SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3 CHAPITRE 27 Connaissance de la
nature matérielle.
evam pratyavamrsyasav
atmanam pratipadyate sahankarasya dravyasya yo vasthanam anugrahah
Les philosophes mayavadis maintiennent qu'en dernière analyse l'individualité se perd, que tout devient un et qu'il n'existe plus aucune distinction entre le connaissant, le connu et la connaissance. Mais une analyse minutieuse nous permet de déceler la fausseté de cette théorie. Jamais l'individualité ne se perd, même lorsqu'on croit que ces trois facteurs -le connaissant, le connu et la connaissance- s'amalgament ou se fondent en une seule et même chose. Le concept même selon lequel tous trois se fondent en un est une autre forme de connaissance, et puisque celui qui perçoit cette connaissance existe encore, comment peut-on dire que connaissant, connu et connaissance ne font plus qu'un? L'âme individuelle qui perçoit ce savoir demeure bel et bien distincte. C'est que l'individualité est le propre de l'existence spirituelle aussi bien que de l'existence matérielle; la seule différence réside dans la nature de l'individualité. Au niveau de l'identité matérielle, c'est le faux ego qui agit, et du fait de cette fausse identification, on perçoit les choses comme différentes de ce qu'elles sont vraiment. C'est sur ce principe que repose l'existence conditionnée. Pareillement, lorsque le faux ego est purifié, l'être peut saisir chaque chose dans sa juste perspective. Telle est la libération. L'Isopanisad enseigne que tout appartient à Dieu (isavasyam idam sarvam); tout repose sur l'énergie du Seigneur Suprême, comme le corrobore la Bhagavad-gita. Or, parce que tout est un produit de Son énergie et repose sur Son énergie, celle-ci n'est pas différente de Lui. Cependant le Seigneur déclare: "Je n'y suis pas présent". A partir du moment où l'être perçoit clairement sa position originelle et éternelle, tout devient manifeste. La perception des choses sous l'influence du faux ego a pour effet de nous conditionner tandis que leur vision sous le jour de la vérité nous libère. L'exemple donné dans le verset précédent s'applique également ici: celui qui perd l'argent auquel il s'identifiait tant se croit lui-même perdu. En vérité il est différent de cet argent, qui en outre ne lui appartient pas véritablement. Lorsque la vérité est dévoilée, nous comprenons que l'argent n'appartient à aucun homme ni à aucun être distinct, non plus qu'il n'est produit par l'homme. En dernière analyse, cet argent est la propriété de Dieu; il n'est donc pas question qu'il soit perdu. Mais aussi longtemps que l'on pense "ceci existe pour mon plaisir", ou "je suis Dieu", on maintient une conception matérielle de l'existence, et on demeure ainsi conditionné. Toutefois, dès que ce faux ego est éliminé, l'être est libéré. Ainsi que le confirme le Srimad-Bhagavatam, lorsque l'être s'établit dans sa position véritable, on dit qu'il a atteint mukti, ou la libération.
devahutir uvaca
purusam prakrtir brahman na vimuncati karhicit anyonyapasrayatvac ca nityatvad anayoh prabho
Mon cher brahmana, la nature matérielle ne relâche-t-elle jamais l'âme spirituelle? D'ailleurs, l'une se trouvant éternellement attirée par l'autre, comment leur séparation est-elle possible?
Devahuti, la mère de Kapiladeva, formule ici sa première question. Même si l'on comprend que l'âme spirituelle se distingue de la matière, leur séparation réelle n'est pas possible, que ce soit à travers la spéculation philosophique ou par une juste compréhension de cette vérité. L'âme spirituelle représente l'énergie marginale du Seigneur Suprême, et la matière Son énergie externe. Or, ces deux énergies éternelles se sont combinées d'une manière ou d'une autre, et puisqu'il s'avère si difficile de les séparer, comment est-il possible pour l'âme conditionnée de se libérer? L'expérience nous montre en effet que lorsque l'âme se sépare du corps, ce dernier perd toute existence tangible, et que lorsque le corps se trouve séparé de l'âme, l'existence de celle-ci n'est plus perceptible. Tant que l'âme et le corps restent unis, on peut comprendre qu'il y a vie; mais lorqu'ils sont séparés, ni l'existence du corps ni celle de l'âme ne sont manifestées. La question qu'adresse ici Devahuti à Kapiladeva est plus ou moins inspirée par la philosophie nihiliste. En effet, les nihilistes affirment que la conscience provient d'une certaine combinaison d'éléments matériels, et que sitôt la conscience disparue, ces éléments se dissolvent, en sorte qu'il ne reste finalement que le vide. Cette absence de conscience est aussi appelée nirvana dans la philosophie mayavada.
yatha gandhasya bhumes ca
na bhavo vyatirekatah apam rasasya ca yatha tatha buddheh parasya ca
L'exemple donné ici porte sur le fait que toute chose matérielle possède son arôme propre. Les fleurs, la terre... tout a un parfum. Or, si on sépare une odeur de l'élément matériel dont elle provient, celui-ci ne peut plus être identifié. Ainsi, il serait absurde de parler d'une eau qui n'aurait pas le goût de l'eau ou d'un feu qui ne produirait aucune chaleur. Dans le même ordre d'idée, en l'absence de l'intelligence, le concept d'esprit perd toute sa signification.
akartuh karma-bandho yam
purusasya yad-asrayah gunesu satsu prakrteh kaivalyam tesv atah katham
Même si l'âme désire s'affranchir de la souillure de la matière, elle n'en est pas pour autant libérée. A vrai dire, dès qu'elle se place sous la domination des gunas, ses moindres actes sont influencés par les attributs de la nature matérielle, et elle-même devient alors passive. La Bhagavad-gita (III.27) le confirme en ces termes, prakrteh kriyamanani gunaih: l'âme agit sous la dictée des gunas, les attributs de la nature matérielle. Elle croit agir, mais elle reste malheureusement passive. Autrement dit, elle n'a pas la possibilité d'échapper à la domination de la nature matérielle car celle-ci l'a déjà conditionnée. Toujours dans la Bhagavad-gita, on apprend également qu'il s'avère très difficile d'échapper aux rets de la nature matérielle. On peut toujours se persuader par divers biais qu'en dernier recours tout est vide, que Dieu n'existe pas, et que même si tout repose sur l'esprit, celui-ci est impersonnel; de telles élucubrations peuvent bien avoir cours, mais en vérité il reste très difficile de s'arracher aux griffes de la nature matérielle. Aussi Devahuti demande-t-elle comment, au-delà de toutes les spéculations possibles à ce sujet, on peut être libéré alors qu'on se trouve sous la domination de la nature matérielle. Or, la réponse se trouve également dans la Bhagavad-gita (VII.14): seul celui qui s'abandonne aux pieds pareils-au-lotus du Seigneur Suprême, Sri Krsna (mam eva ye prapadyante), peut sortir des griffes de maya. Comme Devahuti en vient peu à peu au point de l'abandon, ses questions révèlent une grande intelligence. En effet, comment être libéré? Comment vivre au niveau purement spirituel alors que nous retiennent fermement les influences de la nature matérielle? Il s'agit d'ailleurs là d'une allusion aux faux adeptes de la méditation qui pensent "Je suis l'Ame Spirituelle Suprême. C'est moi qui dirige les mouvements de la nature matérielle. C'est sous ma direction que le soleil se déplace et que la lune se lève." Ils s'imaginent que de telles contemplations ou méditations peuvent les libérer, mais il reste que trois minutes ne se sont pas encore écoulées après leur méditation absurde qu'ils se trouvent déjà capturés par les gunas. Aussitôt qu'ils interrompent leurs méditation ronflante, ces "méditants" se sentent une envie de boire ou de fumer. La nature matérielle les tient solidement sous son emprise, mais eux s'imaginent déjà être affranchis des griffes de maya. La question que formule Drvahuti dans ce verset s'applique à ceux qui prétendent ainsi qu'ils sont tout, qu'en fin de compte tout est vide, et qu'il n'y a pas d'actes qui soient pieux ou coupables. Ce sont là autant d'inventions athées. En fait, à moins de s'abandonner à Dieu, la Personne Suprême, ainsi que l'enseigne la Bhagavad-gita, il n'est pas question de libération ou d'être délivré des griffes de maya.
kvacit tattvavamarsena
nivrttam bhayam ulbanam anivrtta-nimittatvat punah pratyavatisthate
L'esclavage matériel vient de ce que l'on se place sous la domination de la matière du fait du faux ego, ou du désir de dominer la nature matérielle. La Bhagavad-gita (VII.27) dit, iccha-dvesa-samutthena: deux tendances se manifestent en l'être. La première, se traduisant par iccha, correspond au désir de dominer la nature matérielle, ou de devenir aussi grand que le Seigneur Suprême -car chacun en ce monde désire être le plus grand. Quant au mot dvesa, il désigne l'envie. Et lorsque l'on devient envieux de Krsna, ou de Dieu, la Personne Suprême, on en vient alors à se demander: "Pourquoi n'y en aurait-il que pour Krsna? Je vaux tout autant que Krsna". Or, ces deux facteurs -désirer devenir le Seigneur et envier le Seigneur- représentent la cause première de l'esclavage matériel. Tant qu'un philosophe, un nihiliste ou un homme recherchant le salut a quelque désir de devenir suprême, d'être tout ou de nier l'existence de Dieu, la cause de son enchaînement demeure, et il ne saurait être question pour lui de libération. Devahuti déclare avec intelligence: "L'être peut prétendre, à travers l'analyse théorique qu'il est libéré par le pouvoir de la connaissance, mais en vérité tant que persiste la cause de l'emprisonnement, il ne saurait être question de liberté". La Bhagavad-gita confirme qu'après s'être livré à de telles activités spéculatives au long de très nombreuses vies, celui qui s'éveille effectivement à sa conscience véritable et qui s'abandonne au Seigneur Suprême, Krsna, voit sa quête du savoir atteindre réellement son but. Il existe un gouffre de différence entre la liberté théorique et l'affranchissement réel de l'esclavage matériel. Le Srimad-Bhagavatam (10.14.4) précise que celui qui se détourne de la voie propice du service de dévotion pour chercher à connaître la vérité à travers la spéculation ne fait que gaspiller son temps pourtant si précieux (klisyanti ye kevala-bodha-labdhaye). Le fruit d'un tel effort n'est que l'effort lui-même; il n'y a aucun autre gain. Les efforts spéculatifs se terminent toujours par épuisement. On explique parfois, en guise d'exemple, qu'il n'y a aucun intérêt à battre la bale du riz puisque le grain en a déjà été extrait. Pareillement, la seule pratique de la spéculation ne suffit pas à nous affranchir de l'esclavage matériel, car la cause de celui-ci demeure. Il faut d'abord neutraliser la cause; alors seulement l'effet sera-t-il anéanti. C'est ce qu'explique le Seigneur en personne dans les versets qui suivent.
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