SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3
CHAPITRE 2

Uddhava se souvient de
Sri Krsna.

VERSET 6

sanakair bhagaval-lokan
nrlokam punar agatah
vimrjya netre viduram
prityahoddhava utsmayan

TRADUCTION

Uddhava, l'illustre bhakta, revient bientôt de la demeure du Seigneur sur le plan terrestre; séchant ses larmes, il ravive ses souvenirs et s'adresse à Vidura de façon avenante.

TENEUR ET PORTEE

Lorsque Uddhava se trouvait pleinement absorbé dans l'extase spirituelle de l'amour pour Dieu, il oublia vraiment tout du monde extérieur. Le pur bhakta vit toujours dans la demeure du Seigneur Suprême, et ce, même dans son corps actuel, qui semble appartenir au monde de la matière. C'est que le pur bhakta ne se situe pas exactement sur le plan du corps, puisqu'il est absorbé en des pensées spirituelles, des pensées liées à l'Absolu. Ainsi, lorsque Uddhava voulut parler à Vidura, il dut revenir de la demeure du Seigneur, de Dvaraka, sur le plan humain, matériel. Bien que présents sur cette planète mortelle, les purs bhaktas ne s'y trouvent qu'en relation avec le Seigneur, pour le service d'amour sublime qu'ils offrent à Sa Personne, et pour aucune cause matérielle. L'être distinct a la possibilité de vivre soit sur le plan matériel, soit dans la demeure spirituelle du Seigneur, en accord avec sa condition naturelle. Le changement de condition que connaît l'âme distincte est expliqué dans le Caitanya-caritamrta à travers les instructions données à Srila Rupa Gosvami par Sri Caitanya: "Les êtres vivants subissent, dans tous les univers, et vie après vie, les conséquences de leurs propres actes intéressés. Parmi eux, certains peuvent être influencés par le contact de purs bhaktas et ayant ainsi développé un certain goût pour le service de dévotion, ils obtiennent d'y participer. Ce goût initial représente la semence du service de dévotion, et il est conseillé à celui qui a l'incomparable fortune de recevoir cette semence, de la planter au plus profond de son coeur. Puis, tout comme on arrose une graine pour qu'elle se développe, le bhakta devra la cultiver par l'écoute et le chant des Saints Noms et des Divertissements du Seigneur. Ainsi nourrie, la semence se transforme peu à peu en un lierre, et le bhakta, agissant comme un jardinier, continue de l'arroser par l'écoute et le chant constant des gloires du Seigneur. Le lierre en vient à grandir tellement qu'il traverse l'univers matériel entier et pénètre dans le monde spirituel, continuant sa course vers des sphères de plus en plus hautes, jusqu'à atteindre la planète Goloka Vrndavana. Le bhakta-jardinier est donc en contact avec la demeure du Seigneur alors même qu'il habite l'univers matériel, grâce au service dévotionnel qu'il Lui offre par le simple fait d'écouter et de chanter Ses gloires divines. De même qu'un lierre ordinaire prend appui sur un arbre, plus puissant que lui, le lierre du service de dévotion, nourri par le bhakta, trouve refuge aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur et s'y attache. Ainsi fixé, il commence à fructifier, et le jardinier qui l'a soigné peut goûter ces fruits d'amour, atteignant par là la perfection de son existence." Vu son comportement, il était évident qu'Uddhava avait atteint ce niveau. Il pouvait donc dans un même temps se rendre sur la planète suprême et habiter ce monde.

VERSET 7

uddhava uvaca
krsna-dyumani nimloce
girnesv ajagarena ha
kim nu nah kusalam bruyam
gata-srisu grhesv aham

TRADUCTION

Sri Uddhava dit:
O Vidura, voilà que S'est couché le soleil du monde, Sri Krsna, et que le grand serpent du temps a dévoré notre demeure. Comment pourrais-je parler de notre bien-être?

TENEUR ET PORTEE

La disparition du soleil de Krsna peut être expliquée comme suit, d'après le commentaire de Srila Visvanatha Cakravarti Thakura. Vidura avait ressenti une grande tristesse lorsqu'il avait eu vent de l'annihilation de l'illustre dynastie Yadu comme de sa propre famille, la dynastie Kuru. Uddhava perçoit la douleur de Vidura, et c'est pourquoi il désire d'abord et avant tout sympathiser avec lui en affirmant qu'après le coucher du soleil, tous les êtres se trouvent plongés dans l'obscurité. L'univers entier désormais submergé par les ténèbres de l'affliction, ni Vidura ni Uddhava ne peuvent connaître de joie. Uddhava se sentait tout aussi attristé que Vidura, et ne trouvait rien à dire sur le bien-être de ses proches.

La comparaison de Krsna avec le soleil convient tout à fait. Dès que se couche le soleil, apparaissent aussitôt les ténèbres. Mais ces ténèbres qui enveloppent les hommes ne touchent nullement le soleil, que ce soit au moment de son lever ou de son coucher. En cela, l'apparition et la disparition de Sri Krsna s'apparentent à celles du soleil. Le Seigneur apparaît et disparaît en d'innombrables univers, et quand Il Se trouve présent dans un univers particulier, celui-ci baigne dans la lumière spirituelle, tandis qu'un autre, qu'Il vient de quitter, est alors à nouveau plongé dans les ténèbres. Toutefois, ces Divertissements se déroulent éternellement. En effet, le Seigneur est toujours présent dans l'un ou l'autre des innombrables univers, tout comme le soleil est toujours en train de parcourir l'un des deux hémisphères, tantôt à l'Orient, tantôt à l'Occident. Il brille en Inde comme en Amérique, mais lorsqu'il éclaire l'Inde de ses rayons, le continent américain est alors plongé dans les ténèbres, et inversement, lorsque les rayons solaires baignent l'Amérique, la péninsule indienne, elle, dort dans l'obscurité.

Tout comme le soleil apparaît le matin et s'élève graduellement jusqu'au méridien pour ensuite se coucher alors même qu'il se lève dans un autre hémisphère, la disparition de Krsna dans un univers correspond au début de Ses nombreux Divertissements dans un autre. Pour être plus précis, aussitôt qu'un Divertissement se termine sur terre, il commence de se manifester ailleurs. Et c'est ainsi que Ses nitya-lilas, Ses Divertissements éternels, se poursuivent sans trêve. Nous savons que le soleil se lève une fois par vingt-quatre heures; pareillement, les Divertissements de Krsna deviennent visibles dans un univers donné une fois tous les jours de Brahma; et ce jour, la Bhagavad-gita nous apprend qu'il dure quatre milliards trois cent vingt millions (4320000000) d'années solaires. Mais où que Se trouve le Seigneur, tous Ses merveilleux Divertissements se déroulent tels que les présentent les Ecritures révélées, et ce, à intervalles réguliers.

Avec le coucher du soleil, les serpents gagnent en puissance, les voleurs se sentent plus de courage et les spectres deviennent actifs, mais les lotus se flétrissent et les oiseaux cakravakis se lamentent. Pareillement, lorsque Sri Krsna disparaît, les athées se sentent vivifiés mais les bhaktas se désolent.

VERSET 8

durbhago bata loko yam
yadavo nitaram api
ye samvasanto na vidur
harim mina ivodupam

TRADUCTION

Cet univers avec toutes ses planètes est plongé dans la désolation. Mais plus infortunés encore sont les membres de la dynastie Yadu, qui n'ont pas su reconnaître la Personne Suprême en Sri Hari, à l'instar des poissons qui n'avaient su identifier la Lune.

TENEUR ET PORTEE

Uddhava pleure l'infortune de ceux qui, en ce monde, n'ont pas su reconnaître le Seigneur, Sri Krsna, alors qu'Il Se trouvait en leur présence, et que tous Ses Attributs divins, spirituels et absolus, étaient manifestés devant leurs yeux. Dès l'instant de Son avènement derrière les grilles de la prison du roi Kamsa jusqu'à Son mausala-lila, Il déploya Ses puissances divines, en tant que le Seigneur Suprême, à travers les six excellences que sont la richesse, la force, la renommée, la beauté, le savoir et le renoncement; et pourtant, les insensés ne surent pas reconnaître en Lui l'Etre Suprême. Des sots, n'ayant eu aucun proche contact avec le Seigneur, crurent qu'il s'agissait simplement d'un extraordinaire personnage historique, mais encore plus infortunés qu'eux furent les membres de la famille du Seigneur, les membres de la dynastie Yadu: eux se trouvaient toujours en compagnie du Seigneur mais sans pour autant reconnaître Sa nature divine et souveraine. Uddhava pleurait même sa propre infortune, car bien qu'il sût Krsna Dieu, la Personne Suprême, il n'avait pas tiré pleinement parti de l'occasion qui lui avait été ainsi offerte de Le servir avec dévotion. Il déplorait ainsi le malheur qui les frappait tous, lui compris. D'ailleurs, les purs dévots du Seigneur se considèrent toujours comme des plus infortunés. Ceci s'explique par l'amour extrême qu'ils portent au Seigneur; il s'agit en fait d'une des manifestations spirituelles du viraha, la douleur de la séparation.

Les Ecritures révélées nous enseignent que la Lune naquit jadis de l'océan de lait. Il existe, en effet, un océan de lait sur les planètes supérieures, et c'est là que Visnu, qui règne sur le coeur de chaque être en tant que le Paramatma (l'Ame Suprême), réside en tant que Ksirodakasayi Visnu. Ceux qui ne croient pas en l'existence d'un océan de lait seulement parce qu'ils ne connaissent rien d'autre qu'un océan d'eau salée, devraient savoir que ce monde est aussi appelé go, ce qui signifie "vache". L'urine de la vache est salée, et en médecine ayur-védique on la tient pour très efficace dans le traitement du foie. Les patients à qui on l'administre peuvent n'avoir jamais goûté le lait de la vache, pour la simple et bonne raison qu'on ne donne jamais de lait aux malades du foie. Mais rien ne les empêche de savoir que le lait provient également de la vache, même s'ils ne l'ont jamais goûté et qu'ils ne connaissent que son urine. Pareillement, les hommes qui ne connaissent que cette minuscule planète, où se trouve l'océan d'eau salée, peuvent apprendre des Ecritures révélées qu'il existe également un océan de lait, même s'ils ne l'ont jamais vu. Et c'est de cet océan de lait que naquit la Lune; mais les poissons nageant dans cet océan ne surent reconnaître que la Lune n'était pas un poisson, et qu'elle était différente d'eux. Ils la prirent donc pour un des leurs, ou, au mieux, pour quelque objet brillant, mais sans plus. Or, les infortunés qui ne savent pas reconnaître Sri Krsna sont comparables à ces poissons. Ils voient en Lui un de leurs semblables, peut-être un peu exceptionnel par sa richesse, sa puissance, etc., mais tout de même un des leurs. La Bhagavad-gita (IX.11) corrobore l'infortune de tels insensés: avajananti mam mudha manusim tanum asritam.(l)

(1) "Les sots Me dénigrent lorsque sous la forme humaine Je descends en ce monde. Ils ne savent rien de Ma nature spirituelle et absolue, ni de Ma suprématie totale."

VERSET 9

ingita-jnah puru-praudha
ekaramas ca satvatah
satvatam rsabham sarve
bhutavasam amamsata

TRADUCTION

Les Yadus étaient tous des bhaktas expérimentés, érudits et versés dans l'étude du psychisme. Par-dessus tout, ils accompagnaient toujours le Seigneur dans toutes sortes de loisirs, et pourtant, ils ne purent voir en Lui que le Suprême, Un et Omniprésent.

TENEUR ET PORTEE

Les Vedas expliquent que nul ne saurait saisir le Seigneur Suprême, ou le Paramatma, par la force de sa seule érudition ou de sa puissance spéculative: nayam atma pravacanena labhyo na medhaya na bahuna srutena.(1) Ne peut Le percevoir que celui qui obtient Sa grâce. Les Yadavas jouissaient tous d'une érudition et d'une expérience exceptionnelles, mais bien qu'ils aient connu le Seigneur comme Celui qui vit dans le coeur de chacun, ils ne réalisaient pas qu'Il était le Seigneur originel, Dieu. Ce manque n'était pas dû à une érudition insuffisante, mais uniquement à leur infortune. Par ailleurs, à Vrndavana, nul ne connaissait Krsna en tant que Paramatma, car les habitants de ce village étaient de purs bhaktas, mais guère soucieux des conventions, et ils ne voyaient en Lui que l'objet de leur amour. Ils n'avaient pas conscience de ce qu'Il était Dieu, la Personne Suprême. Les Yadus, par contre, ou les résidents de Dvaraka, savaient reconnaître en Krsna Vasudeva, ou l'Ame Suprême omniprésente, mais non pas le Seigneur Souverain. En érudits des Vedas, ils démontraient le sens des hymnes védiques: eko devah... sarva-bhutadhivasah...antaryami... et vrsninam para-devata... Ainsi, les Yadus acceptaient Sri Krsna comme l'Ame Suprême incarnée dans leur famille, mais rien de plus.

(1) Katha,1.2.23

VERSET 10

devasya mayaya sprsta
ye canyad asad-asritah
bhramyate dhir na tad-vakyair
atmany uptatmano harau

TRADUCTION

En aucune circonstance les propos des êtres égarés par l'énergie illusoire ne peuvent distraire l'intelligence des âmes tout entières soumises au Seigneur.

TENEUR ET PORTEE

Tel que le démontrent les Vedas, Sri Krsna est Dieu, la Personne Suprême. Et Il est accepté comme tel par tous les acaryas, y compris Sripada Sankaracarya. Mais lorsqu'il Se trouvait en ce monde, divers groupes d'hommes Le virent différemment, si bien que leurs appréciations à Son sujet varièrent également. D'une manière générale, ceux qui avaient foi en les Ecritures révélées acceptèrent le Seigneur tel qu'Il est, et ceux-là furent tous plongés dans une profonde douleur lorsqu'Il quitta ce monde. A ce propos, nous avons déjà traité, dans le premier Chant, de la détresse d'Arjuna et de Yudhisthira, pour qui la disparition de Krsna demeura intolérable jusqu'à la fin de leur vie.

Les Yadavas n'avaient qu'une connaissance partielle du Seigneur, mais ils n'en sont pas moins glorieux, car ils eurent la grâce de vivre au contact du Seigneur, qui agissait alors comme le chef de leur famille, et ils eurent également l'occasion de Le servir intimement. Il ne faudrait pas assimiler les Yadavas et les autres dévots du Seigneur à ceux qui commettent l'erreur de voir en Lui un homme ordinaire et qui sont certes égarés par l'énergie illusoire. Ces derniers, vils et bas de nature, envient le Seigneur Suprême. L'énergie illusoire agit sur eux avec grande puissance parce qu'en dépit de leur vaste éducation matérielle, ils demeurent privés de foi et deviennent infectés par l'athéisme. Ils se montrent toujours prompts à établir que Krsna n'était qu'un homme ordinaire, et qu'Il fut tué par un chasseur en raison des nombreux actes répréhensibles dont Il Se serait rendu coupable en complotant contre les fils de Dhrtarastra et contre Jarasandha, ces démoniaques rois terrestres. Ces mécréants n'attachent aucune foi à ce verset de la Bhagavad-gita (IV.14) qui affirme que le Seigneur n'est nullement sujet aux suites de Ses Actes: na mam karmani limpanti. Toujours selon le point de vue athée, la famille de Krsna, la dynastie Yadu, aurait été anéantie sous l'effet d'une malédiction proférée contre eux par les brahmanas à cause des péchés commis par Krsna, liés à l'anéantissement des fils de Dhrtarastra et à d'autres méfaits... Aucun de ces blasphèmes ne touche le coeur des dévots du Seigneur, car ils connaissent parfaitement la vérité. Leur intelligence ne peut jamais être troublée lorsqu'il s'agit de ce qui a trait au Seigneur. Mais ceux que perturbent les propos des asuras sont aussi condamnables que ces derniers. Tel est le sens des paroles d'Uddhava dans ce verset.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare