SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3
CHAPITRE 25

Les gloires du service
de dévotion.

VERSET 31

maitreya uvaca
viditvartham kapilo matur ittham
jata-sneho yatra tanvabhijatah
tattvamnayam yat pravadanti sankhyam
provaca vai bhakti-vitana-yogam

TRADUCTION

Sri Maitreya dit:
Lorsque Sa mère l'eut ainsi informé de ses aspirations, Kapila, qui était issu de son corps, éprouva de la compassion à son égard. Il lui exposa donc, telle qu'elle est transmise par la filiation spirituelle, la philosophie du sankhya, qui combine le service de dévotion et le yoga de la méditation.

VERSET 32

sri-bhagavan uvaca
devanam guna-linganam
anusravika-karmanam
sattva evaika-manaso
vrttih svabhaviki tu ya
animitta bhagavati
bhaktih siddher gariyasi

TRADUCTION

Sri Kapila dit:
Les sens représentent les devas, et leur inclination naturelle consiste à agir suivant les directives des Vedas. De même, le mental représente le Seigneur Souverain, et son devoir naturel consiste à servir. Or, lorsque cette inclination est employée dans le service de dévotion offert à la Personne Souveraine, sans aucun motif ultérieur, elle devient alors beaucoup plus précieuse que le salut.

TENEUR ET PORTEE

Les sens de l'être distinct sont toujours absorbés dans une occupation quelconque, qu'il s'agisse d'activités prescrites par les Vedas ou d'activités purement matérielles. Les sens sont naturellement portés vers l'action; le mental, quant à lui, représente la plaque tournante des sens, et c'est parce qu'il les dirige qu'on le désigne du nom de sattva. Pareillement, Dieu, la Personne Suprême, dirige tous les devas qui prennent part aux activités de ce monde, -le deva du Soleil, le deva de la Lune, Indra et les autres.

Les Ecritures védiques enseignent que les devas représentent différentes parties du corps universel de la Personne Souveraine. Nos sens sont gourvernés par ces différents devas, dont ils sont autant de représentations; quant au mental, il représente le Seigneur Suprême. Les sens, dirigés par le mental, agissent donc sous l'influence des devas; et lorsqu'ils sont enfin orientés vers le service du Seigneur Souverain, c'est alors qu'ils retrouvent leur position naturelle. Le Seigneur a nom Hrsikesa, car Il est le véritable possesseur et maître ultime des sens. Le mental et les sens, disions-nous, sont naturellement portés vers l'action, mais lorsqu'ils sont souillés par la matière, ils recherchent quelque bienfait matériel ou sont mis au service des devas, quand en vérité ils sont destinés à servir Dieu, la Personne Suprême. On désigne les sens par le mot hrsika, et le Seigneur Souverain est appelé Hrsikesa. Indirectement, tous les sens ont une tendance naturelle à servir le Seigneur Suprême; et c'est précisément ce qu'on appelle la bhakti.

Kapiladeva déclare que lorsque l'être dénué de tout désir de gain matériel et de tout autre motif égoïste, utilise ses sens dans le service du Seigneur Suprême, il est alors établi dans le service de dévotion. Or, cet esprit de service vaut beaucoup mieux que le salut ou siddhi. La bhakti, ou l'inclination à servir Dieu, la Personne Souveraine, se situe à un niveau spirituel très supérieur à la mukti, la libération. Ainsi la bhakti vient-elle après l'étape de la libération. En effet, à moins d'être libéré, on ne peut consacrer ses sens au service du Seigneur. Lorsque les sens de l'être agissent en vue de leur satisfaction propre ou conformément aux directives des Vedas, celui-ci est animé de quelque motivation personnelle; mais que ces mêmes sens soient employés au service du Seigneur, sans aucune autre motivation (animitta), et nous retrouvons là la tendance naturelle du mental. Pour conclure, disons que d'absorber le mental dans la Conscience de Krsna, ou le service de dévotion offert au Seigneur Suprême, sans se laisser dévier par les injonctions védiques ou par l'action matérielle, vaut infiniment mieux que la libération, pourtant si convoitée.

VERSET 33

jarayaty asu ya kosam
nigirnam analo yatha

TRADUCTION

Par elle-même, la bhakti, ou le service de dévotion, dissout le corps subtil de l'être distinct, tout comme le feu présent dans l'estomac digère tout ce que nous mangeons.

TENEUR ET PORTEE

La bhakti se situe à un niveau bien supérieur à la mukti, car le service de dévotion permet d'emblée à l'être de se libérer de la prison matérielle. Nous avons ici l'exemple du feu, qui, dans l'estomac, digère tout ce que nous mangeons. Si le pouvoir digestif est suffisant, tous les aliments que nous ingurgiterons seront digérés par ce feu de l'estomac. De même, le bhakta n'a pas besoin d'entreprendre quelque autre effort séparément du service de dévotion pour atteindre la libération. Le service même qu'il offre à Dieu, la Personne Suprême, représente la voie de sa libération, car se vouer au service du Seigneur revient à se libérer des chaînes de la matière. Sri Bilvamangala Thakura a très bien expliqué ceci en disant: "Si je nourris une dévotion indéfectible pour les pieds pareils-au-lotus du Seigneur Souverain, la mukti, ou la libération, se met à ma disposition comme une humble servante, et se montre disposée à satisfaire mes moindres désirs".

Pour un bhakta, la libération ne présente pas le moindre problème, car il l'obtient automatiquement, sans autre effort. Aussi la bhakti dépasse-t-elle de loin la mukti, le niveau atteint par les impersonnalistes. Ces derniers se livrent à de rudes austérités pour atteindre la mukti, alors que le bhakta, par le simple fait de suivre la voie de la bhakti, et plus particulièrement de chanter

hare krsna hare krsna krsna krsna hare hare
hare rama hare rama rama rama hare hare

et d'honorer les reliefs de la nourriture offerte au Seigneur Suprême, acquiert aussitôt la maîtrise de la langue. Une fois la langue maîtrisée, tous les autres sens le deviennent aussi tout naturellement. Cette maîtrise des sens représente la perfection du yoga, et l'être se trouve immédiatement libéré dès qu'il se voue au service du Seigneur. Kapiladeva confirme donc que la bhakti, le service de dévotion, est gariyasi, plus glorieux que la siddhi, la libération.

VERSET 34

naikatmatam me sprhayanti kecin
mat-pada-sevabhirata mad-ihah
ye nyonyato bhagavatah prasajya
sabhajayante mama paurusani

TRADUCTION

Le pur bhakta, attaché aux activités du service de dévotion et sans cesse absorbé dans le service de Mes pieds pareils-au-lotus, ne désire à aucun moment se fondre en Moi. Inébranlable, un tel bhakta glorifie constamment Mes Actes et Mes Divertissements.

TENEUR ET PORTEE

Il existe, nous enseignent les Ecritures, cinq sortes de libération. L'une d'elle consiste à ne plus faire qu'Un avec le Seigneur Suprême, ou à renoncer à son individualité propre pour se fondre dans l'Absolu. Ceci a nom ekatmatam. Or, jamais le bhakta n'accepte cette forme de libération. Quant aux quatre autres, elles consistent à atteindre la même planète que celle de Dieu (Vaikuntha), à vivre au contact personnel du Seigneur Suprême, à jouir de la nême opulence que Lui et à obtenir une apparence physique identique à la Sienne. Ainsi que l'expliquera Kapila Muni, un pur bhakta n'aspire en fait à aucune de ces cinq formes de libération. Et l'idée de se fondre dans l'existence du Seigneur Souverain lui répugne tout particulièrement. Sri Prabodhananda Sarasvati, un grand dévot de Sri Caitanya, disait, kaivalyam narakayate: "Le plaisir de ne plus faire qu'Un avec le Seigneur Suprême, auquel aspirent les mayavadis, doit être tenu pour infernal." Cette forme d'unité n'est pas pour les purs bhaktas.

De nombreuses personnes se disant bhaktas croient qu'à l'état conditionné on peut adorer un Dieu personnel, mais qu'en dernière analyse Dieu est impersonnel. Selon eux, puisque la Vérité Absolue est impersonnelle, on peut pendant un certain temps Lui prêter une forme personnelle imaginaire, ce genre d'adoration prenant fin une fois que l'on est libéré. Telle est la théorie soutenue par l'école mayavada. Néanmoins, il faut préciser que les impersonnalistes ne se fondent pas dans l'existence de l'Etre Suprême, mais plutôt dans la radiance émanant de Sa Personne, et qu'on appelle le brahmajyoti. Bien que le brahmajyoti ne diffère pas du Corps de Dieu, cette sorte d'unité avec l'Absolu, consistant à se fondre dans l'éclat lumineux du Corps du Seigneur, n'est pas acceptée par les purs bhaktas, car ceux-ci connaissent un bonheur plus grand que le soi-disant plaisir de ne plus faire qu'Un avec Dieu. Ce bonheur supérieur consiste à servir Dieu. Le bhakta songe constamment à Le servir, élaborant sans cesse de nouveaux plans, même au coeur des pires difficultés de l'existence matérielle.

Les mayavadis ne voient dans les descriptions des Divertissements du Seigneur que de simples histoires, mais en vérité ces Divertissements représentent autant d'événements historiques. Les purs dévots du Seigneur, pour leur part, voient dans ces mêmes récits, non pas des contes, mais la Vérité Absolue. Notons ici les mots mana paurusani. Les bhaktas sont très attachés à glorifier les Activités du Seigneur, tandis que les mayavadis ne peuvent même pas penser à ces Activités. Selon eux, la Vérité Absolue est impersonnelle; or, comment peut-il y avoir activité sans existence personnelle? C'est pourquoi les impersonnalistes considèrent tous les Divertissements relatés dans le Srimad-Bhagavatam, la Bhagavad-gita et d'autres Ecrits védiques comme des récits fictifs qu'ils interprètent donc dans un esprit des plus malveillants. Ils ne connaissent rien de la Personne Divine; et pourtant, ils viennent vainement mettre leur nez dans ces Textes sacrés et en donnent une interprétation trompeuse qui n'a pour effet que d'égarer un public innocent. Les agissements de l'école mayavada s'avèrent ainsi fort dangereux pour la masse des gens, et c'est la raison pour laquelle Sri Caitanya nous a formellement interdit de prêter l'oreille aux enseignements de tout Mayavadi, peu importe l'Ecriture en cause. Les impersonnalistes ruinent tout le processus, et celui qui les écoute ne pourra jamais avoir accès à la voie du service de dévotion pour atteindre la plus haute perfection, ou s'il peut le faire, ce ne sera qu'après une très longue période.

Kapila Muni établit clairement que les activités de la bhakti, les activités propres au service de dévotion, transcendent la mukti. C'est ce qu'indiquent les mots pancama-purusartha. En général, les hommes se vouent à des actes de piété, à la poursuite des richesses et à la recherche des plaisirs sensoriels; finalement, ils cherchent, à travers leurs actes, à se fondre dans l'existence du Seigneur Suprême (mukti). Mais la bhakti transcende toutes ces activités. Aussi le Srimad-Bhagavatam commence-t-il par établir que toute forme de prétention religieuse se trouve complètement exclue de ses pages. Le Bhagavatam rejette totalement les rites visant l'acquisition de biens matériels et la satisfaction des sens, ainsi que le désir de se fondre dans l'Absolu faisant suite à la frustration dans la recherche du plaisir sensoriel. Le Srimad-Bhagavatam s'adresse tout particulièrement aux purs bhaktas, qui s'absorbent dans la Conscience de Krsna et qui glorifient sans fin Ses Activités spirituelles et absolues. Les purs bhaktas vénèrent les Activités toutes spirituelles du Seigneur à Vrndavana, à Dvaraka et à Mathura, telles que les relatent le Srimad-Bhagavatam et d'autres Puranas. A l'opposé, les philosophes mayavadis rejettent globalement ces récits en les qualifiant de simples mythes alors qu'ils représentent un sujet réellement glorieux et digne d'adoration, si bien que seuls les bhaktas peuvent les apprécier. Voilà ce qui sépare les mayavadis des purs dévots du Seigneur.

VERSET 35

pasyanti te me rucirany amba santah
prasanna-vaktraruna-locanani
rupani divyani vara-pradani
sakam vacam sprhaniyam vadanti

TRADUCTION

O mère, Mes dévots contemplent sans cesse Mon visage souriant et Mes yeux pareils au soleil levant; ils aiment admirer Mes multiples Formes spirituelles et absolues, infiniment bienveillantes, et s'entretenir agréablement avec Moi.

TENEUR ET PORTEE

Les mayavadis et les athées voient les Formes des murtis dans les temples comme des idoles. Mais les bhaktas n'adorent pas d'idoles; ils vénèrent directement la Personne Souveraine dans Sa manifestation arca. Le mot arca désigne la Forme qu'il nous est donné d'adorer dans notre condition présente. A dire vrai, il ne nous est pas possible, à l'heure actuelle, de voir Dieu dans Sa Forme spirituelle, car nos yeux et nos autres sens matériels restent incapables de concevoir une forme spirituelle. Nous ne pouvons même pas voir la forme spirituelle de l'âme distincte! Lorsqu'un homme meurt, nous sommes incapables de percevoir la forme spirituelle quittant le corps matériel. Telle est la faiblesse de nos sens matériels. Ainsi, afin que nos sens matériels puissent Le percevoir, le Seigneur Souverain apparaît dans une Forme appropriée qui a nom arca-vigraha, et cette arca-vigraha, aussi appelée manifestation arca, n'est pas différente de Lui. De même que Dieu, la Personne Suprême, Se manifeste en tant que différents avataras, Il apparaît également dans certaines Formes constituées de matière -c'est-à-dire d'argile, de bois, de métal ou de joyaux.

Plusieurs passages des sastras fournissent des précisions quant à la façon de sculpter cette Forme du Seigneur qui n'a rien de matériel. Puisque Dieu est omniprésent, Il Se trouve également dans les éléments matériels; cela ne fait aucun doute. Mais les athées pensent autrement: bien qu'il, prêchent que tout est Dieu, lorsqu'ils se rendent au temple et y voient la Forme du Seigneur, ils refusent d'admettre que cette Forme est également Dieu. Or, si selon leur propre théorie, tout est Dieu, pourquoi la murti ne le serait-elle pas également? A vrai dire, ils ne connaissent rien de Dieu. La vision du bhakta, cependant, est tout autre en ce qu'elle est imprégnée d'amour pour Dieu. Dès qu'il voit le Seigneur dans Ses différentes Formes, le bhakta se sent envahi d'amour, car au contraire des athées il ne trouve aucune différence entre le Seigneur et la Forme qu'Il manifeste dans le temple. Le bhakta tient le visage souriant de la murti pour spirituel et absolu, et il apprécie également au plus haut point les ornements posés sur le Corps du Seigneur. Il est du devoir du maître spirituel d'enseigner l'art de parer la murti dans le temple, de L'adorer et de nettoyer le temple. Il existe différentes pratiques observées dans les temples de Visnu, et les bhaktas s'y rendent pour contempler la murti, la vigraha, ce qui leur procure un grand bonheur spirituel car toutes les murtis sont bienveillantes. Les bhaktas expriment leurs pensées devant la murti, et il est souvent arrivé que celle-ci leur réponde. Mais il faut être un bhakta bien avancé pour pouvoir s'entretenir avec le Seigneur Suprême. Certaines fois, le Seigneur instruit également Son dévot à travers ses rêves. De tels échanges de sentiments entre la murti et Son dévot ne peuvent être compris des athées, mais les bhaktas en tirent un grand plaisir. Kapila Muni explique ici comment les bhaktas contemplent le visage et le corps joliment paré de la murti, et comment ils s'entretiennent avec elle dans le cadre du service de dévotion.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare