SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3
CHAPITRE 26

Les principes
fondamentaux de
la nature matérielle.

VERSET 1

sri-bhagavan uvaca
atha te sampravaksyami
tattvanam laksanam prthak
yad viditva vimucyeta
purusah prakrtair gunaih

TRADUCTION

Kapila, le Seigneur Suprême, poursuivit:
O Ma mère, Je vais maintenant te décrire les différentes divisions de la Vérité Absolue; les connaissant, tout homme échappe à l'influence des trois gunas.

TENEUR ET PORTEE

Comme l'enseigne la Bhagavad-gita, on ne peut connaître Dieu, la Personne Suprême, la Vérité Absolue, qu'à travers le service de dévotion (bhaktya mam abhijanati). Et ainsi que le révèle le Srimad-Bhagavatam, l'objet du service de dévotion est Krsna (mam). Enfin, tel qu'il est expliqué dans le Caitanya-caritamrta, connaître Krsna revient à connaître Sa Forme personnelle avec Ses énergies interne et externe, ainsi que Ses émanations et manifestations, appelées avataras. Il existe donc plusieurs branches du savoir nous permettant de comprendre la position de Krsna. La philosophie du sankhya est particulièrement destinée aux êtres conditionnés en ce monde. La parampara, ou filiation spirituelle, identifie généralement cette philosophie à la science du service de dévotion. Une étude préliminaire du service de dévotion a déjà été présentée; maintenant, le Seigneur nous expose cette science de façon analytique, et affirme qu'une telle étude permet de s'affranchir des influences de la nature matérielle. La Bhagavad-gita (XVIII.55) confirme d'ailleurs cette assertion, tato mam tattvato jnatva: celui qui réalise le Seigneur selon ces différentes divisions trouve qualité pour entrer dans le royaume de Dieu. Or, c'est précisément ce qu'explique notre verset: comprendre la science du service dévotionnel à travers la philosophie du sankhya permet d'échapper aux trois gunas. Et l'âme éternelle, après s'être ainsi arrachée à l'envoûtement de la nature matérielle, gagne l'accès au royaume de Dieu. Tant qu'on a le plus petit désir de jouir de la nature matérielle ou de la dominer, il n'existe aucune possibilité d'échapper à l'influence des gunas. Par suite, il nous faut saisir Dieu, l'Etre Souverain, par une étude analytique, tel qu'expliqué dans la philosophie du sankhya énoncée par Kapiladeva.

VERSET 2

jnanam nihsreyasarthaya
purusasyatma-darsanam
yad ahur varnaye tat te
hrdaya-granthi-bhedanam

TRADUCTION

Le savoir représente la perfection ultime de la réalisation spirituelle. Et Je vais t'expliquer ce savoir, par lequel sont tranchés les noeuds de l'attachement à l'univers matériel.

TENEUR ET PORTEE

Les Écritures soutiennent que la réalisation spirituelle, ou une juste compréhension de l'âme pure, donne de s'affranchir de toute attache matérielle. Le savoir conduit ainsi à la perfection ultime de l'existence et à la perception de l'être dans toute sa vérité. La Svetasvatara Upanisad (3.8) confirme également ceci, tam eva viditvati-mrtyum eti: le simple fait de percevoir sa position spirituelle, de voir le soi tel qu'il est, permet d'échapper aux rets de la matière. La perception de l'âme se trouve décrite de diverses manières dans les Écritures védiques, et le Srimad-Bhagavatam confirme ici qu'il faut percevoir son être propre et savoir qui l'on est (purusasya atma-darsanam). Ainsi que Kapiladeva l'explique à Sa mère, cette "vision" peut être obtenue en prêtant l'oreille aux enseignements d'autorités en la matière. Or, Kapiladeva représente la plus haute autorité puisqu'Il est Lui-même la Personne Suprême, et quiconque accepte Ses explications telles qu'elles sont, sans les interpréter, pourra voir le soi véritable.

Sri Caitanya a expliqué à Sanatana Gosvami la position réelle, originelle et éternelle, de l'être distinct. Il lui a directement enseigné que chaque âme est un serviteur éternel de Krsna: jivera 'svarupa' haya -krsnera 'nitya-dasa'. Celui qui comprend sans faillir qu'il est partie intégrante de l'Ame Suprême, et que sa position éternelle consiste à servir le Seigneur Suprême, devient une âme réalisée. Cette juste compréhension de sa véritable identité a pour effet de trancher le noeud de l'attachement à la matière (hrdaya-granthi-bhadanam). C'est le faux ego, ou l'identification erronée de soi avec le corps et l'univers matériel, qui plonge l'être dans les rets de maya; mais dès qu'il se sait qualitativement de même substance que le Seigneur Suprême -puisque, en tant qu'âme spirituelle, il appartient à la même catégorie que Lui- et dès qu'il réalise que sa position éternelle consiste à Le servir, il atteint à l'atma-darsanam et au hrdaya-granthi-bhedanam, autrement dit à la réalisation spirituelle. Lorsqu'un homme peut trancher le noeud de son attachement à l'univers matériel, sa réalisation correspond à la connaissance pure. L'atma-darsanam, c'est la vision que ce savoir nous donne de nous-même; ainsi, lorsque nous nous affranchissons du faux ego par le développement du savoir véritable, nous pouvons nous voir tel que nous sommes, ce qui pour l'homme est la nécessité primordiale de l'existence. Ainsi l'âme se trouve-t-elle isolée de l'intrication des vingt-quatre catégories de la nature matérielle. L'adhésion à la philosophie systématique dite sankhya correspond au savoir et à la révélation du soi.

VERSET 3

anadir atma puruso
nirgunah prakrteh parah
pratyag-dhama svayam-jyotir
visvam yena samanvitam

TRADUCTION

Le Seigneur Souverain est l'Ame Suprême, et Son existence est sans commencement. Il transcende les trois gunas et vit au-delà de l'univers matériel. On peut Le percevoir en tous lieux, car Il rayonne de Sa propre lumière, et par Sa radiance propre Il maintient la création tout entière.

TENEUR ET PORTEE

On décrit Dieu, la Personne Suprême, comme étant sans commencement. Il est l'Etre spirituel suprême ou purusa, ce mot désignant précisément une "personne". Or, lorsque nous pensons à une personne en fonction de notre expérience présente, cette personne a forcément une origine dans le temps. Cela signifie qu'elle a dû naître, et qu'on peut retracer son histoire depuis le début de son existence. Mais ce verset qualifie tout spécialement le Seigneur d'anadi, pour dire qu'Il n'a aucune origine. Si nous étudions tous les êtres, nous constaterons qu'il y a un commencement à leur existence, et si nous trouvons une personne dont l'existence n'a pas de commencement, ce sera alors la Personne Suprême. Telle est la définition que nous en donne la Brahma-samhita, isvarah paramah krsnah: le Seigneur Souverain, Dieu, est Krsna, le maître suprême; Il est sans commencement, et représente Lui-même l'origine de tous les êtres. Voilà la définition que nous trouvons dans les Ecritures védiques.

Ce verset définit également le Seigneur en tant que l'Ame, ou l'Esprit. Or, quelle est la définition de ce mot? L'esprit est partout perceptible. Brahman signifie "grand", et sa grandeur est omniprésente, perçue en tant que la conscience. Nous avons personnellement l'expérience de la conscience, qui est partout présente dans le corps, et nous pouvons la percevoir au niveau de chaque follicule pileux. C'est la conscience individuelle. Mais il existe pareillement une conscience suprême. Nous pouvons donner ici l'exemple d'une lampe comparée au soleil. La lumière du soleil est partout visible, que ce soit dans le ciel ou à l'intérieur d'une pièce; mais la lumière de la lampe n'est visible que dans un rayon limité. De même, notre conscience n'est perçue que dans les limites de notre propre corps, alors qu'on peut partout percevoir la conscience suprême, ou l'existence de Dieu. Dieu est en effet partout présent à travers Son énergie. Le Visnu Purana nous apprend que tout ce que nous trouvons, en quelque lieu que ce soit, appartient à l'énergie du Seigneur Suprême. La Bhagavad-gita confirme que le Seigneur est omniprésent et qu'Il pénètre tout de par Ses deux énergies, l'une spirituelle et l'autre matérielle. Toutes deux sont partout diffusées, et là réside la preuve de l'existence de Dieu, la Personne Suprême.

L'existence de la conscience en tous lieux n'est pas transitoire. Elle n'a pas de commencement, et pour cette raison même, pas de fin non plus. La théorie selon laquelle la conscience se développe à un certain stade de l'évolution matérielle se trouve ici réfutée, car la conscience qui pénètre toute chose est ici décrite comme sans origine dans le temps. La théorie matérialiste ou athée voulant qu'il n'y ait ni âme ni Dieu, et selon laquelle la conscience résulte de la combinaison d'éléments matériels, ne saurait donc être acceptée. La matière n'est pas dépourvue d'origine; elle a un commencement. Tout comme le corps matériel a un commencement, il en va de même pour le corps universel. Et tout comme notre corps de matière s'est développé à partir de l'âme, le corps de l'univers tout entier s'est développé à partir de l'Ame Suprême. Le Vedanta-sutra enseigne: janmady asya; l'entière manifestation matérielle -avec sa création, sa croissance, son maintien et sa dissolution- procède de la Personne Suprême. Le Seigneur affirme également dans la Bhagavad-gita (X.8): "Je suis le commencement, la source d'existence de tout ce qui est".

Nous trouvons ici décrite la position de Dieu, la Personne Suprême. Il n'est pas une personne temporaire, non plus qu'Il n'a de commencement. Lui-même ne dépend d'aucune cause, mais Il représente la Cause de toutes les causes. Le mot parah signifie "transcendant", "au-delà de l'énergie créatrice"; ainsi, le Seigneur est le créateur de l'énergie créatrice. Nous percevons bien la présence d'une énergie créatrice dans l'univers matériel, mais Lui ne tombe pas sous sa coupe; Il est prakrti-parah, au-delà de cette énergie. Il n'est pas sujet aux trois formes de souffrances créées par l'énergie matérielle, car Il transcende celle-ci. Ainsi, les gunas ne Le touchent pas. Ce verset explique encore: svayam-jyotih. Il est Lui-même lumière. Nous voyons en ce monde que toute forme de lumière n'est que le reflet d'une autre; la lune, par exemple, reflète la lumière du soleil, elle-même reflétant le brahmajyoti. Or le brahmajyoti, la lumière spirituelle, émane du Corps du Seigneur Suprême. C'est ce que confirme la Brahma-samhita: yasya prabha prabhavatah, le brahmajyoti, ou la radiance du Brahman, provient de l'éclat lumineux de Son Corps. C'est ainsi que nous trouvons ici les mots svayam-jyolih: Il est Lui-même lumière, et Sa lumière se trouve diffusée de différentes manières, tel que sous la forme du brahmajyoti, de la lumière du soleil et de celle de la lune. La Bhagavad-gita confirme par ailleurs qu'il n'est nul besoin de soleil, de lune ou d'électricité dans le monde spirituel. Et les Upanisads de renchérir: parce que l'éclat du Corps de la Personne Souveraine suffit à éclairer le monde spirituel, la lumière du soleil, celle de la lune et toute autre forme de lumière, comme l'électricité, n'y sont d'aucune utilité. Le fait qu'Il brille ainsi de Sa propre lumière contredit également la théorie selon laquelle l'âme spirituelle, ou la conscience spirituelle, se développe à un certain stade de l'évolution de la matière. Les mots svayam-jyotih soulignent précisément l'absence de tout élément ou intervention d'ordre matériel. Ce verset corrobore donc clairement que le concept de l'omniprésence du Seigneur s'explique par la diffusion en tous lieux de la lumière émanant de Sa Personne. Nous avons l'expérience du soleil qui, bien qu'il se situe en un lieu fixe, distribue sa lumière sur des millions de kilomètres à la ronde. C'est là une réalité concrète. Or, de la même manière, bien que la lumière suprême soit dans le royaume personnel du Seigneur, à Vaikuntha ou à Vrndavana, Sa radiance se diffuse non seulement dans le monde spirituel, mais au-delà. Elle est également reflétée dans l'univers matériel par le Soleil, dont l'éclat est à son tour réfléchi par la Lune. Ainsi, bien qu'Il reste dans Sa demeure propre, Sa lumière est distribuée partout à travers les mondes matériel et spirituel. Ce que confirme à nouveau la Brahma-samhita (5.37), goloka eva nivasaty akhilatma-bhutah: Il vit à Goloka, mais ne S'en trouve pas moins présent à travers toute la création. Il est l'Ame Suprême, l'Ame de tout ce qui est, la Personne Souveraine, Dieu, et Il possède d'innombrables qualités spirituelles et absolues. Il est en outre établi que bien qu'Il soit sans l'ombre d'un doute une Personne, Il n'est pas un purusa de ce monde. Les philosophes mayavadis, quant à eux, ne peuvent comprendre qu'au-delà de cet univers il puisse exister une Personne; et c'est précisément la raison pour laquelle ils sont impersonnalistes. Mais ce verset explique très bien que la Personne Souveraine transcende toute existence matérielle.

VERSET 4

sa esa prakrtim suksmam
daivim gunamayim vibhuh
yadrcchayaivopagatam
abhyapadyata lilaya

TRADUCTION

En guise de Divertissement, ce même Seigneur Suprême, le plus grand d'entre les grands, assume la manifestation de l'énergie matérielle subtile, que recouvrent les trois gunas et qui reste liée à Visnu.

TENEUR ET PORTEE

Le mot gunamayim revêt ici une grande importance. Par daivim, on indique l'énergie de la Personne Suprême, et gunamayim signifie que cette énergie se trouve recouverte par les trois gunas. Lorsque apparaît l'énergie matérielle du Seigneur Souverain, cette énergie gunamayim agit telle une manifestation des énergies propres aux trois gunas: elle agit comme un voile. Ainsi, l'énergie provenant du Seigneur Suprême se manifeste de deux façons: comme une émanation de Dieu et comme un voile cachant le visage du Seigneur. La Bhagavad-gita enseigne que l'univers matériel se trouvant tout entier sous l'emprise de l'illusion créée par les trois gunas, le commun des âmes conditionnées ne peut, sous l'influence de cette énergie, percevoir le Seigneur Souverain. On donne à cet effet l'exemple, tout à fait approprié, d'un grand nuage qui se formerait soudain dans le ciel. Ce nuage sera perçu de deux manières: pour le soleil, ce nuage est un produit de son énergie, tandis que pour l'homme ordinaire, à l'état conditionné, ce même nuage agit comme un voile l'empêchant de voir l'astre du jour. A la vérité, le soleil ne se trouve nullement couvert par le nuage; seule la vision des hommes est voilée. Pareillement, maya ne peut envelopper le Seigneur Suprême, qui la transcende, mais l'énergie matérielle n'en recouvre pas moins les êtres vivants ordinaires. Ces âmes conditionnées dont la vision est ainsi voilée, sont des êtres distincts, alors que Celui qui a créé maya de par Son énergie, est Dieu, la Personne Souveraine.

Dans une autre partie du Srimad-Bhagavatam, au septième chapitre du premier Chant, on apprend que Vyasadeva, grâce à sa vision spirituelle, vit le Seigneur Suprême et l'énergie matérielle se tenant derrière Lui. Cela indique que l'énergie matérielle ne peut recouvrir le Seigneur, pas plus que les ténèbres ne peuvent envelopper le soleil. Comparée au soleil, l'obscurité ne peut étendre son influence que dans un rayon infiniment limité; elle peut en effet envahir une petite caverne, mais elle n'a pas d'emprise sur la vaste étendue du ciel. De même, la capacité de recouvrement propre à l'énergie matérielle est limitée; elle ne saurait agir sur le Seigneur Souverain, qu'on qualifie dès lors de vibhu. Tout comme le soleil permet la formation occasionnelle d'un nuage, le Seigneur permet la manifestation de l'énergie matérielle à intervalles réguliers. Mais ce n'est pas parce que cette énergie est utilisée pour créer l'univers matériel qu'elle Le recouvre. Les êtres qu'elle recouvre sont connus sous le nom d'âmes conditionnées. Mais le Seigneur, Lui, ne permet la manifestation de l'énergie matérielle qu'afin de servir Ses Divertissements de création, maintien et destruction en son sein. L'âme conditionnée, quant à elle, reste aveuglée, incapable de saisir qu'au-delà de l'énergie matérielle se trouve Dieu, la Personne Suprême, qui représente la Cause de toutes les causes, au même titre qu'une personne d'intelligence réduite ne parvient pas à comprendre qu'au-delà de la couche de nuages brille le soleil.

VERSET 5

gunair vicitrah srjatim
sa-rupah prakrtim prajah
vilokya mumuhe sadyah
sa iha jnana-guhaya

TRADUCTION

Diversifiée par l'effet de ses trois attributs, la nature matérielle engendre les formes des êtres vivants, lesquels, voyant cela, tombent sous l'influence de l'énergie illusoire qui voile leur savoir.

TENEUR ET PORTEE

L'énergie matérielle possède le pouvoir de voiler la connaissance, mais ne peut agir sur le Seigneur Souverain. Ce pouvoir ne s'applique qu'aux prajah, les êtres revêtus d'un corps matériel, ou âmes conditionnées. Ainsi que l'explique la Bhagavad-gita et d'autres Ecrits védiques, les diverses variétés d'espèces vivantes sont déterminées par les gunas. Et la Bhagavad-gita explique clairement que si la vertu, la passion et l'ignorance procèdent de Dieu, la Personne Suprême, Lui n'est pas sujet à leur influence. En d'autres mots, l'énergie émanant de l'Etre Souverain n'a aucun effet sur Lui; elle n'agit que sur les âmes conditionnées, que recouvre l'énergie matérielle. Le Seigneur est le père de tous les êtres vivants, car c'est Lui qui féconde l'énergie matérielle en y plaçant les âmes conditionnées. Il s'ensuit que les âmes conditionnées obtiennent des corps issus de l'énergie matérielle alors que le père de tous les êtres reste détaché des trois gunas.

Le verset précédent soulignait le fait que le Seigneur Suprême assume la manifestation de l'énergie matérielle en vue d'accomplir certains Divertissements à l'intention des êtres distincts désireux de jouir de cette énergie et de s'en rendre maître. Ainsi ce monde fut-il créé par l'entremise de l'énergie matérielle du Seigneur pour le soi-disant plaisir de ces êtres. La raison pour laquelle fut créé ce monde matériel, avec les souffrances qu'il impose aux âmes conditionnées, est une question fort complexe. Le verset précédent nous offre un élément de réponse à travers le mot lilaya, signifiant "pour les Divertissements du Seigneur". Celui-ci désire en effet rectifier la mentalité des âmes conditionnées portées à la jouissance. La Bhagavad-gita stipule en effet que nul autre que Dieu, la Personne Suprême, n'est le bénéficiaire légitime de tous les plaisirs. Ainsi, l'énergie matérielle a été créée pour ceux qui prétendent en jouir pour eux-mêmes. Notons ici, à titre d'exemple, que le gouvernement d'un pays n'a nullement besoin de créer une organisation policière, mais parce qu'inévitablement certains citoyens refuseront de se conformer aux lois de l'Etat, un tel ministère doit être créé pour s'occuper des coupables. La chose n'est pas vraiment nécessaire en soi, mais en même temps c'est une nécessité. Suivant le même ordre d'idée, il n'y avait aucune nécessité de créer l'univers matériel pour qu'y souffrent les êtres distincts, mais d'un autre côté, il en est certains parmi eux, appelés nitya-baddhas, qui sont éternellement conditionnés. Et nous disons "éternellement", de temps immémorial, parce que nul ne peut retracer le moment où ces êtres distincts, parties intégrantes du Seigneur Souverain, se sont rebellés contre Sa suprématie.

Il existe en vérité deux classes d'hommes: ceux qui obéissent aux lois du Seigneur Suprême et les athées, ou agnostiques, qui refusent l'existence de Dieu et désirent créer leur propre loi. Ces derniers veulent établir que chacun est libre d'inventer sa propre loi ou sa propre religion. Sans chercher à déterminer le moment précis où chacun de ces deux groupes a vu le jour, nous pouvons tenir pour acquis que certains êtres se sont révoltés contre l'ordre établi par Dieu. Et ces êtres sont dits conditionnés, car les trois gunas les soumettent à leur influence; d'où l'utilisation, dans ce verset, des mots gunair vicitrah.

L'univers matériel abrite huit millions quatre cent mille (8 400 000) espèces de vie. En tant qu'âmes spirituelles, les êtres qui habitent ces différentes formes de corps transcendent tous la matière. Pourquoi, dès lors, s'affublent-ils ainsi de diverses enveloppes charnelles? La réponse nous est ici donnée: ils se trouvent sous l'emprise des trois gunas. Leurs corps, ayant été créés par l'énergie matérielle, sont constitués d'éléments matériels. Recouverts par ces corps, ils oublient leur identité spirituelle, ce qui explique l'emploi du mot mumuhe dans ce verset. Cet oubli survient chez les jivas, ou âmes distinctes, qui sont conditionnés, car ceux-ci sont sujets à être recouverts par l'énergie matérielle. Nous trouvons également ici les mots jnana-guhaya, guha signifiant "qui voile". Et c'est parce que leur savoir se trouve voilé que les âmes conditionnées, infinitésimales, revêtent tant de corps différents. Le septième chapitre du premier Chant du Srimad-Bhagavatam enseigne: "Les êtres distincts tombent dans l'illusion sous l'influence de l'énergie matérielle". Les Vedas établissent également que l'être distinct, éternel, est recouvert par différents attributs matériels en sorte qu'on le qualifie de "tricolore", c'est-à-dire recouvert par le rouge, le blanc et le bleu. En effet, le rouge représente la passion, le blanc la vertu, et le bleu l'ignorance. Ces gunas appartiennent à l'énergie matérielle; aussi les êtres distincts ensorcelés par ces différents gunas revêtent-ils divers types de corps matériels. Et parce qu'ils oublient leur identité spirituelle, ils s'acharnent à croire que leur corps matériel représente leur être propre. Pour l'âme conditionnée, "moi" signifie "le corps de matière". C'est là ce qu'on appelle moha, l'égarement.

La Katha Upanisad affirme à maintes reprises que Dieu, la Personne Suprême, ne subit jamais l'influence de la nature matérielle. Ce sont plutôt les âmes conditionnées, les parcelles infimes de l'Etre Suprême, qui sont affectées par l'influence de la nature matérielle et qui revêtent différents corps, selon le jeu des gunas.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare