SRIMAD-BHAGAVATAM
CHANT 3
CHAPITRE 24

Le renoncement
de Kardama Muni.

VERSET 36

etan me janma loke smin
mumuksunam durasayat
prasankhyanaya tattvanam
sammatayatma-darsane

TRADUCTION

Si Je descends en ce monde, c'est afin d'exposer la philosophie du sankhya, que les êtres désireux d'échapper au labyrinthe des vains désirs matériels estiment hautement en vue de la réalisation spirituelle.

TENEUR ET PORTEE

Le mot durasayat est ici riche de sens; dur indique la difficulté, ou duhkha, la souffrance, et asayat signifie "du refuge". Les âmes conditionnées que nous sommes ont cherché refuge dans un corps matériel, source d'innombrables problèmes et souffrances. Les sots ne peuvent réaliser leur condition, et c'est ce qu'on appelle l'ignorance, l'illusion, ou l'envoûtement de maya. L'homme devrait sérieusement s'appliquer à comprendre que le corps est en lui-même la source de toute existence misérable. La civilisation moderne prétend faire progresser la connaissance scientifique, mais quelle connaissance est-ce là? Elle n'a pour objet que l'accroissement des commodités matérielles, ignorant totalement que même si le corps est entouré du plus grand conforts, il n'en reste pas moins périssable. Pour reprendre les termes de la Bhagavad-gita, antavanta ime dehah: les corps de matière sont voués à la destruction; puis, nityasyoktah saririnah: l'âme, l'étincelle vivante présente dans le corps, est éternelle, contrairement au corps. Pour agir, nous avons besoin d'un corps; sans corps, sans organes des sens, il n'est pas question d'activité. Mais personne ne se demande s'il est possible d'avoir un corps éternel. En réalité, tous les êtres aspirent à obtenir un corps éternel, car bien que chacun poursuive sans cesse le plaisir des sens, cette sorte de satisfaction n'est pas durable. Aussi manque-t-il à l'être quelque chose dont il puisse jouir éternellement, mais il ignore la façon d'atteindre cette perfection. C'est pourquoi la philosophie du sankhya, celle que mentionne ici Kapiladeva, est tattvanam, c'est-à-dire qu'elle est conçue de façon à permettre de comprendre la vérité telle qu'elle est. Et quelle est cette vérité? C'est la connaissance de la voie qui mène hors du corps matériel, lequel est source de tout problème. Tel est donc le but de la descente en ce monde de l'avatara Kapila. C'est ce qu'établit clairement notre verset.

VERSET 37

esa atma-patho vyakto
nastah kalena bhuyasa
tam pravartayitum deham
imam viddhi maya bhrtam

TRADUCTION

Cette voie de réalisation spirituelle, difficile à comprendre, s'est perdue dans le cours du temps. Sache que Je suis apparu sous les traits de Kapila pour réintroduire et expliquer à nouveau cette philosophie aux hommes.

TENEUR ET PORTEE

Il serait faux de croire que la philosophie du sankhya est un nouveau système de pensée introduit par Kapila à la manière des philosophes matérialistes qui présentent de nouvelles formes d'élucubrations pour détrôner celles d'un autre philosophe. Sur le plan matériel, chacun, mais plus particulièrement les théoriciens, s'efforce de surpasser autrui. Or, le champ d'action des théoriciens est le mental, et l'on peut faire travailler son esprit à l'infini. Celui-ci peut en effet être stimulé de façon pratiquement illimitée, en sorte qu'il est également possible d'énoncer un nombre illimité de théories. Mais la philosophie du sankhya n'est pas de cet ordre; elle n'appartient pas au domaine de la spéculation intellectuelle. Elle appartient au réel, mais à l'époque ou apparut Kapila, elle s'était perdue.

Dans le cours du temps, un type donné de savoir peut se perdre ou se trouver temporairement voilé; c'est là la nature des choses en ce monde. Sri Krsna fait d'ailleurs une affirmation similaire dans la Bhagavad-gita (IV.2), sa kaleneha mahata yogo nastah: "Au fil du temps, la pratique du yoga telle qu'énoncée dans la Bhagavad-gita fut perdue." Cette science avait été transmise de maître à disciple, à travers la parampara, mais avec le passage du temps elle s'était perdue. Le facteur temps exerce un poids tel qu'avec son passage, tout en ce monde dépérit ou se perd. Ainsi, la forme de yoga préconisée par la Bhagavad-gita avait été perdue avant la rencontre de Krsna et d'Arjuna. Krsna vint donc à nouveau en enseigner les principes à Arjuna, lequel était à même de saisir la Bhagavad-gita dans toute sa vérité. Pareillement, Kapila dit que la philosophie du sankhya n'a pas exactement été introduite par Lui; elle existait déjà, mais s'était mystérieusement perdue dans le cours du temps; aussi était-Il apparu pour la reformuler. Voilà le but que poursuit Dieu en descendant en ce monde. Yada yada hi dharmasya glanir bhavati bharata; le mot "dharma" désigne l'occupation éternelle de l'être vivant, et lorsque celui-ci s'écarte de son dharma, le Seigneur vient ici-bas pour en rétablir les principes réels. Toute forme de prétendue religion qui ne s'inscrit pas dans le cadre du service de dévotion est qualifiée d'adharma-samsthapana. Lorsque les hommes oublient leur relation éternelle avec Dieu et se livrent à une occupation autre que le service de dévotion, leur activité relève de l'irréligion. Le moyen d'échapper aux conditions misérables de l'existence matérielle se trouve énoncé dans la philosophie du sankhya, et le Seigneur en personne est venu expliquer cette voie sublime.

VERSET 38

gaccha kamam mayaprsto
mayi sannyasta-karmana
jitva sudurjayam mrtyum
amrtatvaya mam bhaja

TRADUCTION

Maintenant, avec Mon approbation, va comme tu le désires, et abandonne-Moi tous tes actes. Triomphant de la mort insurmontable, adore-Moi afin d'obtenir la vie éternelle.

TENEUR ET PORTEE

L'objet de la philosophie du sankhya se trouve ici formulé. Quiconque désire la vie réelle, éternelle, doit s'absorber dans le service de dévotion, ou la Conscience de Krsna. Il n'est pas facile de s'affranchir de la naissance et de la mort, car elles sont naturelles pour le corps de matière. Le mot sudurjayam signifie "très, très difficile à surpasser". Les prétendus scientifiques modernes ne disposent pas de moyens suffisants pour saisir le processus par lequel on triomphe de la naissance et de la mort. Aussi éludent-ils cette question; ils évitent soigneusement de la considérer et préfèrent se consacrer aux problèmes liés au corps de matière, éphémère et voué à une destruction certaine.

En vérité, la vie humaine doit permettre de triompher du cycle implacable des morts et des renaissances. Et comme l'indique ce verset, il s'agit là d'une tâche réalisable. Mam bhaja: il faut pour cela adopter le service de dévotion offert au Seigneur. Dans la Bhagavad-gita (IX.34) également, le Seigneur affirme, man-mana bhava mad-bhaktah: "Deviens simplement Mon dévot et adore-Moi." Mais de prétendus érudits -en vérité des sots- soutiennent que ce n'est pas Krsna que nous devons adorer et à qui nous devons nous abandonner, mais quelque chose d'autre. C'est pourquoi, sans la miséricorde de Krsna, nul ne peut saisir le sens de la philosophie du sankhya, ni d'aucune autre philosophie visant précisément à la libération. La science védique confirme que l'on s'empêtre dans l'existence matérielle du fait de l'ignorance, et que l'on peut s'affranchir des rets de la matière en s'établissant dans le savoir véritable. Le sankhya est donc synonyme de connaissance réelle, celle par quoi l'on peut s'affranchir des liens de la matière.

VERSET 39

mam atmanam svayam-jyotih
sarva-bhuta-guhasayam
atmany evatmana viksya
visoko bhayam rcchasi

TRADUCTION

En ton for intérieur, à travers ton intellect, tu Me verras toujours, Moi, l'Ame Suprême, qui brille de Ma propre lumière et réside dans le coeur de tous les êtres. Tu réalisant ainsi à la vie éternelle, libre de toute affliction et de toute crainte.

TENEUR ET PORTEE

L'homme se montre très désireux de connaître la Vérité Absolue par diverses voies, et plus particulièrement en réalisant le brahmajyoti, ou la radiance du Brahman, à travers la méditation et la spéculation intellectuelle. Mais Kapiladeva emploie le mot mam pour bien marquer que c'est Dieu en personne qui représente l'aspect ultime de la Vérité Absolue. Dans la Bhagavad-gita, cette Personne Divine dit toujours mam "à Moi", mais les gredins se méprennent sur le sens pourtant clair de ce mot; mam désigne Dieu, la Personne Suprême. Celui qui peut voir le Seigneur Souverain tel qu'Il apparaît en diverses Formes d'avataras et comprend que ces Formes ne sont pas des corps matériels, mais bien le Corps du Seigneur, spirituel et éternel, celui-là peut saisir la nature de la Personne Divine. Et puisque les hommes de moindre intelligence ne peuvent saisir cette vérité, celle-ci est soulignée à chaque fois que l'occasion s'en présente. Le simple fait de voir la Forme du Seigneur tel qu'Il Se manifeste de par Sa propre puissance interne, en tant que Krsna, Rama ou Kapila, donne de percevoir directement le brahmajyoti, puisque ce dernier n'est rien d'autre que le rayonnement issu de Son Corps. Puisque la lumière du soleil n'est que l'éclat de l'astre, celui qui voit le soleil perçoit du même coup ses rayons. De même, en voyant Dieu, la Personne Suprême, on perçoit simultanément l'aspect Paramatma et l'aspect Brahman, impersonnel, de l'Absolu.

Le Srimad-Bhagavatam a déjà expliqué que la Vérité Absolue se présente sous trois aspects -d'abord en tant que Brahman impersonnel, puis en tant que Paramatma présent dans le coeur de chaque être, et finalement en tant que Bhagavan, ou Dieu dans Sa Forme personnelle, qui représente l'aspect ultime de la réalisation de la Vérité Absolue. Par conséquent, celui qui peut contempler la Personne Suprême réalise automatiquement les autres aspects de Dieu, à savoir le Paramatma et le Brahman. Les mots exacts de ce verset sont visoko bhayam rcchasi: le simple fait de voir la Personne Divine permet à l'être de réaliser toute chose et de s'établir au niveau où n'existent ni affliction ni crainte. Et ce degré de perfection ne peut être atteint qu'à travers le service de dévotion offert au Seigneur Souverain.

VERSET 40

matra adhyatmikim vidyam
samanim sarva-karmanam
vitarisye yaya casau
bhayam catitarisyati

TRADUCTION

J'exposerai également à Ma mère ce savoir sublime qui représente l'accès à la vie spirituelle, en sorte qu'elle aussi atteigne la perfection et la réalisation spirituelle, mettant fin aux suites de tout acte intéressé. Ainsi sera-t-elle également affranchie de toute crainte matérielle.

TENEUR ET PORTEE

Kardama Muni se faisait du souci pour sa bonne épouse, Devahuti, tandis qu'il quittait le foyer familial. Aussi son digne fils lui promit-il que non seulement lui, Kardama Muni, serait affranchi de l'esclavage matériel, mais que Devahuti également serait libérée grâce aux instructions reçues de son fils. Il s'agit là d'une situation exemplaire: l'époux quitte le foyer pour adopter le sannyasa et se consacrer à la réalisation spirituelle, mais son représentant, son fils, tout aussi instruit que lui, demeure auprès de sa mère pour la libérer. Un sannyasi n'est pas censé emmener sa femme avec lui. Au moment du vanaprastha, ou de la retraite, c'est-à-dire l'étape se situant entre la vie de famille et la vie de renoncement, on peut garder sa femme comme assistante, pourvu que soient évitées les relations sexuelles; mais le sannyasa ne permet pas la présence de la femme. Sinon, un homme comme Kardama Muni aurait pu garder son épouse avec lui sans que cela ne le gêne le moins du monde sur la voie de la réalisation spirituelle.

Kardama Muni observa l'injonction védique selon laquelle le sannyasa n'admet aucune forme de relation avec une femme. Mais quelle est la position de la femme que quitte ainsi son époux? Elle est confiée aux soins du fils, qui promet de délivrer sa mère de l'enchaînement à la matière. La femme n'est pas censée adopter le sannyasa. Des groupements soi-disant spirituels nouvellement créés donnent le sannyasa même aux femmes, mais aucun passage des Ecritures védiques ne sanctionne l'acceptation du sannyasa par les femmes. Autrement, si une telle conduite avait été acceptable, Kardama Muni aurait pu emmener sa femme avec lui et lui conférer le sannyasa. Mais la femme doit rester au foyer. Son existence se déroule en trois étapes: au cours de son enfance, elle dépend de son père; au cours de sa jeunesse, de son époux; et durant sa vieillesse, de son fils parvenu à maturité, comme ici Kapila. Lorsqu'elle atteint un âge avancé, le progrès de la femme dépend de son fils, et le fils idéal, Kapila Muni, assure ici Son père de la libération de Sa mère, afin qu'il puisse partir paisiblement, sans se faire de souci pour sa bonne épouse.


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare