et mon respect.
L'air, qui tout pénètre, est, par là, la plus importante manifestation des devas, et désigne donc ici Krsna. Arjuna appelle également Krsna "l'aïeul", car Il est le père de Brahma, premier être créé dans l'univers matériel.
namo ’stu te sarvata eva sarva
ananta-viryamita-vikramas tvam
sarvam samapnosi tato ’si sarvah
De devant, de derrière, de toutes parts, reçois mon hommage. 0 puissance infinie, maître de pouvoirs sans mesure, Tu pénètres tout, et ainsi, Tu es tout.
Inondé de l'extase de l'amour pour Krsna, Son ami Arjuna Lui offre de toutes parts ses respects. Il reconnaît en Lui le maître de toute puissance, de toute prouesse. Sa force dépasse de loin celle de tous les grands guerriers assemblés sur le champ de bataille. Il est d'ailleurs dit, dans le Visnu Purana:
"Quiconque devant Toi se présente, fût-il un deva, appartient à Ta création, ô Toi, Dieu, la Personne Suprême."
he krishna he yadava he sakheti
ajanata mahimanam tavedam
maya pramadat pranayena vapi
yac cavahasartham asat-krto ’si
vihara-sayyasana-bhojanesu
eko ’tha vapy acyuta tat-samaksham
tat ksamaye tvam aham aprameyam
Méconnaissant Tes gloires, je T'ai, dans le passé, nommé ainsi: "ô Krsna", "ô Yadava", "ô mon ami ". Pardonne-moi, je T'en prie, tout ce que j'ai pu faire par déraison ou par amour. Que de fois T'ai-je manqué de respect, quand nous nous divertissions ensemble, quand nous nous allongions sur le même lit, partagions le même repas, parfois seuls, parfois devant plusieurs compagnons. Toutes ces offenses, ô Acyuta, je T'en demande pardon.
Bien que Krsna Se révèle à présent devant Arjuna dans Sa forme universelle, le prince se souvient encore de son lien d'amitié avec Lui: il implore le pardon pour toutes les familiarités amicales qu'il s'est jadis permises. Il reconnaît que jamais il ne crut le Seigneur capable de manifester une telle forme, même lorsque dans leurs échanges d'amitié Celui-ci lui en avait parlé. Arjuna ne peut compter le nombre de fois où il a manqué de respect au Seigneur en L'appelant "ô mon ami", "ô Krsna", "ô Yadava", sans considérer Sa grandeur. La bonté et la miséricorde de Krsna, cependant, sont si grandes, que, malgré cette gloire qui est Sienne, Il a entretenu avec Arjuna des rapports d'amitié. Tel est l'échange d'amour, absolu, qui unit le Seigneur et Ses dévots. Comme l'attitude d'Arjuna l'indique dans ce verset, la nature du lien qui unit l'être distinct au Seigneur est immuable, et ce lien est éternel, inoubliable. Même après avoir contemplé la forme universelle du Seigneur dans toute sa grandeur, Arjuna ne peut perdre la mémoire de la relation d'amitié qui l'unit toujours à Krsna.
tvam asya pujyas ca gurur gariyan
na tvat-samo ’sty abhyadhikah kuto ’nyo
loka-traye ’py apratima-prabhava
De l'entière manifestation matérielle, Tu es le Père, le Seigneur adorable, le glorieux Maître spirituel. Nul n'est Ton égal, combien moins plus haut, combien moins Un avec Toi! Dans les trois mondes, Ta puissance règne, sans mesure.
Comme un père mérite d'être révéré par ses fils, le Seigneur, Sri Krsna, est digne d'être révéré et adoré par tous les êtres. Il est le maître spirituel originel, puisqu'au début de la création Il confia à Brahma la connaissance védique, de même que maintenant Il enseigne la Bhagavad-gita à Arjuna. C'est pourquoi nul, aujourd'hui, ne peut se prétendre un maître spirituel authentique sans appartenir à une succession disciplique remontant à Krsna Lui-même. Comment, en effet, si l'on ne représente pas Krsna Lui-même, pourrait-on occuper la fonction de précepteur ou de maître spirituel?
Le Seigneur Se voit ici honoré à tous les égards. Sa grandeur est sans mesure. Dans les mondes matériel et spirituel, nul n'égale ou dépasse Krsna. Il est Dieu, la Personne Suprême. Tous les êtres Lui sont subordonnés.
Le Seigneur Suprême, Sri Krsna, possède, comme les êtres humains, un corps et des sens; mais en Lui, aucune distinction entre l'Ame, les Sens, le Corps et le Mental. Les sots, qui ne connaissent pas vraiment Sa nature, Le déclarent distinct de Son Ame, Son Mental, Son Cœur, etc., mais Krsna est absolu, suprême; Ses Actes et Ses puissances doivent donc également l'être. Les Ecritures enseignent que Ses Sens ne sont ni limités ni imparfaits comme les nôtres: leur champ d'action est infini. Nul, donc ne peut dépasser le Seigneur, nul ne peut L'égaler, tous les êtres Lui sont subordonnés.
Celui qui connaît la nature du Corps spirituel de Krsna, de Ses Actes et de Sa perfection, retourne à Lui après avoir quitté son corps, et jamais plus ne renaît en ce monde de souffrance. Il nous faut donc comprendre que les Actes de Krsna Le distinguent du commun des êtres. Le mieux est d'obéir aux principes établis par Krsna, et, par là, de connaître la perfection. Les Ecritures affirment également que nul ne domine le Seigneur, que tous les êtres sont Ses serviteurs. Krsna seul est Dieu, et tous sont faits pour Le servir. Chaque être agit selon Sa direction, sous Sa supervision. Nul ne peut échapper à Son ordre. La Brahma-sathhita l'enseigne: Krsna est la cause de toutes les causes.
prasadaye tvam aham isam idyam
piteva putrasya sakheva sakhyuh
priyah priyayarhasi deva sodhum
Tu es le Seigneur Suprême, à qui chaque être doit toute adoration. Je tombe donc à Tes pieds, T'offre mon respect et implore Ta miséricorde. Comme un père pour son fils, un ami pour un ami, un amant pour son aimée, sois tolérant envers moi, daigne, mon Seigneur, souffrir les fautes que j'ai pu commettre à Ton endroit.
Divers liens unissent Krsna à Ses dévots. Certains se comportent avec le Seigneur comme s'Il était leur fils, d'autres leur époux, leur ami, leur maître, etc... C'est une relation d'amitié qui lie Arjuna à Krsna. Comme un père, un époux, ou un maître, Krsna est toujours tolérant envers Son dévot.
bhayena ca pravyathitam mano me
tad eva me darsaya deva rupam
prasida devesa jagan-nivasa
En voyant cette forme universelle, que jamais encore je n'avais vue, je suis heureux, mais en même temps, mon mental est ébranlé par la peur. C'est pourquoi te Te prie de m'apparaître à nouveau dans Ta Forme de Personne Suprême; fais-moi cette grâce, ô Seigneur des seigneurs, ô refuge de l'univers.
Parce qu'il en est l'ami très cher, Arjuna entretient toujours une relation intime avec Krsna. Et comme un homme est heureux de connaître l'excellence d'un ami très cher, Arjuna est inondé de joie lorsqu'il voit que Krsna est Dieu, la Personne Suprême, et qu'Il peut manifester un aspect de lui même aussi merveilleux que la forme universelle. Cependant, d'un autre côté, la vue de cette forme suscite en lui la crainte, celle d'avoir commis trop d'offenses par son attitude purement amicale envers le Seigneur. Et bien que cette crainte n'ait pas de motif valable, son mental s'en trouve perturbé. Arjuna implore donc Krsna de révéler à présent Sa Forme de Narayana. Le Seigneur, en effet, peut prendre la forme qu'Il désire. Il vient de montrer Sa forme universelle, matérielle et éphémère comme ce monde, mais sur les planètes Vaikunthas, Il vit dans Sa Forme spirituelle de Narayana, dotée de quatre bras. Dans le monde spirituel, les planètes sont innombrables, et sur toutes Krsna est présent, à travers Ses émanations plénières aux divers Noms, dotées des quatre bras et des quatre symboles: la conque, la masse, la fleur de lotus et le disque. Les Noms respectifs de ces divers Narayanas dépendent de l'ordre dans lequel Ils tiennent ces quatre symboles. Ces Formes font avec Krsna une seule et même Personne; aussi Arjuna implore-t-il le Seigneur de Se montrer à lui dans Sa Forme à quatre bras. Il désire Le voir dans une des Formes qu'Il manifeste sur les planètes Vaikunthas.
icchami tvam drastum aham tathaiva
tenaiva rupena catur-bhujena
sahasra-baho bhava vishva-murte
O Seigneur universel, Je désire Te contempler dans Ta Forme à quatre bras, couronnée, portant la masse, le disque, la conque et la fleur de lotus. Grand est mon impatience de T'admirer dans cette Forme, ô Toi aux mille bras.
La Brahma-samhita nous informe que le Seigneur possède éternellement, et de façon simultanée, des centaines de milliers de Formes, dont les principales sont celles de Rama, Nrsimha, Narayana ... Arjuna, sachant que Krsna, en personne, est l'Etre Suprême, originel, qui revêt seulement pour une durée limitée cette forme universelle, Lui demande à présent de montrer Sa Forme de Narayana, purement spirituelle.
Ce verset corrobore de façon définitive les enseignements du Srimad-Bhagavatam: Krsna est Dieu, la Personne Suprême, originelle, et toute autre forme émane de Lui. Lui et Ses émanations plénières ne constituent qu'un seul et même Etre; en chacune de Ses innombrables Formes, Il demeure toujours Dieu. En toutes ces Formes, Il garde la fraîcheur d'un jeune homme. Tel est l'aspect éternel de Dieu, la Personne Suprême. Qui connaît cette Personne Suprême, Sri Krsna, est aussitôt lavé de toute souillure matérielle.
maya prasannena tavarjunedam
rupam param darshitam atma-yogat
tejo-mayam vishvam anantam adyam
yan me tvad anyena na drsta-purvam
Le Seigneur Bienheureux dit :
C'est dans la joie, Mon cher Arjuna, que par Ma puissance interne, Te t'ai révélé, en ce monde, Ma forme universelle, sublime, infinie, éblouissante, que nul avant toi n'a jamais vue.
Parce qu'Arjuna désirait voir Sa forme universelle, le Seigneur Suprême, par Sa grâce envers Son dévot, la lui a montrée, toute éclatante d'opulence et de lumière, resplendissante comme le soleil, aux visages multiples, qui changent rapidement.
Krsna, en manifestant cette forme, à travers Sa puissance interne, puissance inaccessible aux spéculations des hommes, n'a d'autre but que de répondre au désir d'Arjuna, Son ami. Nul, avant ce dernier, n'a vu cette forme universelle du Seigneur, mais grâce à lui, parce qu'elle lui est montrée, d'autres bhaktas, habitants des planètes édéniques et d'autres astres, peuvent également la voir. Tous les dévots authentiques du Seigneur voient donc, en même temps qu'Arjuna, la forme que par Sa grâce Il lui montre. Un commentateur de la Bhagavad-gita avance que cette forme fut également révélée à Duryodhana, lors qu'avant la bataille, Krsna vint lui proposer la paix, qu'hélas il refusa. A vrai dire, ce que Krsna a montré à Duryodhana n'est pas la forme que voit Arjuna, mais certaines de Ses autres formes universelles. Il est clairement établi, dans notre verset, que nul, avant Arjuna, n'a contemplé la forme particulière que lui révèle le Seigneur.
na ca kriyabhir na tapobhir ugraih
evam-rupah sakya aham nr-loke
drastum tvad anyena kuru-pravira
Ni l'étude des Vedas, ni les sacrifices, ni les actes charitables, ni même les rites, l'ascèse sévère ou telles autres pratiques, ne donnent de voir Ma forme universelle. Nul avant toi, ô meilleur des guerriers Kurus, nul n'a pu la contempler.
Qu'est-ce que la vision divine, et qui en est doté? Il est nécessaire, pour la compréhension de ce verset, d'en bien saisir le sens. Par "divine", il faut entendre "en relation avec Dieu". Nul ne peut voir de la vision divine sans s'élever au niveau divin, qui est celui des devas. Et qu'est-ce qu'un deva? Les Ecrits védiques nous enseignent que c'est un dévot de Visnu. Les athées, qui ne croient pas en Visnu, ou qui considèrent comme seul suprême l'aspect impersonnel du Seigneur, ne peuvent connaître la vision divine. Nul ne peut blasphémer le Seigneur, Sri Krsna, et posséder cette vision. Comment pourrait-on posséder la vision divine sans être soi-même "divin", c'est-à-dire en relation avec Dieu. Ce qu'Arjuna voit, quiconque possède la vision divine peut le voir également.
Parce que Krsna a révélé Sa visva-rupa, Sa forme universelle, à Arjuna, les hommes peuvent en connaître la description, jusqu'alors ignorée, à travers la Bhagavad-gita. Les êtres aux qualités divines peuvent en vérité voir cette forme. Et ces qualités divines ne se trouvent que chez les purs dévots de Krsna. Mais ces dévots, cependant, bien que dotés des qualités et de la vision divines, n'ont pas grand désir de voir le Seigneur dans Sa forme universelle. Comme nous l'avons appris au verset quarante-cinq, Arjuna a peur de cette forme universelle, et il demande au Seigneur, Sri Krsna, de lui révéler Sa Forme de Visnu, à quatre bras.
On trouve, dans notre verset, plusieurs termes sanskrits présentant un intérêt particulier. Celui du veda-yajnadhyayanaih, par exemple, qui se rapporte à l'étude des Vedas et aux règles qu'il faut observer dans l'accomplissement des sacrifices. Le mot veda désigne tout Ecrit védique, parmi lesquels les quatre Vedas (le Rk, le Yajus, le Sama et l'Atharva), les dix-huit Puranas, les cent huit Upanisads et le Vedanta-sutra. Et l'on peut étudier ces Ecrits où que l'on se trouve, chez soi ou ailleurs. Il existe également, dans l'ensemble des textes sacrés, des sutras (les Kalpa-sutras, les Mimamsa-sutras), qui enseignent les diverses pratiques sacrificielles. Le mot danaih, lui, indique les actes de charité qu'on adresse à des personnes qualifiées, tels les brahmanas et les vaisnavas, engagés dans le service absolu du Seigneur. Le mot kriyabhih fait référence aux actes de piété, tel l'agnihotra, les devoirs prescrits par notre appartenance à un varna particulier, etc. Lorsque ces actes de piété sont accompagnés d'ascèse volontaire, on les appelle tapasya. L'on peut donc se soumettre à toutes ces pratiques, l'ascèse, la charité, l'étude des Vedas, etc., mais à moins de devenir un bhakta, comme Arjuna, jamais on ne verra la forme universelle du Seigneur. Les impersonnalistes, par exemple, s'imaginent qu'ils ont accès à la vision de cette forme universelle, mais la Bhagavad-gita nous montre clairement qu'ils ne sont pas des dévots du Seigneur, d'où leur incapacité à le faire. Il n'est pas rare de rencontrer des gens qui fabriquent de toutes pièces des "avataras", à partir d'hommes ordinaires. Pure ineptie. Comprenons qu'il nous faut suivre les instructions de la Bhagavad-gita, sans quoi nous ne pourrons atteindre au parfait savoir spirituel. Car, bien qu'elle soit considérée comme l'étude préliminaire à la science de Dieu, la Bhagavad-gita est si parfaite que la connaître permet de voir les choses sous leur vrai jour. Les disciples d'un prétendu avatara peuvent toujours se targuer d'avoir vu Dieu dans Son incarnation sublime, dans Sa forme universelle, mais rien ne permet de le vérifier, tandis que la Bhagavad-gita ne laisse pas de place aux doutes: nul ne peut, sans devenir un dévot de Krsna, Dieu, la Personne Suprême, voir Sa forme universelle. Que l'on devienne donc d'abord un pur dévot de Krsna; car, c'est seulement ensuite qu'il sera possible d'affirmer qu'on a vu la forme universelle, et de montrer ce qu'on a vu. Le dévot de Krsna ne saurait accepter un prétendu avatara ou les disciples d'un tel imposteur.
drishtva rupam ghoram idrn mamedam
vyapeta-bhih prita-manah punas tvam
tad eva me rupam idam prapasya
Devant cette forme terrible de Moi, ton mental s'est obscurci, mais que s'apaise ta crainte, que cesse ton trouble. En toute sérénité, contemple maintenant la Forme de ton désir.
Nous avons vu, au début de la Bhagavad-gita, Arjuna troublé à l'idée de tuer Bhisma et Drona, ses aïeux, ses maîtres, dignes de sa vénération. Mais Krsna lui a dit de ne pas craindre de les tuer. Il lui a rappelé que quand les fils de Dhrtarastra tentèrent, publiquement, de dévêtir Draupadi, ni Bhisma ni Drona n'intervinrent. Aussi, lui explique Krsna, parce qu'ils ont failli à leur devoir de protéger Draupadi, ils doivent être mis à mort sans hésitation. Et si Krsna révèle à Arjuna Sa forme universelle, c'est dans le but de lui montrer qu en fait, ces guerriers sont déjà morts, tués en punition de leur action coupable. Krsna a offert à Arjuna cette vision parce qu'il le sait, comme tous Ses dévots, de nature toujours paisible, et incapable d'accomplir un acte aussi horrible que tuer ses propres maîtres. L'objet de la révélation de Sa forme universelle atteint, le Seigneur répond maintenant au désir qu'exprime Arjuna de voir Sa Forme à quatre bras. Le bhakta n'éprouve aucun intérêt pour la forme universelle, car on ne peut échanger de sentiments d'amour avec cet aspect du Seigneur; il veut offrir à Dieu, à Krsna, son adoration, son respect, et, dans ce but, désire Le voir dans Sa Forme à deux bras, ou à quatre bras, pour Le servir et échanger avec Lui des sentiments d'amour.
ity arjunam vasudevas tathoktva
svakam rupam darsayam asa bhuyah
asvasayam asa ca bhitam enam
bhutva punah saumya-vapur mahatma
Sanjaya dit à Dhrtarastra:
Tenant ces propos, Krsna, Dieu, la Personne Suprême, dévoile à Arjuna Sa Forme à quatre bras, puis reprend Sa Forme à deux bras, pour réconforter le prince terrifié.
Lorsque Krsna apparut comme le fils de Vasudeva et Devaki, Il Se montra d'abord dans Sa Forme à quatre bras, qui est celle de Narayana, puis, à la demande de Ses parents, sous la forme d'un enfant d'apparence ordinaire. De même ici, bien que Sa Forme à quatre bras, Il le sait, n'intéresse pas vraiment Arjuna, Krsna, pour répondre à sa demande, la lui révèle; Il lui montre ensuite Sa Forme à deux bras. Les mots saumya-vapuh, dans notre verset, présentent un intérêt particulier: ils désignent une forme de très grande beauté, la plus belle. Lorsque Krsna était présent sur notre planète, Sa Forme seule fascinait tous les êtres. Parce qu'Il est le maître de l'univers, le Seigneur dissipe sans peine la peur d'Arjuna, Son dévot, en lui montrant à nouveau Sa belle Forme de Krsna. Et la Brahma-samhita nous enseigne que seuls ceux dont les yeux sont oints du baume de l'amour peuvent voir, dans sa beauté sublime, cette Forme de Sri Krsna.
drstvedam manusam rupam
tava saumyam janardana
idanim asmi samvrttah
sa-cetah prakritim gatah
En voyant Krsna dans Sa Forme originelle, Arjuna dit:
Je vois cette Forme aux traits humains, si merveilleusement belle, et voici que s'apaise mon mental, et que je reviens à ma propre nature, ô Janardana.
Les mots manusam rupam, dans ce verset, indiquent avec netteté que la Forme originelle de Dieu, la Personne Suprême, est une forme à deux bras; par là, ils montrent également que les sots qui dénigrent Krsna, en Le prenant pour une personne ordinaire, ignorent tout de Sa nature divine. En effet, si Krsna n'était qu'un homme ordinaire, comment aurait-Il manifesté la forme universelle, puis la Forme de Narayana, à quatre bras? La Bhagavad-gita démontre donc clairement que les "exégètes" égarent leurs lecteurs en présentant Krsna comme un homme ordinaire, en affirmant que c'est le Brahman impersonnel, par l'intermédiaire de Krsna, qui énonce la Bhagavad-gita, et de cette manière, causent à autrui le plus grand tort qui soit. Krsna vient réellement de manifester Sa forme universelle et Sa Forme de Visnu, à quatre bras; comment, dès lors, pourrait-Il n'être qu'un homme ordinaire? Jamais le pur bhakta ne se laisse égarer par de tels commentaires, car il connaît les choses telles qu'elles sont. Les versets originels de la Bhagavad-gita brillent comme le soleil; pourquoi faudrait-il, pour les éclairer, les chandelles que brandissent des commentateurs délirants?
su-durdarsham idam rupam
drstavan asi yan mama
deva apy asya rupasya
nityam darshana-kanksinah
Le Seigneur Bienheureux dit:
Cette Forme, la Mienne, que maintenant tu contemples, il est bien difficile de la voir, Mon cher Arjuna. Les devas eux-mêmes sans cesse aspirent à La découvrir, cette Forme si chère.
Nous l'avons vu au verset quarante-huit, Krsna, après avoir mis fin à la révélation de Sa forme universelle, enseigne à Arjuna qu'on ne peut atteindre cette vision à travers les sacrifices, ou autres pratiques semblables. Et maintenant, dans notre verset, le Seigneur, par l'emploi du mot sudurdarsam, indique que Sa Forme à deux bras est encore plus secrète, plus difficile à voir. On pourrait à la rigueur, en ajoutant un peu de bhakti, de service dévotionnel, aux diverses pratiques que sont l'étude des Vedas, les ascèses sévères, la spéculation philosophique, etc., voir la forme universelle du Seigneur; mais sans bhakti, impossible de voir. Or, au-delà de cette forme universelle se trouve la forme "humaine" de Krsna, Sa Forme à deux bras; et celle-ci est encore plus difficile à connaître, même pour des devas aussi puissants que Brahma, ou Siva. Tous ces devas désirent voir le Seigneur en cette Forme. Le Srimad-Bhagavatam le confirme lorsqu'il narre que tous vinrent des planètes édéniques pour voir le merveilleux Krsna quand Il Se trouvait, pour ainsi dire, dans le sein de Sa mère, Devaki. Il est même précisé qu'ils durent patienter avant de Le voir. Il faut comprendre, donc, que dénigrer Krsna dans Sa Forme à deux bras ne peut être le fait que d'un sot, et de l'espèce la plus commune, puisque des devas du rang de Brahma et de Siva aspirent à contempler le Seigneur dans cette même Forme.
La Bhagavad-gita confirme également que Krsna ne peut être vu de ces mêmes sots qui Le raillent. Son Corps, comme l'enseignent la Brahma-samhita et le Seigneur Lui-même, dans la Bhagavad-gita, est entièrement spirituel, tout de félicité et d'éternité; ce Corps n'a rien de matériel. Pour certains, cependant, qui cherchent à Le comprendre en lisant la Bhagavad-gita ou d'autres Ecrits védiques, Krsna demeure un problème. En effet, ceux qui étudient ces Ecrits avec des yeux matériels pensent que Krsna n'est qu'un important personnage historique, ou un philosophe de vaste érudition. Ils ne voient pas qu'Il n'a rien d'un homme ordinaire. Certains reconnaissent Son immense pouvoir, mais croient qu'Il dut malgré tout revêtir un corps matériel. Ils arrivent ainsi à la conclusion que la Vérité Absolue est impersonnelle, que donc Krsna n'en constitue qu'un aspect personnel emprunté, lié à la nature matérielle. C'est là développer un concept matériel du Seigneur Suprême. Et un autre concept pourra être atteint par une voie spéculative. Les jnanis, qui recherchent la connaissance, élaborent sur Krsna toutes sortes de systèmes, et Le considèrent comme moins important que la forme universelle de l'Absolu. Certains, par exemple, croient que la forme universelle manifestée par Krsna devant Arjuna est plus importante que Sa Forme personnelle. Selon eux, cette Forme personnelle n'est qu'imaginaire; ils croient qu'en dernier lieu, la Vérité Absolue n'est pas une personne. Mais il existe, pour atteindre à la connaissance de cette Vérité Absolue, du Seigneur Suprême, une voie absolue, celle qui est décrite au deuxième chapitre de la Bhagavad-gita: recevoir cette connaissance des lèvres de maîtres faisant autorité en la matière. Telle est la véritable voie védique, et Krsna devient cher aux spiritualistes qui la suivent en écoutant, des lèvres de personnes autorisées, toujours plus de détails à Son sujet.
Nous l'avons exposé maintes fois: Krsna est voilé par Sa puissance yogamaya: Il ne peut être vu de tout un chacun. Seule peut Le contempler l'âme à qui Il Se révèle. Ce que corroborent les Ecrits védiques: l'âme soumise peut seule vraiment comprendre la Vérité Absolue. Pour les spiritualistes constamment engagés dans la conscience de Krsna, dans le service de dévotion offert au Seigneur, leurs yeux spirituels s'ouvrent, et Krsna Se révèle. Une telle révélation n'est pas même accessible aux devas, qui trouvent donc difficile de comprendre Krsna. Les plus évolués parmi eux aspirent toujours à Le voir dans Sa Forme à deux bras. Nous en tirerons les enseignements suivants: il est extrêmement difficile de voir la forme universelle de Krsna, faveur qui n'est pas accordée à tout le monde, mais plus grande encore est la difficulté que l'on éprouve à connaître Sa Forme personnelle, celle de Syamasundara.
na danena na cejyaya
sakya evam-vidho drastum
drstavan asi mam yatha
Cette Forme que tu vois de tes yeux spirituels, ni la simple étude des Vedas, ni les ascèses sévères, ni les actes charitables, ni l'adoration rituelle ne permettent de la comprendre. Nul, par ces chemins, ne Me verra tel que Je suis
Devant Ses parents, Vasudeva et Devaki, Krsna apparut d'abord dans une forme à quatre bras, puis dans Sa Forme à deux bras. Il s'agit là, pour les athées ou les abhaktas, d'un mystère fort difficile à percer. Les érudits qui se sont contentés d'étudier les Vedas à travers la spéculation, ou par pur souci de connaissance académique, n'ont en effet qu'un accès fort restreint à la compréhension de Krsna. Et ceux qui se limitent à L'adorer officiellement, par une simple visite de formalité au lieu de culte, ne peuvent non plus saisir la vraie nature de Krsna. Seul le service de dévotion permet de connaître le Seigneur dans toute Sa vérité; c'est ce que Lui-même expliquera dans le verset suivant.
aham evam-vidho ’rjuna
jnatum drastum ca tattvena
pravestum ca parantapa
Ce n'est qu'en Me servant avec un amour et une dévotion sans partage qu'on peut Me connaître tel que Je suis, debout devant toi, ô Arjuna, et de même, en vérité, Me voir. Ainsi, et seulement ainsi, pourra-t-on percer le mystère de Ma Personne, ô Parantapa.
Le seul moyen de comprendre Krsna, c'est de Le servir avec un amour et une dévotion sans partage. Voilà ce qu'explique ici le Seigneur de façon très nette, afin de montrer aux commentateurs non qualifiés, qui cherchent à pénétrer le sens de la Bhagavad-gita par la spéculation intellectuelle, que leurs efforts sont vains. Il est clairement indiqué ici que n'importe qui ne peut pas voir Krsna, ou comprendre comment Il est "né" de "parents", sous une forme à quatre bras, aussitôt transformée par Lui en une forme à deux bras. Cependant, ceux qui sont versés dans l'étude des Ecrits védiques pourront, par maintes voies, y apprendre à Le connaître. Il existe, dans ces Ecrits authentiques, de nombreuses règles, de nombreux principes régulateurs selon lesquels orienter ses austérités, pour celui qui désire vraiment connaître Krsna. Quant aux actes charitables, ils devront naturellement s'adresser aux dévots de Krsna, qui sont entièrement pris par le service de dévotion, et, par là, contribuer à la propagation de la philosophie de Krsna, de la conscience de Krsna à travers le monde. Cette conscience de Krsna constitue un bienfait pour l'humanité tout entière. Rupa Gosvami dit de Sri Caitanya Mahaprabhu qu'il est l'Etre charitable par excellence, Celui dont l'esprit de charité brille avec le plus d'éclat, parce qu'il distribue à tous l'amour de Krsna, amour qui, sans Lui, reste fort difficilement accessible. Et l'adoration dans le temple (dans tous les temples en Inde, on trouve des "statues", ou murtis, le plus souvent de Visnu ou Krsna), conformément aux règles du culte, offre également une occasion de progrès spirituel. Pour ceux qui débutent dans le service de dévotion, l'adoration dans le temple représente, comme le confirment les Ecrits védiques, un facteur essentiel.
Celui que guide un maître spirituel, et qui porte au Seigneur Suprême une dévotion constante, celui-là peut voir le Seigneur. Sans avoir reçu une formation personnelle, sous la direction d'un maître spirituel authentique, on ne peut faire ne serait-ce que les premiers pas vers la connaissance de Krsna; aucune autre méthode n'est valable: on ne peut en recommander aucune autre, car aucune ne mène au succès.
Les Formes personnelles de Krsna, à deux bras et à quatre bras, diffèrent en tout de Sa forme universelle, la forme temporaire qu'il a livrée à la contemplation d'Arjuna. Sa Forme à quatre bras est celle de Narayana, et Sa Forme à deux bras, celle de Krsna; toutes deux sont spirituelles, éternelles, tandis que Sa forme universelle, manifestée devant Arjuna, est seulement temporaire. Le mot sudurdarsam, "difficile à voir", suggère que nul auparavant n'a vu cette forme universelle, mais, d'autre part, laisse comprendre qu'il n'est guère nécessaire, pour les bhaktas, de connaître cette vision. A la requête d'Arjuna, Krsna la lui a montrée, à seule fin de donner un critère pour qu'on puisse, dès lors, éprouver quiconque se proclame Dieu ou avatara, en lui demandant de manifester sa forme universelle.
Krsna passe de Sa forme universelle à Sa Forme de Narayana, à quatre bras, puis à Sa Forme propre, naturelle, à deux bras. Il montre ainsi que Ses Formes à quatre bras, et toutes les autres mentionnées dans les Ecritures védiques, constituent des émanations du Krsna originel, à deux bras. Krsna est donc la source de toutes les émanations. Et s'Il est distinct même de ces Formes, de ces émanations, à plus forte raison de Son aspect impersonnel! Même Sa Forme à quatre bras la plus proche de Lui, celle de Maha-Visnu, allongé sur l'océan cosmique, et de qui sortent d'innombrables univers, engendrés de Sa respiration, est une émanation du Seigneur Suprême. Aussi la Forme de Krsna est-elle la Forme personnelle de Dieu, la Personne Suprême, toute d'éternité, de connaissance et de félicité, celle que le spiritualiste doit choisir d'adorer. Cette Forme de Krsna est, comme le confirme la Bhagavad-gita, l'originelle Personne Suprême, source de toutes les Formes de Visnu, source de toutes les formes d'avataras.
Les Ecrits védiques enseignent que la Vérité Suprême et Absolue est une personne, dont le Nom est Krsna, et qui descend parfois sur notre Terre. On trouve également, dans le Srimad-Bhagavatam, une description des différents avataras, et l'Ecrit affirme:
"Krsna n'est pas un avatara, mais Dieu Lui-même, la Personne Suprême dans Sa Forme originelle."
Et dans la Bhagavad-gita, le Seigneur affirme que rien n'est supérieur à Sa Forme de Krsna, Dieu, la Personne Suprême. Plus loin encore:
"Je suis la source de tous les devas."
Enfin, après avoir compris la Bhagavad-gita, l'enseignement reçu de Krsna, Arjuna confirme Sa suprématie, signifiant qu'il réalise dès lors pleinement que Krsna est Dieu, la Personne Suprême, la Vérité Absolue et le refuge de toutes choses. La forme universelle que Krsna a montrée à Arjuna n'est donc pas la Forme originelle de Dieu. Cette Forme originelle est celle de Krsna. La forme universelle avec ses milliers de têtes et de mains n'est manifestée que dans un seul but: capter l'intérêt des hommes sans amour pour Dieu. Répétons-le, elle ne saurait constituer la Forme originelle de Dieu.
Les purs dévots du Seigneur, qui sont unis à Lui par divers liens d'amour absolu, n'éprouvent nul attrait pour Sa forme universelle. Dans ces échanges d'amour absolu, le Seigneur Suprême Se montre à Ses purs dévots sous Sa Forme originelle de Krsna. Aussi, pour Arjuna, qu'unit au Seigneur une intime relation d'amitié, il ne fut pas agréable de voir Sa forme universelle: cette vision a plutôt fait naître en lui la peur. Parce qu'Arjuna est un compagnon éternel du Seigneur, parce qu'il n'a rien d'un homme ordinaire, il possède certes la vision spirituelle, et n'a donc pas été fasciné par la forme universelle. Cette forme peut sembler merveilleuse aux hommes qui cherchent à s'élever par la voie des actes intéressés, mais à ceux qui sont engagés dans le service de dévotion, rien n'est plus cher que la Forme à deux bras du Seigneur, la Forme de Krsna.
mad-bhaktah sanga-varjitah
nirvairah sarva-bhutesu
yah sa mam eti pandava
Celui qui, affranchi de la spéculation intellectuelle et de la souillure de ses actes passés, bienveillant à l'égard de tous les êtres, s'absorbe dans le service de dévotion pur, celui-là, ô cher Arjuna, certes vient à Moi.
Quiconque désire approcher Dieu dans Sa Forme suprême de Krsna, sur Krsnaloka, dans le monde spirituel, et aspire à se lier intimement à Lui, doit, pour ce faire, emprunter la voie que Lui-même indique dans ce verset. Aussi considère-t-on que ce verset constitue l'essence de la Bhagavad-gita. La Bhagavad-gita est un ouvrage destiné aux âmes conditionnées qui cherchent à dominer la nature matérielle et ignorent tout de la vraie vie, de la vie spirituelle. Cet ouvrage a pour but de leur montrer comment saisir leur nature spirituelle et retrouver leur relation éternelle avec l'Etre spirituel suprême, comment retourner à leur demeure originelle, au royaume de Dieu. Et notre verset donne sans équivoque la voie du succès dans les activités spirituelles: le service de dévotion. Pour ce qui est de l'action, le spiritualiste doit orienter toutes ses énergies vers des actes centrés sur Krsna, dans la conscience de Krsna. Aucun homme ne devrait accomplir la moindre tâche qui ne soit liée à Krsna; tel est le krsna-karma. Le fait d'être pris par diverses activités n'entraîne rien de défavorable à condition que l'on se détache de leurs fruits, pour les offrir au Seigneur. Un homme d'affaires, par exemple, peut métamorphoser son travail en une activité consciente de Krsna, simplement s'il accomplit pour Krsna sa tâche d'homme d'affaires. Puisque Krsna est le vrai propriétaire de l'entreprise de notre homme d'affaires, c'est Krsna qui doit bénéficier de ses fruits. Et si cet homme possède une immense fortune, il doit l'offrir tout entière à Krsna. C'est là ce qu'on appelle travailler pour Krsna, il peut, au lieu de faire bâtir des quartiers résidentiels, financer la construction d'un beau temple pour Krsna, y installer la Forme arca de Krsna, et, selon les instructions des Ecrits autorisés, Lui assurer un opulent service dévotionnel. C'est ce qu'on appelle le krsna-karma, ou domaine des actes accomplis sans attachement pour leurs résultats, lesquels sont offerts à Krsna. Celui qui n'a pas les moyens de faire construire le temple de Krsna peut toujours nettoyer ce temple; c'est également là un acte qui ressort du krsna-karma. Ou encore cultiver un jardin. Quiconque possède de la terre (en Inde, et parfois ailleurs, même les pauvres possèdent au moins un lopin de terre) peut cultiver des fleurs et les offrir au Seigneur. Ou encore planter des arbustes de tulasi leurs feuilles occupent une place importante dans l'adoration de Sri Krsna. Lui-même recommande, dans la Bhagavad-gita, qu'on Lui offre une feuille, une fleur ou un peu d'eau; ces modestes présents suffisent pour Le satisfaire. Lorsque Krsna parle de feuille, Il faut entendre tout particulièrement une feuille de tulasi. On peut donc planter l'arbuste de tulasi et l'arroser. Ainsi, même le plus pauvre peut s'engager dans le service de Krsna. Il est aussi recommandé d'accepter comme nourriture le prasada, les reliefs des aliments offerts en sacrifice au Seigneur. Tels sont quelques exemples illustrant la manière dont chaque homme peut offrir son travail à Krsna.
Les mots mat-paramah désignent celui qui considère que la compagnie de Krsna, en Sa demeure suprême, constitue la perfection la plus haute. Un tel être n'éprouve aucun attrait pour les planètes supérieures telles que la lune, le soleil, les autres planètes édéniques, et pas même pour Brahmaloka, la plus évoluée de toutes en cet univers. Son seul désir est d'être promu au monde spirituel. Et même là, il ne lui suffirait pas de s'immerger dans l'éclatant brahmajyoti; il veut accéder à la planète spirituelle la plus haute: Krsnaloka, Goloka Vrndavana. Parce qu'il possède de cette planète une connaissance parfaite, il n'éprouve pour les autres aucun attrait. Et comme l'indiquent les mots mad-bhaktah, il s'absorbe tout entier dans le service de dévotion, qui compte neuf activités spirituelles: écouter ce qui a trait au Seigneur, Le glorifier, se rappeler de Lui, servir Ses pieds pareils-au-lotus, L'adorer, Lui offrir des prières, se rendre aux désirs du Seigneur, se lier d'amitié avec Lui et tout Lui abandonner. On peut mettre en pratique l'ensemble de ces neuf activités dévotionnelles, ou huit, ou sept d'entre elles, sinon au moins une, et ainsi gagner la perfection.
Remarquons le terme sanga-varjitah. Il indique que l'on doit abandonner la compagnie des gens hostiles à Krsna. Qui sont-ils donc? Parmi eux, il faut compter non seulement les athées, mais également les hommes enclins à l'action intéressée ou à la spéculation intellectuelle. Aussi Srila Rupa Gosvami donne-t-il, dans son Bhakti-rasamrta-sindhu, la description suivante du pur service de dévotion: pour accomplir purement le service de dévotion, il faut être lavé de toute souillure matérielle, délivré de la compagnie des gens qui se vouent à l'action intéressée ou à la spéculation intellectuelle. Quand, ainsi libre de toute compagnie indésirable comme de la souillure des désirs matériels, on cultive favorablement la connaissance de Krsna, on se situe dans ce qu'on appelle le pur service de dévotion. Il faut adopter une attitude favorable, et non défavorable, lorsqu'on pense à Krsna et qu'on agit pour Lui. Kamsa, par exemple, était l'ennemi de Krsna, et dès l'avènement de Celui-ci, imagina toutes sortes de moyens de Le tuer. Or, parce qu'à chaque fois il échouait dans sa tentative, il ne pouvait cesser de penser à Lui. Ainsi, qu'il travaille, mange ou dorme, Kamsa gardait toujours Krsna dans sa conscience, mais cette conscience de Krsna n'était pas de caractère favorable; aussi, bien qu'il fut constamment absorbé dans la pensée de Krsna, Kamsa restait toujours un être démoniaque, que le Seigneur, pour finir, tua. Certes, quiconque est tué par le Seigneur atteint aussitôt la libération, mais cette libération n'est pas le but du pur bhakta. Il ne la désire aucunement, pas plus qu'il ne désire être promu à la planète la plus élevée, Goloka Vrndavana. Où qu'il se trouve, il n'a qu'un seul désir: servir Krsna.
Il est dit qu'un dévot de Krsna n'a pas d'ennemi, qu'il est l'ami de tous. En effet, il sait que seul le service de dévotion offert au Seigneur peut soulager l'homme de tous les problèmes de l'existence: il le sait par expérience personnelle, et veut donc introduire ce service de dévotion, cette conscience de Krsna, dans l'ensemble de la société humaine. Au fil de l'histoire, de nombreux dévots du Seigneur risquèrent leur vie pour répandre la conscience de Dieu. L'exemple le plus connu est celui de Jésus-Christ. Crucifié par les abhaktas, il sacrifia sa vie pour la cause de cette conscience de Dieu. Toutefois, il serait superficiel de croire qu'il ait jamais été tué. En Inde également, nombreux sont les exemples semblables, tel celui de Haridasa Thakura. Et si tous prirent de si grands risques, c'est qu'ils désiraient répandre la conscience de Krsna et que cette tâche est difficile. Le bhakta sait que la souffrance de l'homme trouve son origine dans l'oubli de la relation éternelle qui l'unit à Krsna. Aussi, le plus grand bienfait que l'on puisse rendre à l'humanité est de soulager autrui de tous les problèmes matériels. C'est ce que font les purs bhaktas, en s'engageant au service du Seigneur. Nous pouvons à présent imaginer combien miséricordieux est Krsna envers eux, qui sont absorbés en Son service et risquent tout pour Le satisfaire. Il ne fait aucun doute que de tels bhaktas atteindront, après avoir quitté leur corps, la planète suprême.
En bref, donc, la forme universelle, manifestation temporaire du Seigneur, la forme du temps, qui tout dévore, et même la Forme de Visnu, à quatre bras, toutes ont été révélées par Krsna. Krsna en est la source, et ne constitue donc pas une manifestation de l'originelle visva-rupa ou de l'originel Visnu. Toutes formes tirent de Krsna leur origine. Il existe des milliers de Visnus, mais pour le bhakta il n'est aucune forme de Krsna aussi importante que Sa Forme originelle; celle de Syamasundara, à deux bras. La Brahma-samhita enseigne que ceux qui, pleins d'amour et de dévotion, s'attachent à cette Forme de Krsna, Syamasundara, peuvent, en leur coeur, La contempler constamment, et ne rien voir d'autre. Ce qu'il faut comprendre de la teneur de ce onzième chapitre se résume à ceci: la Forme de Krsna est primordiale et suprême.
Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta sur le onzième chapitre de la Srimad-Bhagavad-gita, intitulé: "La forme universelle".