SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3 CHAPITRE 25 Les gloires du service
de dévotion.
tam tva gataham saranam saranyam
sva-bhrtya-samsara-taroh kutharam jijnasayaham prakrteh purusasya namami sad-dharma-vidam varistham
La philosophie du sankhya, comme on le sait, traite de la prakrti et du purusa. Le mot purusa indique celui pour le plaisir de qui tout existe, soit Dieu, la Personne Suprême, ou quiconque L'imite en tant que tel, et prakrti signifie "nature". En ce monde, la nature matérielle est exploitée par les purusas, les êtres vivants. Et les liens complexes unissant ici-bas la prakrti et le purusa -ou l'objet de plaisir et son bénéficiaire- prennent le nom de samsara, l'enchaînement à la matière. Devahuti désirait abattre l'arbre de la condition matérielle, et elle trouva une arme appropriée en la personne de Kapila Muni. Le quinzième chapitre de la Bhagavad-gita nous présente cet arbre de l'existence matérielle comme un asvattha dont les racines pointent vers le haut et les branches vers le bas. Il est dit qu'il faut trancher la racine de cet arbre avec la hache du détachement. Or, qu'est-ce que l'attachement? Cette notion suppose la présence de la prakrti et du purusa: l'être conditionné s'efforce de dominer la nature matérielle, et parce qu'il la prend pour l'objet de sa jouissance personnelle, s'attribuant ainsi la position de celui pour le plaisir de qui tout existe, on lui prête le nom de purusa. Devahuti interrogea Kapila Muni, car elle savait que Lui seul pourrait déraciner son attachement à l'univers matériel. Les êtres conditionnés, en tant qu'hommes et femmes, cherchent à jouir de l'existence matérielle; aussi peut-on dire que, dans un sens, tous sont purusa, puisque purusa signifie "celui qui jouit de" et prakrti "ce dont on jouit". En ce monde, les "hommes" aussi bien que les "femmes" imitent le véritable purusa. Mais tous n'existent en fait que pour le plaisir spirituel et absolu du Seigneur Souverain, Dieu, et représentent donc la prakrti. En d'autres mots, les êtres distincts relèvent de la prakrti. La Bhagavad-gita qualifie la matière d'apara, ou de nature inférieure, mais au-delà de cette nature inférieure s'en trouve une autre, celle-là supérieure, constituée par les êtres vivants. Les êtres distincts sont aussi prakrti, ou objets de plaisirs, mais ensorcelés par maya, ils cherchent à prendre le rôle de purusa. Et là réside la cause du samsara-bandha, de l'existence conditionnée. Devahuti désirait échapper à cette existence conditionnée et atteindre l'abandon total. Or, le Seigneur est saranya, "la seule personne à qui l'on peut s'abandonner pleinement, sans réserve aucune", car Il possède dans leur totalité toutes les excellences. Si quelqu'un désire véritablement être sauvé, la meilleure voie consistera donc à s'abandonner à Dieu, la Personne Suprême. Notre verset décrit également le Seigneur par les mots sad-dharma-vidam varistham, ce qui indique que de toutes les voies d'action spirituelles, la meilleure consiste à servir éternellement la Personne Souveraine avec amour. Le mot dharma est parfois traduit par "religion", mais ce n'est pas là sa signification exacte. Le dharma désigne en réalité "ce qu'on ne peut abandonner", "ce qui est indissociable d'une chose donnée". Ainsi la chaleur du feu, inséparable du feu lui-même, est son dharma, sa nature propre. Pareillement, le sad-dharma indique l'occupation éternelle de l'être, et cette occupation éternelle consiste pour lui à se vouer au service d'amour absolu du Seigneur. Le but visé par la philosophie du sankhya de Kapiladeva est de propager le service de dévotion pur, immaculé; c'est pour cette raison que Kapiladeva est ici reconnu comme la plus importante personnalité d'entre tous ceux qui connaissent l'occupation spirituelle et absolue de l'être distinct.
maitreya uvaca
iti sva-matur niravadyam ipsitam nisamya pumsam apavarga-vardhanam dhiyabhinandyatmavatam satam gatir babhasa isat-smita-sobhitananah
Après avoir entendu Sa mère Lui exprimer son pur désir d'atteindre à la réalisation spirituelle, le Seigneur la remercia intérieurement pour ses questions, puis, le visage souriant, Il lui indiqua la voie des spiritualistes, dont l'intérêt se porte vers la réalisation de l'âme.
Devahuti a confessé qu'elle était prise dans la matière et a exprimé son désir d'en être délivrée. Les questions qu'elle soumet à Sri Kapila revêtent un grand intérêt pour ceux qui aspirent vraiment à être libérés du labyrinthe matériel et à atteindre la perfection de la vie humaine. Celui qui n'éprouve aucun intérêt pour la spiritualité, qui ne cherche pas à comprendre sa position naturelle et éternelle, et qui ne voit aucun inconvénient à l'existence matérielle, celui-là mésuse de la grâce que représente la forme humaine. On peut en effet dire de celui qui n'éprouve aucun souci à l'égard de ses besoins spirituels et n'emploie son énergie qu'à manger, dormir, craindre et s'accoupler comme un animal, qu'il a gaspillé sa vie. Sri Kapila Se montra fort satisfait des questions de Sa mère, car les réponses à de telles questions stimulent chez celui qui les entend le désir d'être libéré de l'état conditionné ou le plonge l'existence matérielle; aussi de telles questions sont-elles qualifiées d'apavarga-vardhanam. Quant à ceux qui nourrissent un intérêt véritable pour la spiritualité, on les désigne du nom de sat, ou de bhakta. Satam prasangat. Le mot sat désigne ce qui existe éternellement, et asat l'éphémère, le transitoire. A moins de se situer au niveau spirituel, on ne peut être sat; on reste asat. Et l'asat mène une existence qui ne durera pas indéfiniment, quand celui qui évolue sur le plan spirituel vivra éternellement. En tant qu'âmes spirituelles, tous les êtres vivent éternellement, mais l'être dit asat a accepté pour refuge l'univers matériel, de sorte qu'il est rempli d'angoisse. C'est l'asad-grahan, la situation contradictoire de l'âme spirituelle animée du sentiment illusoire de jouir de la matière, qui fait que l'âme devient asat. A vrai dire, l'âme spirituelle ne devient jamais véritablement asat, et dès qu'elle devient consciente de cette vérité et qu'elle se tourne vers la Conscience de Krsna, elle "redevient" sat. Le satam gatih, la voie de l'éternel, présente donc un grand intérêt pour ceux qui aspirent à la libération, et c'est de cette voie que Sa Grâce Sri Kapila entreprit de parler.
sri-bhagavan uvaca
yoga adhyatmikah pumsam mato nihsreyasaya me atyantoparatir yatra duhkhasya ca sukhasya ca
Le yoga qui fait état du Seigneur et de l'âme distincte, qui vise au bien ultime de l'être vivant et qui entraîne le détachement des joies et des peines propres à l'univers matériel, représente la plus haute forme de yoga.
Chacun ici-bas s'efforce d'obtenir un certain bonheur matériel, mais ce bonheur ne va pas sans souffrances. Dans l'univers matériel, il est impossible de connaître un bonheur sans nuages. Toute forme de joie sera entachée de peine. Si, par exemple, nous désirons boire du lait, nous sommes contraints de nous occuper d'une vache et de veiller à ce qu'elle produise du lait. Il est certes agréable de boire du lait, c'est là une forme de plaisir; mais pour jouir de ce plaisir, il faut accepter bon nombre de soucis. Or, la pratique du yoga, comme l'affirme ici le Seigneur, est destinée à mettre fin à toute souffrance matérielle aussi bien qu'à tout bonheur matériel. La plus haute forme de yoga, comme Krsna l'enseigne dans la Bhagavad-gita, est le bhakti-yoga. La Gita stipule également que l'on doit s'efforcer d'être tolérant et de ne pas se laisser troubler par les joies ou les peines de ce monde. Bien entendu, certains diront que le bonheur matériel ne les dérange pas, mais ils ignorent que ce plaisir sera immédiatement suivi de souffrances... Telle est la loi qui régit l'univers matériel. Sri Kapila déclare que le yoga représente la science spirituelle. Si l'on pratique le yoga, c'est pour atteindre la perfection spirituelle. Or, à ce niveau, il n'est nullement question de bonheur et de souffrance matériels; tout est purement spirituel, absolu. Kapila ne fait ici qu'introduire ce sujet, qu'Il expliquera plus en détail par la suite.
tam imam te pravaksyami
yam avocam puranaghe rsinam srotu-kamanam yogam sarvanga-naipunam
Le Seigneur n'invente pas quelque nouvelle forme de yoga. On proclame parfois l'avènement de quelque avatara, ou manifestation de Dieu, venu exposer un nouvel aspect théologique de la Vérité Absolue. Mais nou voyons ici Kapila Muni, pourtant Dieu Lui-même et donc capable d'élaborer une nouvelle doctrine pour Sa mère, tenir ces propos: "Je vais maitenant t'expliquer la science antique que J'ai déjà exposée aux grands sages qui désiraient ardemment en entendre parler". Lorsque les Ecritures védiques nous offrent déjà une méthode idéale, pourquoi en inventer une nouvelle et égarer ainsi un public innocent? Malheureusement, il est aujourd'hui de mode de rejeter toute méthode établie et d'enseigner des pratiques fantaisistes sous prétexte d'offrir une méthode moderne de yoga.
cetah khalv asya bandhaya
muktaye catmano matam gunesu saktam bandhaya ratam va pumsi muktaye
Ce verset établit une distinction entre la conscience de Krsna et la conscience matérielle, dite maya ou gunesu. Cette dernière implique l'attachement aux trois gunas, sous la dictée desquels l'être agit parfois dans la vertu et la connaissance, d'autres fois dans la passion, et d'autres fois encore dans l'ignorance. Ce sont ces diverses formes d'activités, centrées sur l'attachement aux plaisirs matériels, qui sont à l'origine de l'existence conditionnée. Lorsque la même conscience (cetah) qui anime ces actes est reportée sur le Seigneur Souverain -donc lorsqu'on devient conscient de Krsna-, on se situe alors sur la voie de la libération.
Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare |