Quinzième Chapitre.

La Personne Suprême.




VERSET 1

sri-bhagavan uvaca
urdhva-mulam adhah-sakham
ashvattham prahur avyayam
chandamsi yasya parnani
yas tam veda sa veda-vit

TRADUCTION

Le Seigneur bienheureux dit:
Il existe un arbre banian, un arbre dont les racines pointent vers le haut, et vers le bas pointent les branches; ses feuilles sont les hymnes védiques. Qui le connaît, connaît les Vedas.

TENEUR ET PORTEE

Après que nous ayons démontré l'importance du bhakti-yoga, il se peut que certains s'interrogent sur celle des Vedas. Ce chapitre nous enseigne précisément que l'étude des Vedas n'a d'autre but que de comprendre Krsna. Celui, donc, qui est établi dans la conscience de Krsna, dans le service de dévotion, connaît déjà les Vedas.

Ce verset compare le dédale de l'univers matériel à un arbre banian. L'être voué aux actes intéressés n'y trouve nulle issue. Il erre sans cesse d'une branche à l'autre, et, parce qu'il est attaché à l'arbre, ne peut s'en libérer. Les hymnes védiques, qui ont pour but de permettre aux êtres de s'élever, sont considérés comme les feuilles de cet arbre. Quant à ses racines, parce qu'elles partent de la planète de Brahma, la plus évoluée de l'univers, elles pointent vers le haut. Celui qui peut connaître cet arbre d'illusion, mais impérissable, pourra également s'en échapper.

Il faut bien comprendre cette voie de délivrance. Nous avons vu, dans les chapitres qui précèdent, qu'il existe de nombreuses méthodes par quoi l'homme peut se libérer des intrications de la matière. Et, jusqu'au treizième, ces chapitres ont présenté le service de dévotion comme la meilleure d'entre elles. Sachons maintenant que le principe fondamental du service de dévotion est de se détacher des actes matériels et de s'attacher au service sublime du Seigneur. Le début de notre chapitre traite donc du moyen par quoi l'homme tranchera les liens qui le retiennent au monde de la matière. On dit que la racine de l'existence matérielle pousse vers le haut; c'est qu'elle procède de l'entière substance matérielle, et commence avec la plus haute planète, d'où se déploie tout l'univers, avec ses branches innombrables, qui représentent les divers systèmes planétaires. Les fruits de cet arbre représentent les résultats des actes accomplis par les êtres: piété, accroissement des richesses, plaisir des sens et libération.

On croit n'avoir jamais encore vu, en ce monde, un arbre aux branches en bas et aux racines en haut, mais il existe pourtant. On le trouve près de l'onde miroitante. Chaque arbre, sur les berges, s'y reflète, et son reflet a bien les branches en bas et les racines en haut. En d'autres mots, l'arbre de l'univers matériel n'est autre que le reflet de l'arbre véritable, le monde spirituel. Comme la réflexion de l'arbre repose sur l'eau, celle du monde spirituel repose sur le désir matériel. Car c'est ce désir qui nous fait voir les choses telles qu'elles apparaissent dans la lumière réfléchie du monde matériel. Celui qui cherche à s'échapper de l'existence matérielle doit connaître cet arbre en profondeur, en l'étudiant de façon analytique. Alors il pourra trancher les liens qui l'y retiennent.

Parce que cet arbre du monde matériel est un reflet de l'arbre véritable, de l'arbre du monde spirituel, il en constitue aussi une réplique exacte. La diversité, présente dans l'univers matériel, existe également dans le monde spirituel. Les impersonnalistes connaissent Brahma comme la racine de l'arbre matériel; et de la racine, selon la philosophie du sankhya, procèdent la prakrti, le purusa, puis les trois gunas, puis les cinq éléments grossiers (panca-maha-bhuta), puis les dix "sens", ou organes des sens (dasendriya), le mental, etc. Ainsi, les multiples éléments de l'univers matériel sont considérés comme provenant de la racine de cet arbre. Or, si Brahma en est la racine, il se trouve donc à la jonction de l'arbre réfléchi et de l'arbre réel. Il s'ensuit que les mondes matériel et spirituel forment un cercle ayant Brahma pour centre; cent quatre-vingt degrés de ce cercle embrassent le monde matériel, et les autres, le monde spirituel. Puisque le monde matériel est le reflet, dénaturé, du monde spirituel, la diversité du monde spirituel constitue donc la réalité. La prakrti est l'énergie externe du Seigneur Suprême, et le purusa n'est autre que le Seigneur en personne, comme l'enseigne la Bhagavad-gita. Le monde où nous vivons est matériel, et donc temporaire, car tout reflet ne peut être qu'éphémère, tantôt manifesté, tantôt non. Mais l'origine du reflet de l'arbre matériel, l'arbre véritable, est éternelle. Il faut trancher, ou abattre la réflexion matérielle de l'arbre réel. De fait, l'homme qui connaît les Vedas est l'homme qui sait trancher les liens par quoi il est retenu au monde matériel. S'il connaît cette méthode, il connaît vraiment les Vedas. Au contraire, celui qu'attirent les rituels des Vedas, les belles feuilles vertes de l'arbre matériel, ignore le but véritable des Vedas: et c'est, comme le révèle le Seigneur Lui même, d'abattre cet arbre-reflet, pour parvenir à l'arbre véritable, au monde spirituel.

VERSET 2

adhas cordhvam prasrtas tasya sakha
guna-pravrddha visaya-pravalah
adhas ca mulany anusantatani
karmanubandhini manushya-loke

TRADUCTION

Les branches de cet arbre, que nourrissent les trois gunas, s'étendent en hauteur comme en profondeur; ses ramilles sont les objets des sens. Certaines de ses racines pointent aussi vers le bas, liées aux actes matériels accomplis dans le monde des hommes.

TENEUR ET PORTEE

La description du figuier banian se poursuit dans ce verset. Ses branches s'étendent dans toutes les directions. Au bas, on trouve diverses manifestations d'êtres: hommes, bêtes, chevaux, vaches, chiens, chats, etc., plus précisément situés sur les parties inférieures des branches. Aux parties supérieures se rencontrent des êtres plus évolués: devas, Gandharvas (les fées), et nombre d'autres. Comme un arbre est nourri par l'eau, cet arbre du monde matériel est alimenté par les trois gunas. On voit des terres désolées si l'eau manque, quand ailleurs croît une végétation verdoyante; de même, les espèces d'entités vivantes se manifestent en divers lieux, en nombre plus ou moins grand, proportionnellement à l'intensité avec laquelle les différents gunas influent sur ces lieux.

De l'arbre matériel pris dans son ensemble, les ramilles représentent les objets des sens. En s'exposant aux diverses influences des gunas, l'être acquiert des sens de qualités diverses, par lesquels il jouit des diverses gammes d'objets des sens. Les brindilles de la partie supérieure de l'arbre correspondent à la source des sens (l'ouïe, l'odorat, la vue, etc.), et elles sont ajustées pour permettre à l'être de jouir de leurs différents objets. Les feuilles également sont objets pour les sens -son, forme, tact ... Les racines, subsidiaires, ne représentent que les sous-produits résultant des diverses sortes de douleur et de plaisir des sens. Ainsi, l'être développe attachement et aversion. Les racines secondaires, qui s'étendent de toutes parts, on considère qu'elles constituent les tendances de l'être à pencher vers la vertu ou l'impiété. La racine mère de l'arbre matériel part de Brahmaloka, et ses autres racines plongent dans les systèmes planétaires peuplés d'hommes. Après avoir joui, sur les planètes supérieures, du fruit de ses actes vertueux, l'être devra revenir sur Terre, y refaire ses actes de vertu intéressée, pour de nouveau s'élever. Pour cette raison, on considère la planète Terre comme le champ d'action.

VERSET 3/4

na rupam asyeha tathopalabhyate
nanto na cadir na ca sampratishtha
ashvattham enam su-virudha-mulam
asanga-sastrena drdhena chittva<

tatah padam tat parimargitavyam
yasmin gata na nivartanti bhuyah
tam eva cadyam purusham prapadye
yatah pravrttih prasrta purani

TRADUCTION

De cet arbre, nul ne peut, en ce monde, percevoir la forme exacte. Nul n'en peut voir la fin, le commencement ni la base. Mais il faut, avec détermination, trancher ce banian aux puissantes racines, chercher le lieu d'oú, une fois qu'on l'a atteint, il n'est pas de retour. Puis là, s'abandonner à la Personne Suprême, Dieu, de qui tout a commencé, et en qui tout demeure depuis des temps immémoriaux.

TENEUR ET PORTEE

Il est clairement dit, dans ces versets, que la forme exacte de l'arbre banian, de l'arbre universel, ne peut être perçue en ce monde. Parce que sa racine se situe vers le haut, l'arbre s'étend vers le bas, mais nul ne peut voir jusqu'où, de même que nul n'en peut voir le commencement. Toutefois, il faut bien en trouver la cause. Si l'on recherche qui est son père, puis le père de son père, et ainsi de suite, on pourra remonter jusqu'à Brahma, lui-même issu de Garbhodakasayi Visnu. Ainsi, pour finir, c'est à Dieu, la Personne Suprême, fin de toute recherche, que l'on parviendra. Il faut rechercher l'origine de l'arbre matériel, ou Dieu, la Personne Suprême, à travers la compagnie de sages qui en ont connaissance. Puis, en comprenant ce reflet trompeur de la réalité, de plus en plus on s'en détachera; par la connaissance, nous pourrons trancher le lien qui nous attache à l'arbre d'illusion et nous établir dans l'arbre réel.

Le mot asanga (détachement), dans notre verset, revêt une importance particulière, car fort puissant est l'attachement aux plaisirs des sens et au désir de dominer la nature matérielle. Aussi doit-on apprendre le détachement à travers des échanges sur la science de la spiritualité, en s'appuyant sur des Ecritures authentiques et en écoutant les enseignements d'hommes réellement établis dans la connaissance. Le fruit de ces discussions avec les bhaktas sera que nous nous tournerons vers le Seigneur Suprême. Alors, le premier acte doit être de s'abandonner à Lui.

Le verset nous informe de ce lieu d'où, une fois qu'on l'a atteint, on ne revient jamais à l'arbre-reflet, à l'arbre illusoire. Krsna, la Personne Suprême, est la racine originelle, dont tout a émané, et pour gagner Sa grâce, il faut simplement s'abandonner à Lui, abandon que rend possible l'accomplissement du service de dévotion (écouter les gloires du Seigneur, les chanter, etc.). La cause du déploiement de l'univers matériel, c'est le Seigneur, comme Il l'enseigne dans la Bhagavad-gita:

"De tout Je suis l'origine".
Aussi, l'homme qui désire échapper aux intrications de cet arbre puissant, le banian de l'existence matérielle, doit s'abandonner à Krsna. Abandon suivi aussitÔt, et tout naturellement, du détachement de cette manifestation matérielle.

VERSET 5

nirmana-moha jita-sanga-dosa
adhyatma-nitya vinivrtta-kamah
dvandvair vimuktah sukha-duhkha-samjnair
gacchanty amudhah padam avyayam tat

TRADUCTION

L'homme libre d'illusion, d'orgueil et de rapports faux, l'homme qui comprend l'éternel, qui triomphe de la concupiscence et de la dualité des joies et des peines, et qui connaît la voie de l'abandon à la Personne Suprême, celui-là atteint cet éternel Royaume.

TENEUR ET PORTEE

La voie de l'abandon à la Personne Suprême est ici décrite avec précision. La première nécessité est de n'être pas pris par l'orgueil. Car si l'être conditionné éprouve tant de mal à s'abandonner au Seigneur Suprême, c'est à cause de son orgueil, qui lui fait croire qu'il est lui-même le maître de la nature matérielle. Il doit, en cultivant le savoir véritable, apprendre que la nature matérielle n'est pas sous son contrôle, mais sous celui de Dieu, la Personne Suprême. Seul l'homme délivré de l'illusion qu'engendre l'orgueil peut s'engager sur la voie de l'abandon au Seigneur Suprême. On ne peut, en effet, s'abandonner à Dieu quand on recherche, en ce monde, l'admiration des hommes. A vrai dire, illusion et orgueil s'engendrent mutuellement, car, bien qu'il vienne en ce monde pour n'y demeurer que fort peu, l'être a la sottise de s'en croire le seigneur et maître. Par là, il rend toute chose complexe, et ne connaît que difficultés répétées. L'univers entier est mû par ce sentiment de tout dominer, qui habite les êtres. L'homme, par la croyance trompeuse d'être le possesseur du sol terrestre, a divisé toute la planète. L'être distinct doit s'affranchir de ce sentiment illusoire que le monde est la propriété des hommes; alors, il sera libre aussi de tous les rapports faux, nés de l'affection pour la famille, la société, la nation, qui le rivent au monde matériel. Passée cette étape, il doit cultiver le savoir spirituel, ce savoir qui lui permettra de connaître ce qui lui appartient vraiment et ce à quoi il n'a en fait aucun droit. Puis, lorsqu'il comprend les choses telles qu'elles sont, il se libère de toutes les dualités (bonheur et malheur, joies et peines ... ). Il devient pleinement connaissant, et peut alors s'abandonner à Dieu, la Personne Suprême.

VERSET 6

na tad bhasayate suryo
na sasanko na pavakah
yad gatva na nivartante
tad dhama paramam mama

TRADUCTION

Ce Royaume suprême, le Mien, ni le soleil, ni la lune, ni la force électrique ne l'éclairent. Pour qui l'atteint, point de retour en ce monde.

TENEUR ET PORTEE

Ce verset décrit le monde spirituel, où se trouve la demeure de Krsna, Dieu, la Personne Suprême, demeure que l'on nomme Krsnaloka, ou Goloka Vrndavana. Là, nul besoin de la lumière du soleil ou de la lune, du feu ou de l'énergie électrique, car toutes les planètes irradient leur propre lumière, tandis que dans l'univers matériel, seul le soleil possède ce pouvoir. L'éclatante radiance de l'ensemble des planètes spirituelles, les planètes Vaikunthas, constituent "l'atmosphère" radiante appelée le brahmajyoti. Cette radiance émane originellement de la planète de Krsna, Goloka Vrndavana. Une portion en est couverte par le mahat-tattva I'univers matériel. Mais la plus grande part en reste occupée par d'innombrables planètes spirituelles, les Vaikunthalokas, dont la principale est Goloka Vrndavana.

Tant que l'être demeurera dans l'univers matériel, où règnent les ténèbres, il sera conditionné par la matière, mais dès qu'il atteindra "l'atmosphère" spirituelle, en passant à travers l'arbre dénaturé de ce monde, il sera libéré. Alors, jamais plus il ne reviendra dans l'univers matériel. Encore conditionné, l'être se croit possesseur et maître du monde; une fois libéré, il entre dans le royaume spirituel, où il vit dans la compagnie du Seigneur. Il jouit alors de la vie éternelle, d'une félicité impérissable et de la pleine connaissance.

Il faut que l'homme se sente captivé en écoutant ainsi ces descriptions. Il doit avoir le désir d'échapper à l'arbre matériel, au reflet trompeur de la réalité, et d'être promu au monde éternel. Celui qui garde trop d'attachement pour l'univers matériel trouvera de grandes difficultés à trancher ce lien; mais qu'il adopte la conscience de Krsna, et il pourra graduellement y parvenir. Pour ce faire, il doit rechercher la compagnie des bhaktas, des êtres établis dans la conscience de Krsna. Il lui faut rejoindre un mouvement, ou une association, voué à la conscience de Krsna, pour apprendre en son sein à servir le Seigneur avec dévotion. D'aller vêtu couleur safran,(1) et s'arrêter là, ne saurait engendrer le détachement des désirs pour les choses de ce monde. Encore faut-il s'attacher au service de dévotion offert au Seigneur. Il faut donc prendre très au sérieux le fait que le service de dévotion, tel qu'il est décrit dans le douzième chapitre, constitue la seule voie menant hors de ce reflet trompeur de l'arbre réel. Le quatorzième chapitre a montré comment les différentes voies empruntées par l'homme sont teintées par les trois gunas. Seul le service de dévotion y a été décrit comme purement spirituel, comme au-delà des gunas.

Les mots paramam mama revêtent ici une grande importance. En effet, chaque recoin des mondes spirituel et matériel est la propriété du Seigneur, mais le monde spirituel, où règnent les six perfections, est parama, Sa propriété suprême. Les Upanisads confirment également que le monde spirituel n'a nul besoin de la lumière du soleil ou de la lune, car tout entier baigné de l'éclat de la puissance du Seigneur Suptême. Cette demeure suprême, seul l'abandon au Seigneur peut nous y donner accés.

(1) La couleur safran est portée par les sannyasis, sages qui ont tranché tout lien avec la famille et la société pour se consacrer entièrement à la réalisation spirituelle.

VERSET 7

mamaivamso jiva-loke
jiva-bhutah sanatanah
manah-sasthanindriyani
prakriti-sthani karshati

TRADUCTION

Les êtres, dans le monde des conditions, sont des fragments éternels de Ma personne. Mais parce qu'ils sont conditionnés, ils luttent avec acharnement contre les six sens, et parmi eux, le mental.

TENEUR ET PORTEE

Ce verset définit clairement l'identité de l'être distinct: il est de toute éternité un fragment infime du Seigneur Suprême. Ne commettons pas l'erreur de croire qu'à l'état libéré il perdrait cette individualité pour ne plus faire avec le Seigneur qu'une seule et même Personne. Certes non: éternellement, il demeure un fragment du Seigneur, ce qu'établit clairement, ici, le mot sanatanah. Selon les Ecrits védiques, le Seigneur Suprême Se manifeste et Se multiplie en d'innombrables émanations, dont les plus immédiates portent le nom de visnu-tattvas, et les secondaires celui de jiva-tattvas. En d'autres termes, les manifestations visnu-tattvas, ou émanations immédiates, sont des émanations personnelles du Seigneur, et les manifestations jiva-tattvas, ou secondaires (les êtres distincts), des émanations de Lui distinctes de Sa Personne. Ses émanations personnelles sont de Formes diverses; ainsi Visnumurti, Rama, Nrsimhadeva, et toutes les émanations plénières régnant sur les planètes Vaikunthas. Les émanations distinctes du Seigneur, les êtres vivants, sont pour leur part Ses serviteurs éternels. Les émanations personnelles de Dieu, la Personne Suprême, Ses identités individuelles, existent éternellement; comme elles, les émanations distinctes, les êtres vivants (jiva-tattvas) ont une individualité éternelle. Parce qu'ils font partie intégrante du Seigneur, les êtres distincts possèdent, en quantité infime, Ses Attributs, parmi lesquels l'indépendance. Chaque être est une âme distincte, pourvue d'individualité ainsi que d'une infime part d'indépendance. Que l'être fasse un mauvais usage de cette indépendance, et il passe à l'état conditionné; qu'il en fasse bon usage, et il demeure pour toujours à l'état libéré. Dans les deux cas, cependant, comme le Seigneur qui toujours est éternel, il conserve son éternité qualitative. A l'état libéré, l'être est en dehors des conditions matérielles et pleinement engagé dans le service absolu du Seigneur; à l'état conditionné, l'être est dominé par les trois gunas et oublie le service de dévotion au Seigneur. Il doit alors peiner, ne serait-ce que pour veiller au simple maintien de son existence dans l'univers matériel.

Les êtres, non seulement hommes, chats, chiens.... mais aussi les plus grands maîtres de l'univers, tels Brahma, Siva, et même Visnu, font tous, en tant qu'entités spirituelles, partie intégrante du Seigneur Suprême. Tous sont éternels, et non des manifestations éphémères. Le mot karsati (lutter durement) qu'utilise notre verset, est lourd de sens. L'âme conditionnée est retenue à la matière, y est rivée par le faux ego, comme par des chaînes d'acier. Et des divers agents qui l'entraînent à travers les sentiers de l'existence matérielle, le mental est le plus important. Lorsque la vertu gouverne son mental, ses actes relèvent de la droiture; quand la passion domine son mental, ses actes deviennent source d'angoisse; et quand l'ignorance enveloppe son mental, elle doit errer dans les espèces de vie inférieures. Toutefois, il est clair, dans ce verset, que l'âme conditionnée est couverte par le corps matériel, qui inclut les sens et le mental; après la libération, cette enveloppe matérielle périt, mais le corps spirituel de l'être se manifeste alors dans son caractère propre. On trouve à ce propos, dans la Madhyandi-nayanasruti un passage qui enseigne que lorsque l'âme quitte le corps matériel pour entrer dans le monde spirituel, elle ravive son corps spirituel, et en ce corps spirituel, peut voir Dieu, la Personne Suprême, face à face. Elle peut directement L'entendre, Lui parler, Le connaître tel qu'Il est. La smrti indique également que tous les êtres, sur les planètes spirituelles, sont dotés de corps aux traits semblables à ceux du Seigneur Suprême. Il n'est, pour ce qui concerne la nature des corps spirituels, aucune différence entre les émanations jiva-tattvas, les êtres distincts, et les émanations visnu-murtis., Donc, à la libération, l'être distinct obtient, par la grâce de Dieu, la Personne Suprême, un corps spirituel.

Le mot mamaivamsah (infimes fragments du Seigneur Suprême) présente également un grand intérêt. Il faut bien entendre qu'un fragment du Seigneur ne ressemble en rien au fragment d'un objet matériel qu'on aurait brisé en morceaux. Le deuxième chapitre nous a déjà montré que jamais le spirituel ne peut être divisé, coupé en morceaux. Les fragments dont parle notre verset ne sont pas conçus de façon matérielle; ils ne peuvent, comme des fragments d'objet matériel, naître par la division de l'objet, qu'on pourrait ensuite regrouper. L'usage, ici, du mot sanskrit sanatana (éternel) ne peut nous laisser concevoir ainsi les fragments du Seigneur; ceux-ci sont indéniablement éternels. Le deuxième chapitre enseignait également qu'un fragment infime du Seigneur Suprême habite individuellement chaque corps. Et ce fragment, quand il se trouve libéré de l'enchaînement au corps matériel, ravive son corps spirituel, dans le monde spirituel, sur une planète spirituelle, et jouit alors de la compagnie du Seigneur. Cependant, il demeure entendu que l'être distinct, puis qu'infime partie du Seigneur Suprême, Lui est qualitativement égal: les pépites extraites d'une mine d'or sont également de l'or, elles en partagent les propriétés, les attributs.

VERSET 8

sariram yad avapnoti
yac capy utkramatishvara
h grhitvaitani samyati
vayur gandhan ivasayat

TRADUCTION

Comme l'air emporte les odeurs, l'être vivant, en ce monde, emporte avec lui, d'un corps à un autre, les diverses manières dont il conçoit la vie.

TENEUR ET PORTEE

L'être vivant est ici appelé isvara, le maître de son propre corps. Il peut en effet, selon son désir, revêtir un corps plus évolué, ou transmigrer en un corps inférieur. Il jouit d'une certaine indépendance, si infime soit-elle, et, par là, devient responsable du corps qu'il revêtira dans sa prochaine vie. A l'heure de la mort, l'état de conscience qu'il s'est forgé tout au long de sa vie déterminera son prochain état corporel. Qu'il se soit créé une conscience semblable à celle des chiens ou des chats, et l'être renaîtra certes dans un corps de chien ou de chat; que sa conscience relève de la vertu, et il prendra le corps d'un deva. Et s'il est établi dans la conscience de Krsna, il se verra emmener sur Krsnaloka, dans le monde spirituel, pour y vivre auprès de Krsna. C'est une erreur de croire qu'après la mort plus rien n'existe. L'âme distincte transmigre d'un corps à l'autre; et son prochain corps repose sur son corps et ses actes présents. Selon la loi du karma, elle acquiert donc un nouveau corps, dont à un moment donné il lui faudra également se dévêtir. On voit, dans notre verset, que le corps subtil, qui transporte le concept du prochain corps, s'enveloppe, dans la vie suivante, de ce corps même. C'est cette transmigration d'un corps à un autre et le combat que dans le corps l'âme doit mener qu'on nomme karsati, ou "la lutte pour l'existence".

VERSET 9

srotram caksuh sparshanam ca
rasanam ghranam eva ca
adhisthaya manas cayam
visayan upasevate

TRADUCTION

Revêtant ainsi un nouveau corps grossier, l'être vivant se voit doté d'un sens déterminé de l'ouïe, de la vue, du toucher, du goût et de l'odorat, qui tous gravitent autour du mental. Il jouit par là d'une gamme propre d'objets des sens.

TENEUR ET PORTEE

Comprenons par ce verset que si l'être vivant altère sa conscience en y cultivant les caractères propres aux chiens et aux chats, il devra, dans sa prochaine existence, vivre en un corps de chien ou de chat, et y jouir à la manière de ces animaux. Comme l'eau, la conscience est originellement pure. Mais l'eau sera transformée si l'on y mélange une substance colorante. De même, la conscience est pure, puisque l'âme, d'où elle procède, est toujours pure, mais elle s'altère, selon sa rencontre avec les trois gunas. La vraie conscience, cependant, n'est autre que la conscience de Krsna. Aussi la vie de l'homme établi dans la conscience de Krsna est-elle pure. Mais, à nouveau, que cette conscience soit altérée par quelque concept matériel, et l'homme obtiendra, dans sa vie future, un corps en harmonie avec ce concept. Il ne renaîtra donc pas nécessairement à nouveau dans un corps humain, mais peut-être dans celui d'un chien, d'un chat, d'un porc, d'un deva..., de l'une des 8 400 000 variétés d'êtres.

VERSET 10

utkramantam sthitam vapi
bhunjanam va gunanvitam
vimudha nanupasyanti
pasyanti jnana-caksusah

TRADUCTION

Les sots ne sauraient concevoir comment l'être vivant quitte le corps, ou de quelle sorte de corps, sous l'empire des trois gunas, il doit jouir. Mais tout cela, celui dont les yeux sont initiés à la connaissance peut le voir.

TENEUR ET PORTEE

Les mots jnana-caksusah sont ici lourds de sens. En effet, l'homme ne peut, s'il n'a pas le savoir, comprendre qu'un être quitte son corps, ni quelle sorte de corps il devra revêtir dans sa prochaine vie, ni même pourquoi il vit, à présent, dans tel ou tel corps. Comprendre ces choses demande une vaste connaissance, puisée dans la Bhagavad-gita ou d'autres Ecrits de même lignée, connaissance qui, en outre, doit être reçue des lèvres d'un maître spirituel authentique. Celui qui a reçu une formation lui permettant de percevoir ces choses doit être considéré comme favorisé d'un grand privilège.

Sous l'empire des trois gunas, chaque être vit, jouit du corps et le quitte en des circonstances particulières. Ainsi, sous l'illusion, sous le faux sentiment de jouir par les sens, il subit différentes joies et peines. Les hommes qui se laissent perpétuellement tromper par le désir de la concupiscence perdent tout pouvoir de comprendre le mécanisme de leur transmigration d'un corps à un autre et de leur séjour dans un corps déterminé. En aucune manière ils ne peuvent saisir ces choses. Par contre, ceux qui ont développé la connaissance spirituelle voient, eux, que l'âme se distingue du corps, qu'elle en jouit par des voies diverses, pour finalement en changer. Celui qui possède un tel savoir peut comprendre aussi comment l'être conditionné souffre dans l'existence matérielle. Pour cette raison, parce qu'ils savent l'extrême douleur de la vie conditionnée, ceux dont la conscience de Krsna est grandement développée fournissent tous les efforts possibles pour faire partager ce savoir à tous les hommes. Car, tous doivent s'échapper de cette existence de souffrance; pour tous, il faut devenir conscient de Krsna et se libérer en vue de gagner le monde spirituel.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare