SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3
CHAPITRE 6

La création de
la forme universelle.

VERSET 31

bahubhyo vartata ksatram
ksatriyas tad anuvratah
yo jatas trayate varnan
paurusah kantaka-ksatat

TRADUCTION

Le pouvoir de protéger fut alors créé à partir des bras de la gigantesque forme virat, et en relation avec Lui, les ksatriyas; ceux-ci devinrent manifestés en adhérant à ce principe, dit ksatriya, qui consiste à protéger la société contre les méfaits des voleurs et des mécréants.

TENEUR ET PORTEE

De même que les brahmanas se reconnaissent à une noble et particulière inclination pour le savoir spirituel des Vedas, les ksatriyas se reconnaissent à leur pouvoir de protéger la société contre les éléments perturbateurs que sont les voleurs et les mécréants. Le mot anuvratah revêt ici une importance particulière: on nommera ksatriya celui qui adhère au principe ksatriya, qui consiste à protéger la société contre les malfaiteurs et autres impies, mais non celui qui a seulement vu le jour dans une famille de ksatriyas. Le concept des varnas, qui a aujourd'hui dégénéré dans le système des castes, ou des classes sociales, se fonde toujours sur la tendance naturelle de l'individu, et non sur son hérédité. Cette dernière ne représente qu'un facteur secondaire; jamais elle ne détermine à elle seule le groupe de la société auquel appartient un homme. La Bhagavad-gita (XVIII.41-44) précise quelles sont les qualités du brahmana, du ksatriya, du vaisya et du sudra, et il faut bien comprendre que ces qualités doivent se manifester avant qu'un homme ne soit désigné comme appartenant à un groupe particulier.

Toutes les Ecritures védiques désignent Sri Visnu du nom de Purusa. Il arrive également que les êtres distincts soient qualifiés de purusa, mais ils représentent plus exactement la purusa-sakti (para-sakti ou para-prakrti), l'énergie supérieure du purusa. Illusionné par la puissance externe du purusa (le Seigneur), l'être distinct en vient à se croire lui-même le purusa, alors qu'il n'en possède nullement les attributs. Le Seigneur Se distingue en ce qu'Il a le pouvoir de protéger. Des trois divinités que sont Brahma, Visnu et Mahesvara, la première a le pouvoir de créer, la seconde de protéger et la troisième de détruire. Le mot purusa revêt une importance particulière dans ce verset, car les ksatriyas sont censés représenter le purusa, le Seigneur, et donner protection aux prajas, à tous les êtres nés sur terre ou dans l'eau. Cette protection s'adresse donc aussi bien aux animaux qu'aux hommes. Dans la société actuelle, les prajas ne sont pas protégés contre les méfaits des voleurs et des mécréants. L'Etat démocratique moderne ne compte aucun ksatriya; il s'agit d'un gouvernement constitué de vaisyas et de sudras, sans brahmana ni ksatriya comme dans les temps passés. Maharaja Yudhisthira et son petit-fils, Maharaja Pariksit, étaient des modèles de rois ksatriyas, car ils accordaient leur protection à tous les hommes et à tous les animaux de leur royaume. Ainsi, lorsque l'âge de Kali personnifié voulut tuer une vache, Maharaja Pariksit s'apprêta aussitôt à faire périr le mécréant, qui fut par la suite banni du royaume. Voilà la marque d'un purusa, d'un représentant de Sri Visnu. Dans la civilisation védique, le roi ksatriya qualifié reçoit le même respect que Dieu, car il représente le Seigneur par la protection qu'il accorde à tous les prajas. Les présidents élus de nos sociétés modernes ne peuvent même pas nous protéger contre le vol, si bien que l'on doit souscrire à une police d'assurance. Les problèmes de la civilisation moderne sont dus à un manque de brahmanas et de ksatriyas qualifiés et à l'influence abusive des vaisyas et des sudras, et tout ceci grâce au soi-disant suffrage universel.

VERSET 32

viso vartanta tasyorvor
loka-vrttikarir vibhoh
vaisyas tad-udbhavo vartam
nrnam yah samavartayat

TRADUCTION

Les moyens de subsistance de tous les hommes, c'est-à-dire la production des céréales et leur distribution aux prajas, furent manifestés à partir des cuisses de la forme universelle du Seigneur. Les marchands et agriculteurs, qui veillent au déroulement de ces activités, sont appelés vaisyas.

TENEUR ET PORTEE

Ce verset définit clairement les activités qui permettent de subvenir aux besoins de l'humanité par le mot visa: il s'agit de l'agriculture et du commerce, des produits agricoles, ce qui implique également leur transport, diverses transactions monétaires, etc. L'industrie ne représente qu'un moyen artificiel d'acquérir les biens nécessaires à la vie, et plus particulièrement l'industrie à grande échelle, qui est finalement à l'origine de tous les problèmes de la société. La Bhagavad-gita mentionne également les devoirs du vaisya (qui se livre au visa), soit la protection de la vache, l'agriculture et le commerce. Nous avons déjà vu à ce propos, que l'homme peut en toute sécurité fonder sa subsistance sur le soin de la vache et le travail de la terre.

L'échange des produits agricoles, qui implique diverses transactions monétaires ainsi que le transport, fait partie de ce mode de vie. On définit plusieurs catégories de vaisyas: les ksetris, ou propriétaires terriens; les krsanas, ou ceux qui veillent à la partie manuelle des travaux agricoles; les tila-vaniks, ou ceux qui produisent les céréales; les gandha-vaniks, ou les marchands d'épices; et les suvarna-vaniks, ou ceux qui font le commerce de l'or et qui se livrent aux diverses transactions monétaires. Les brahmanas sont les précepteurs et les maîtres spirituels de la société, les ksatriyas protègent les citoyens contre les méfaits des voleurs et des mécréants, et les vaisyas sont chargés de veiller à la production et à la distribution des biens nécessaires à la vie. Quant aux sudras, les hommes dénués d'intelligence et incapables d'agir indépendamment dans l'un ou l'autre des secteurs d'activités que nous venons de décrire, ils ont pour fonction de servir les trois varnas supérieurs; c'est donc ainsi qu'ils assurent leur subsistance.

Jadis, les brahmanas recevaient des ksatriyas et des vaisyas tous les biens nécessaires à la vie, car ils n'avaient pas le temps d'assurer leur propre subsistance. Les ksatriyas prélevaient des taxes auprès des vaisyas et des sudras, mais les brahmanas étaient exemptés de taxes sur le revenu ou sur le bien foncier. Cette forme d'organisation sociale fonctionnait si bien qu'il n'y avait, à cette époque, aucun bouleversement politique, social ou économique. La division de la société selon les différents groupes sociaux, ou varnas, est donc essentielle au maintien de la paix entre les hommes.

VERSET 33

padbhyam bhagavato jajne
susrusa dharma-siddhaye
tasyam jatah pura sudro
yad-vrttya tusyate harih

TRADUCTION

Puis, l'attitude de service se manifesta à partir des jambes du Seigneur Suprême, pour que puissent être menés à bien les devoirs religieux. C'est là, sur les jambes du Seigneur, que se trouvent les sudras, lesquels Le comblent par leur service.

TENEUR ET PORTEE

La véritable occupation naturelle de tous les êtres est de servir. Chacun a pour fonction de servir le Seigneur, et cette attitude de service permet d'atteindre la perfection de la religion. Cette perfection demeure inaccessible à ceux qui ne cherchent qu'une connaissance théorique. Parmi les spiritualistes, les jnanis sont ceux qui se livrent sans arrêt à cette pratique spéculative à seule fin de distinguer l'âme de la matière; mais ils restent ignorants des activités de l'âme après sa libération par la connaissance. Aussi est-il dit que ceux qui s'en remettent à la seule spéculation intellectuelle pour connaître la nature des choses, sans pratiquer le service d'amour absolu offert au Seigneur, ne font que perdre leur temps.

Notre verset explique que le principe du service a été engendré par les jambes du Seigneur en vue de parfaire la voie de la religion, mais il faut savoir qu'il s'agit là d'un service spirituel, tout à fait différent du concept de service que nous avons en ce monde. Dans l'univers matériel, nul ne veut être serviteur de quiconque; chacun cherche plutôt à devenir le maître, et cette tendance à vouloir faussement dominer constitue précisément le mal fondamental dont souffre l'âme conditionnée. Celle-ci n'a, ici-bas, qu'une seule idée en tête, celle de dominer autrui; mais illusionnée par l'énergie externe du Seigneur, elle est, en fait, contrainte de servir l'univers matériel. Telle est sa véritable condition. Et le dernier piège de l'énergie externe, illusoire, consiste à croire que l'on ne fait plus qu'Un avec le Seigneur; c'est animé par cette conception erronée que l'âme illusionnée reste prisonnière de l'énergie matérielle, se targuant vainement d'être une âme libérée, "non différente de Narayana".

En vérité, mieux vaut être un sudra qu'un brahmana dénué de toute attitude de service, car c'est cette attitude seule qui fait la satisfaction du Seigneur. Tout être, quel qu'il soit, et même un brahmana qualifié, doit embrasser le service spirituel du Seigneur. La Bhagavad-gita aussi bien que le Srimad-Bhagavatam soutiennent que cette attitude de service représente la perfection de l'être distinct. Ainsi, le brahmana, le ksatriya, le vaisya et le sudra ne peuvent parfaire leur devoir qu'en servant le Seigneur. Le brahmana, surtout, est censé connaître cette vérité du fait de sa maîtrise de la sagesse védique. Quant aux autres sections de la société, elles sont censées suivre les directives du brahmana vaisnava (lequel agit en vaisnava tout en possédant les qualités du bhrahmana). Voilà qui rendra la société parfaite dans son ensemble quant à l'équilibre de son organisation. A l'opposé, une société désordonnée ne saurait satisfaire ni les membres qui la constituent ni le Seigneur. En conclusion, même si l'on n'est pas un parfait brahmana, ksatriya, vaisya ou sudra, si l'on se voue au service du Seigneur, sans se soucier du degré de perfection de sa position sociale, on devient par là un homme parfait, simplement pour avoir développé une attitude de service à l'égard du Seigneur Suprême.

VERSET 34

ete varnah sva-dharmena
yajanti sva-gurum harim
sraddhayatma-visuddhy-artham
yaj-jatah saha vrttibhih

TRADUCTION

Ces différentes divisions de la société sont issues du Seigneur Suprême, avec les devoirs prescrits et les conditions de vie qui s'y rattachent. Ainsi, quiconque désire s'affranchir de l'existence conditionnée et atteindre à la réalisation spirituelle doit adorer le Seigneur Suprême sous la direction d'un maître spirituel.

TENEUR ET PORTEE

Tous les êtres peuplant les diverses régions de l'univers sont issus de différentes parties du corps du Seigneur Suprême dans Sa forme universelle, et sont dès lors censés servir éternellement ce corps suprême. Toutes les parties de notre propre corps, qu'il s'agisse de la bouche, des mains, des cuisses ou des jambes, sont destinées à servir tout l'ensemble du corps. Telle est leur condition naturelle. Les êtres inférieurs aux humains n'ont pas conscience de cette position qui est la leur, mais l'homme est censé connaître cette vérité à travers le système des varnas. Ainsi que nous l'avons mentionné précédemment, le brahmana représente le maître spirituel de tous les autres varnas, en sorte que la culture brahmanique, qui trouve son apogée dans le service sublime du Seigneur, sert de fondement à la purification de l'âme.

A l'état conditionné, l'âme a l'impression qu'elle peut devenir le maître de l'univers; la manifestation ultime de ce fantasme réside dans son identification avec l'Etre Suprême. Dans sa bêtise, l'âme conditionnée ne considère pas le fait que l'Etre Suprême ne saurait, à aucun moment, être conditionné par maya, ou l'illusion. D'ailleurs, s'il en était autrement, où serait Sa suprématie? Ce serait alors maya, l'illusion, qui serait suprême. Donc, parce que les êtres distincts sont sujets au conditionnement, ils ne peuvent être suprêmes. Notre verset dépeint d'ailleurs l'exacte position de l'être conditionné: en raison de leur contact avec l'énergie matérielle, toutes les âmes illusionnées, placées sous l'influence des trois gunas, sont impures. Aussi leur est-il nécessaire de se purifier sous la direction d'un maître spirituel authentique, qui ne soit pas seulement un brahmana qualifié, mais également un vaisnava. Et la seule méthode de purification mentionnée ici consiste à adorer le Seigneur selon une voie reconnue, c'est-à-dire tracée par un maître spirituel authentique. Il s'agit là d'une voie naturelle de purification, et aucune autre méthode n'est recommandée comme étant authentique. Toute autre voie pourra être utile à celui qui l'emprunte pour atteindre ce niveau d'existence, mais à la fin, il faut franchir cette étape ultime si l'on désire atteindre la perfection véritable. C'est ce qu'établit la Bhagavad-gita (VII.19):

bahunam janmanam ante
jnanavan mam prapadyate
vasudevah sarvam iti
sa mahatma sudurlabhah

VERSET 35

etat ksattar bhagavato
daiva-karmatma-rupinah
kah sraddadhyad upakartum
yogamaya-balodayam

TRADUCTION

O Vidura, qui peut apprécier l'étendue des oeuvres, de la puissance et du temps spirituels de la forme universelle, elle-même manifestée par la puissance interne du Seigneur Suprême?

TENEUR ET PORTEE

Les philosophes à mentalité de grenouille peuvent toujours se perdre en conjectures sur la question de la virat, la forme colossale manifestée par la yoga-maya, la puissance interne du Seigneur Suprême, mais en vérité, nul ne peut mesurer une aussi vaste manifestation. Arjuna, lui-même un véritable bhakta, affirme dans la Bhagavad-gita (XI.16):

aneka-bahudara-vaktra-netram
pasyami tvam sarvato nanta-rupam
nantam na madhyam na punas tavadim
pasyami visvesvara visva-rupa

"O Seigneur, ô Maître de l'univers, je vois en Ton corps universel d'innombrables formes, d'innombrables yeux, bouches, bras et ventres, dans toutes les directions, et étendus à l'infini. Je ne vois, dans cette manifestation, point de fin, de milieu ou de commencement."

La Bhagavad-gita a été directement énoncée à Arjuna, et c'est à sa requête que la visva-rupa lui fut révélée. Pour ce faire, il fut doté d'une vision spéciale, et pourtant, bien qu'il pût contempler les innombrables bras et bouches du Seigneur, il restait incapable de Le contempler dans Sa totalité. Si Arjuna lui-même n'a pas réussi à mesurer l'étendue de la puissance du Seigneur, qui d'autre pourrait le faire? On ne saurait, dans ce domaine, que se perdre en conjectures, comme ce cher docteur grenouille. Ce "philosophe" souhaitait se faire une idée de l'étendue de l'océan Pacifique avec, pour toute référence, son puits d'un mètre cube; c'est ainsi qu'il entreprit de gonfler sa poitrine, croyant qu'il atteindrait de cette façon la taille de l'océan Pacifique. Mais comme on le sait, il ne réussit par là qu'à éclater et à trouver la mort. Ce récit s'applique fort bien aux théoriciens qui, sous l'illusion de l'énergie externe de Dieu, se prennent à analyser le Seigneur Suprême. Le mieux est de devenir un bhakta réfléchi et soumis à Sa Personne, de chercher à connaître les gloires du Seigneur des lèvres d'un maître spirituel authentique, et de satisfaire ainsi le Seigneur en Le servant, animé d'un amour purement spirituel, tel que le recommandait le verset précédent.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare