LE LIVRE DE KRSNA
CHAPITRE 57

Krsna épouse cinq reines.

Une rumeur grandissait. On disait qu'à la suite des machinations de Dhrtarastra, les cinq Pandavas et leur mère, Kunti, étaient morts dans un incendie qui avait embrasé la maison de laque où ils vivaient. Cependant, les cinq frères furent aperçus au mariage de Draupadi quelques temps plus tard, et une autre rumeur parcourut le pays: les Panndavas et leur mère étaient toujours vivants. Ce dernier bruit était le seul vrai: les Pandavas, de retour dans leur capitale, Hastinapura, pouvaient être vus de tous. Lorsque ces nouvelles parvinrent à Krsna. et Balarama, Krsna conçut le désir de les voir en personne et décida de Se rendre à Hastinapura.

Cette fois, c'est en tant que prince royal, accompagné du chef de Ses armées, Yuyudhana, et de nombreux autres hommes de guerre que Krsna visita Hastinapura. Il ne répondait pas vraiment à une invitation, mais Se rendait auprès des Pandavas, Ses grands dévots, par affection pour eux. Il les honorait de cette visite sans les en avoir avertis. Dès qu'Il Se montra, tous quittèrent leurs sièges. On appelle Krsna «Mukunda», car il suffit de constamment se trouver au contact de Sa Personne, ou de Le voir en pleine conscience, pour s'affranchir de toute angoisse matérielle et être aussitôt béni de toute félicité spirituelle.

De voir Krsna, les Pandavas se sentirent infiniment vivifiés comme s'ils s'éveillaient d'un songe, et revenaient à la vie. Qu'on suppose un homme allongé, inconscient; ses sens, et les différentes parties de son corps, sont complètement inertes; mais qu'il retrouve la conscience, et de nouveau ses sens, à l'instant même, entrent en action. De même les Pandavas: recevoir Krsna, c'était pour eux comme de reprendre conscience: ils revivaient. Sri Krsna étreignit chacun d'eux, et au contact du Seigneur Suprême, tous se virent sur-le-champ affranchis de toute souillure matérielle: aussi souriaient-ils, envahis de félicité spirituelle. A contempler le visage de Sri Krsna, chacun d'eux se trouva empli d'une satisfaction absolue. Sri Krsna Dieu, la Personne Suprême, comme Il jouait le rôle d'un homme ordinaire, toucha aussitôt les pieds de Yudhisthira et de Bhima, Ses aînés. Arjuna étreignit Krsna comme un ami du même âge, alors que les deux plus jeunes frères, Nakula et Sahadeva, touchèrent les pieds pareils-au-lotus du Seigneur, pour Lui montrer leur respect. Après cet accueil conforme à l'étiquette, selon les positions respectives de Sri Krsna et de chacun des Pandavas, le Seigneur Se vit offrir un siège élevé. Quand Il fut assis de façon confortable, Draupadi, nouvellement mariée, jeune et dans toute sa beauté, toute sa grâce naturelle, s'approcha de Lui, pour Lui présenter un salut plein de respect. Les Yadavas qui avaient accompagné Krsna furent également reçus avec grande considération. Satyaki (Yuyudhana), se vit notamment offrir un siège confortable. Lorsque enfin chacun fut installé comme il convient, les cinq frères prirent place auprès de Sri Krsna.

Après les Pandavas, Sri Krsna rendit une autre visite, à Srimati Kuntidevi, leur mère, Sa tante du côté paternel. En signe de respect, Sri Krsna lui toucha les pieds. Les yeux de Kuntidevi s'emplirent de larmes, et, inondée d'un grand amour, elle étreignit Sri Krsna avec chaleur. Puis L'interrogea sur les membres de sa famille —son frère Vasudeva, l'épouse de ce dernier, et d'autres. Krsna, à Son tour, l'interrogea pareillement sur les familles Pandavas. Kuntidevi, bien qu'unie à Krsna par des liens familiaux, sut, aussitôt après L'avoir rencontré, qu'Il n'était nul autre que Dieu, la Personne Suprême Les malheurs qu'elle avait connus lui revinrent en mémoire, comme aussi la façon dont les Pandavas et elle-même, leur mère, les avaient traversés sains et saufs par la grâce de Krsna. Elle était forte du savoir que nul, sans la grâce de Krsna, n'aurait pu leur épargner la mort dans l'incendie de la maison de laque, voulu par Dhrtarastra et ses fils. C'est d'une voix tremblante qu'elle entreprit de narrer à Krsna l'histoire de sa vie et celle de ses fils.

«O cher Krsna, dit-elle, je me souviens du jour où Tu envoyas mon frère Akrura savoir notre condition. Voilà bien la preuve que toujours, et naturellement, Tu Te rappelles de nous. Lorsque j'ai vu Akrura, par Toi envoyé, j'ai compris qu'aucun danger n'existerait pour nous. Alors notre vie devint entièrement heureuse, et désormais, je suis convaincue que nous serons toujours protégés. Sans doute les membres de notre famille, les Kurus, nous feront-ils courir de nouveaux dangers, mais j'ai confiance, Tu Te souviens de nous, et toujours Tu nous garderas sains et saufs. Les bhaktas qui simplement s'absorbent en Ta pensée se trouvent constamment immunisés contre toutes sortes de périls en ce monde; et que dire de nous, dont en Personne Tu Te souviens. Ainsi, ô Krsna, la mauvaise fortune ne nous atteindra plus; par Ta grâce, notre condition sera toujours placée sous de bons augures. Mais pour cela, qu'on n'aille pas Te croire partial, attentif à certains et inattentif envers d'autres: Tu ne fais point de telles distinctions. Nul n'est Ton favori et nul Ton ennemi. En tant que Dieu, Personne Suprême, Tu Te montres égal envers chacun, et chacun peut prendre avantage de Ta protection toute particulière. Mais en vérité, bien qu'égal envers tous, Tu montres une inclination particulière pour Tes dévots, qui constamment s'absorbent en Ta pensée. Les bhaktas sont liés à Toi par le noeud de l'amour; comment ainsi pourraient-ils T'oublier un instant? Tu habites dans le coeur de chacun, mais Tes dévots, eux, se souviennent toujours de Ta Personne, et Tu ne manques pas de leur répondre. Bien que la mère donne à tous ses enfants son affecion, elle accordera des soins particuliers à celui d'entre eux qui dépend d'elle tout entier. C'est pour moi chose bien certaine, ô cher Krsna, qu'habitant le coeur de chacun, Tu ne manques jamais de susciter pour Tes dévots à l'amour sans mélange maintes situations propices».

Le roi Yudhisthira fit à son tour l'éloge de Krsna en tant que Seigneur Suprême et Ami universel; mais, comme Krsna veillait spécialement au bien des Pandavas, Yudhisthira dit: «O cher Krsna nous ne savons pas quels actes vertueux nous avons pu accomplir dans nos existences précédentes pour qu'à présent Tu Te montres si bon et plein de grâce envers nous. Les grands yogis qui s'absorbent en méditation sans fin pour Te capturer n'obtiennent que malaisément une telle grâce, et, je le sais bien, il ne leur est pas plus donné d'attirer sur eux-mêmes Ton attention personnelle. Pourquoi nous montres-Tu une si grande bonté, à nous qui loin d'être des yogis, sommes au contraire liés aux souillures d'ici-bas, rien de plus que des hommes mariés compromis dans la politique, dans les affaires du monde. Je ne peux le comprendre. J'ignore d'où vient que Tu nous montres si grande bonté».

Sur la requête du roi Yudhisthira, Krsna consentit à demeurer dans la capitale les quatre mois de la saison des pluies. Ces quatre mois portent le nom de caturmasya. Tout ce temps, les prédicateurs et les brahmanas itinérants font halte en un lieu déterminé où il vivent en se soumettant à des principes régulateurs des plus rigides, Sri Krsna, bien que situé au-delà de tout principe régulateur, consentit à demeurer dans Hastinapura, par affection pour les Pandavas. Saisissant cette occasion, les habitants de la ville jouirent tous du privilège de Le voir face à face de temps à autre; et, ce faisant, il; se fondaient dans la félicité spirituelle.

Un jour, Krsna et Arjuna décidèrent de se rendre dans la forêt pour chasser. Tous deux prirent place sur le char d'Arjuna, sur lequel flottait un drapeau à l'effigie d'Hanuman. C'est la raison pour laquelle on nomme également Arjuna «Kapidhvaja» (Kapi désignant Hanuman, et dhvaja le «drapeau»). Ainsi, Arjuna se rendit dans la forêt avec son arc et ses flèches infaillibles. Comme il allait s'entraîner à affronter de nombreux adversaires, il revêtit plusieurs armures. Puis il pénétra dans la partie de la forêt où vivaient de nombreux tigres, des cerfs et autres bêtes. Krsna était présent non pour la chasse, car satisfait en Lui-même, doté de tous les pouvoirs, que Lui faut-il pratiquer? Mais Il voulait voir comment chassait Arjuna, dont Il savait que plus tard il aurait à mettre à mort de nombreux ennemis. Une fois dans la forêt, Arjuna fit périr nombre de tigres, de sangliers, de bisons, de gavayas (une bête sauvage), de rhinocéros, de cerfs, de lièvres, de porcs-épics..., qu'il perça de ses flèches. Certains des animaux morts, ceux qui étaient dignes d'être offerts lors de sacrifices, furent portés par des serviteurs au roi Yudhisthira. D'autres bêtes, féroces, tels les tigres et les rhinocéros, furent mises à mort seulement pour mettre fin aux troubles qu'elles causaient dans la forêt. De nombreux sages et saints l'habitent; il va donc du devoir des rois ksatriyas de garder ces lieux paisibles.

Ayant chassé, Arjuna se sentit las et voulut boire en compagnie de Krsna, il gagna la berge de la Yamuna. Lorsque les deux Krsnas (car on nomme également ainsi Arjuna, de même que Draupadi) parvinrent aux berges de la rivière, ils burent, après s'être lavé mains, pieds et bouche, les eaux claires de la Yamuna. Alors qu'ils se reposaient ainsi et étanchaient leur soif, voilà qu'ils aperçurent une fort belle jeune fille, en âge d'être mariée, se promenant seule sur la berge. Krsna demande à Son ami Arjuna d'aller voir qui elle est. Sur l'ordre du Seigneur, Arjuna approche la jeune fille, de grande beauté. Tout son corps séduisait, et ses dents éclatantes et son visage épanoui. «O belle jeune fille, toi si gracieuse avec ta poitrine haute, puis-je te demander ton nom? Nous sommes bien surpris de te voir errer seule en ces lieux. Qu'y fais-tu? Sans doute y cherches-tu époux à ta convenance. Si je ne t'importune, révèle-moi tes desseins. Je m'efforcerai de te satisfaire».

La merveilleuse jeune fille était la rivière Yamuna personnifiée. Elle répondit: «Je suis la fille du deva du soleil et je me soumets pour le moment à des austérités afin d'obtenir Sri Visnu comme époux. Je Le tiens pour le Seigneur Suprême, la parfaite personne pour devenir mon époux. Si ainsi je te révèle mon désir, c'est que tu as voulu le connaître».

La jeune fille poursuivit: «Cher, je sais que tu es le héros Arjuna; aussi parlerai-je encore. Sache que je n'accepterai nul autre que Sri Visnu pour mari, car seul Lui est le Protecteur de tous les êtres; Lui seul, à toutes les âmes conditionnées, accorde la libération. Tu auras ma reconnaissance, si tu L'implores d'être satisfait de moi». La Yamuna savait bien qu'Arjuna était un grand dévot de Sri Krsna, et qu'à ses prières le Seigneur ne pouvait qu'accéder. Il est parfois vain d'approcher Krsna directement, mais L'approcher à travers Son dévot, voilà une entreprise promise au succès. La jeune fille dit encore à Arjuna: «Mon nom est Kalindi, et je vis dans les eaux de la Yamuna. Mon père eut la bonté d'y bâtir pour moi une demeure spéciale, et j'ai prononcé le voeu d'y demeurer aussi longtemps que je ne trouverai pas Sri Krsna». Le message de Kalindi fut avec soi rapporté à Krsna par Arjuna. Cependant Krsna, en tant qu'Ame Suprême dans le coeur de chacun, savait déjà tout. Sans plus de paroles, le Seigneur, sur-le-champ, accepta Kalindi et lui demanda de prendre place sur le char. Puis, ils se rendirent auprès du roi Yudhisthira.

Quelques temps plus tard, le roi Yudhisthira demanda l'aide de Krsna pour ériger un édifice convenant aux besoins du temps: il voulait que le grand Visvakarma, l'ingénieur céleste des planètes édéniques, en soit l'architecte. Krsna convoqua sur-le-champ Visvakarma et lui fit bâtir une ville merveilleuse, selon le désir de Maharaja Yudhisthira. Lorsque cette ville fut tout entière mis su pied, Yudhisthira implora Krsna de demeurer auprès de lui et de ses sujets encore quelques jours, pour qu'ils jouissent du plaisir de Sa compagnie. Sri Krsna y consentit et demeura longtemps encore dans la ville nouvelle.

C'est durant cette période que prend place le Divertissement par lequel Krsna offrit à Agni, deva du feu, la forêt Khandava, propriété du roi Indra. La forêt Khandava regorgeait d'une grande variété de plantes médicinales, et Agni avait demandé à les consommer pour se rajeunir. Il ne s'attaqua pas directement à la forêt, mais demanda l'aide de Krsna. Il savait le Seigneur fort satisfait de lui, qui Lui avait jadis offert Son disque, le sudarsana. Aussi, pour satisfaire Agni, Krsna Se fit le conducteur du char d'Arjuna, et tous deux se rendirent dans la forêt Khandava. Agni dévore la forêt, et s'en trouve infiniment satisfait. Il offre à Arjuna un arc peu commun, l'arc Gandiva, ainsi que quatre chevaux blancs, un char et un carquois invincible chargé de deux flèches tenues pour des talismans et dotées d'un tel pouvoir que nul guerrier ne pouvait les neutraliser. Pendant que le deva du feu dévorait la forêt Khandava, Arjuna eut l'occasion de sauver des flammes un asura, du nom de Maya. L'asura devint depuis lors un grand ami d'Arjuna. Et pour le satisfaire, il entreprit de bâtir une merveilleuse maison d'assemblée à l'intérieur même de la ville construite par Visvakarma. En certains endroits, cette construction engendrait tant d'illusions d'optique que lorsque Duryodhana s'y rendit en visite, il prit de l'eau pour du sol ferme et du sol ferme pour de l'eau. Ainsi, offusqué de l'opulence des Pandavas, Duryodhana devint leur ennemi acharné.

Après quelques jours, Krsna demanda au roi Yushisthira la permission de retourner à Dvaraka. Il partit alors pour Son pays, accompagné de Satyaki, le chef des Yadus, qui était demeuré avec Lui à Hastinapura. Kalindi suivit également Krsna à Dvaraka. Dès Son retour, Krsna consulta bon nombre de savants astrologues afin de déterminer le moment le plus propice pour épouser Kalindi. Le mariage se déroula en grande pompe et apporta une immense joie aux parents des deux partis: il y eut grand plaisir en cette occasion.

Les rois d'Avantipura (qui porte aujourd'hui le nom d'Ujjain) s'appelaient Vinda et Anuvinda. Tous deux se trouvaient sous la suzeraineté de Duryodhana. Ils avaient une soeur, Mitravinda, laquelle abondait en qualités les meilleures, en érudition et en légance. Elle était la fille de l'une des tantes de Krsna. Elle devait choisir un époux dans l'assemblée des princes, mais désirait fort que celui-ci fût Krsna. Le jour où tous les princes s'assemblèrent pour le choix de Mitravinda, Krsna, devant tous les autres princes, emporta de force la princesse. Les princes restèrent impuissants, à se regarder les uns les autres.

Après quoi, Krsna épousa encore la fille de Nagnajit, roi de Kosala. Ce roi était fort vertueux et strict observant des cérémonies rituelles védiques. Sa fille, infiniment belle, avait pour nom Satya. Fille de Nagnajit, Satya était aussi parfois nommée Nagnajiti. Le roi voulait offrir sa main au prince, quel qu'il soit, capable de vaincre sept taureaux en sa possession. Bêtes si puissantes, si vigoureuses, que nul parmi les princes n'avait pu en venir à bout et donc prétendre à la main de Satya. Ces taureaux avaient grand peine à tolérer ne serait-ce que l'odeur de l'un d'entre eux, qui déjà nombreux avaient tenté leur chance, mais en vain. Ces faits étaient partout répandus —et lorsqu'il parvint aux oreilles de Krsna qu'il fallait dompter sept taureaux pour obtenir la belle Satya, Il S'apprêta à partir pour le royaume de Kosala. Suivi de nombreux guerriers, Il gagna la partie du royaume connue sous le nom d'Ayodhya, pour une visite officielle.

Le roi de Kosala, en apprenant que Krsna était venu pour lui demander la main de sa fille, éprouva une joie immense. C'est avec un haut respect et en grande pompe qu'il accueillit Krsna dans son royaume. Il Lui offrit un siège et divers présents dignes de Sa position. Le tout parut fort élégant. Krsna, quant à Lui, rendit au roi, qu'il voyait déjà comme son futur beau-père, un hommage plein de respect. Lorsque Satya, fille du roi Nagnajit, sut que Krsna était venu en Personne afin de l'épouser, elle en ressentit la plus grande satisfaction, car l'Epoux de la déesse de la fortune avait eu l'immense bonté de venir en ces lieux et de l'accepter pour épouse. Elle avait chéri pendant longtemps l'idée d'être unie à Krsna, et pour en voir la réalisation, suivait les principes de l'austérité. Elle se mit à songer: «Si c'est de mon mieux que j'ai accompli quelques actes pieux, si c'est avec sincérité que j'ai sans cesse pensé obtenir Krsna pour époux, alors puisse-t-il Lui plaire de combler mon désir, nourri depuis tant d'années». A Krsna, elle se mit mentalement à offrir des prières: «J'ignore comment Dieu, la Persone Suprême, peut être satisfait de ma personne, Lui le Maître et Seigneur de tous. Même la déesse de la fortune, toujours au côté du Seigneur, et Siva, Brahmaji et nombre d'autres devas de différentes planètes ne cessent de Lui offrir leur hommage respectueux. Parfois, aussi, le Seigneur descend sur cette Terre sous la forme de différents avataras afin de répondre aux désirs de Ses dévots. Si haut, si grand, j'ignore comment Le satisfaire». Elle conclut que le Seigneur Suprême ne pouvait être satisfait de Son dévot que par le fait de Sa seule miséricorde, immotivée; comment cela se pourrait-Il autrement? Sri Caitanya pria de même dans les versets du Siksastaka: «Je suis Ton serviteur éternel, ô Krsna, Fils de Nanda Maharaja, et cependant, pour une raison ou une autre, me voilà déchu dans l'océan de l'existence matérielle. Je T'en prie donc, arrache-moi à ces vagues de morts et de renaissances, change-moi en un atome de poussière sous Tes pieds pareils-au-lotus». Seule une attitude d'humilité, un esprit de service, pourront satisfaire le Seigneur. Plus nous offrons notre service au Seigneur, sous la direction du maître spirituel, et plus nous progressons sur la voie qui nous rapproche de Lui. Mais pour le service que nous Lui offrons, nous ne pouvons demander nulle grâce ou miséricorde. Que soit ou non accepté le service, seule l'attitude de service peut satisfaire le Seigneur.

Nagnajit, qui avait déjà tout d'un roi pieux, quand il vit Krsna dans son palais, se mit à L'adorer au mieux de son savoir et de ses aptitudes. C'est ainsi qu'il se présenta devant Lui: «O cher Seigneur, la manifestation cosmique tout entière T'appartient, Toi, Narayana, le Repos de tous les êtres vivants. Satisfait en Toi-même, heureux de Tes opulences personnelles, comment pourrais-je T'offrir quoi que ce soit? Et comment par l'offrande pourrais-je Te satisfaire? Non, c'est impossible, je ne suis qu'un être insignifiant. En vérité, il ne m'est pas donné de T'offrir un service quel qu'il soit». Krsna, Ame Suprême de tous les êtres créés, devinait les pensées de Satya, la fille du roi Nagnajit. Lui apportait aussi une intense satisfaction l'adoration respectueuse du roi: qu'on Lui offre un siège, de la nourriture, une résidence... Le Seigneur aimait que père et fille soient anxieux de Le voir devenir plus intime. Esquissant un sourire, Il dit d'une voix magnifique: «Nagnajit, cher roi, tu sais bien que tout prince, s'il se conforme à son rang, ne demandera jamais rien d'autrui, pas même de la personne la plus exaltée. Ceux qui connaissent les Vedas interdisent aux rois ksatriyas de telles requêtes. Enfreindre cette loi, c'est mériter condamnation. Cependant, J'ai une demande à te faire: après la belle réception que tu M'as offerte, veuille, à seule fin que s'établisse entre nous un lien nouveau, M'accepter comme l'époux de ta fille. Il te plaira peut-être également de savoir que dans notre tradition familiale, on ne conçoit pas d'offrande capable de compenser celle que tu fais de ta fille. Quel que soit le prix que tu demandes pour en faire don, il se trouve certes hors de notre pouvoir». Krsna voulait la main de Satya sans avoir d'abord à imposer la défaite aux sept taureaux.

Le roi Nagnajit répondit: «O cher Seigneur, Tu es le Réservoir de tout plaisir, de toutes opulences et qualités. La déesse de la fortune, Laksmiji, demeure toujours la tête sur Ta poitrine. Qui, dès lors, pourrait être envers ma fille un meilleur mari? Moi comme elle avons toujours prié afin d'obtenir cette faveur. Toi, Chef de la dynastie Yadu, aie la bonté de m'écouter: voilà longtemps que j'ai ce voeu de marier ma fille à un prétendant qui en soit digne, un homme qui sortirait victorieux de l'épreuve que j'ai imposée. Tu es Sri Krsna, le Chef de tous les héros. Et j'ai la certitude que Tu maîtriseras sans mal les sept taureaux, ce à quoi tout prince, jusqu'alors, a failli: car tous sont sortis de l'épreuve les membres brisés».

Et le roi Nagnajit conclut: «O Krsna, si Tu veux bien dompter les sept taureaux, alors, sans nul doute, Tu seras choisi comme l'époux désiré de ma fille, Satya». Krsna comprit que le roi ne voulait pas briser son voeu. Il Se rendit à son désir, Il serra Sa ceinture et S'apprêta au combat. En un instant, Il Se multiplia en sept Krsna, dont chacun Se saisit aussitôt d'un des taureaux pour le brider par les naseaux comme s'il s'agissait d'un simple jouet. Que Krsna Se soit multiplié par sept, voilà qui est lourd de sens. Satya, la fille du roi Nagnajit, savait, sans pour cela sentir diminué son attachement à Sa Personne, que Krsna possédait de nombreuses autres femmes. Et c'est pour la rassurer que le Seigneur en un instant Se multiplia par sept. Comprenons par là que Krsna est Un mais possède d'innombrables émanations de Sa Personne. Il eut pour épouses plusieurs centaines, des milliers de femmes, sans que Sa présence auprès de l'une prive les autres de Sa compagnie. A travers Ses émanations, Krsna pouvait Se trouver présent auprès de chacune d'entre elles.

Quand Krsna eut maîtrisé les taureaux, leur puissance et leur orgueil furent réduits à rien, leur nom et leur célébrité assombris. Krsna les traîna, comme un enfant traîne un jouet de bois. Cette scène étonna fort le roi Nagnajit, qui sur-le-champ, avec grand plaisir, offrit à Krsna sa fille Satya. C'est également sans délai que le Seigneur l'accepta pour épouse. La cérémonie du mariage fut ensuite menée en grande pompe. Les épouses de Nagnajit furent elles aussi satisfaites de ce que la main de Satya aille à Krsna, et toute la ville célébra le mariage. Partout on entendait vibrer conques et timbales, musique et chants. Les brahmanas érudits versèrent leurs bénédictions sur le jeune couple. Dans l'allégresse, les habitants de la ville se vêtirent tous d'habits et de parures colorés. Si grand était le plaisir du roi Nagnajit qu'il offrit cette dot à sa fille et à son beau-fils: dix mille vaches et trois mille jeunes servantes fort bien vêtues et parées de haut en bas (1), à quoi le roi ajoute neuf mille éléphants et cent fois plus de chars. Puis cent fois plus de chevaux que de chars, et encore cent fois plus d'esclaves. Cette dot somptueuse offerte, le roi de Kosala invita sa fille et son illustre beau-fils à s'asseoir sur leur char. Il leur permit de se rendre en leur palais, escortés d'une division de soldats bien armés. Sans tarder, les jeunes époux se dirigent vers leur nouvelle demeure, et le roi, en son coeur, se sent ravivé, envahi de l'affection qu'il a pour eux.

(1) Cette coutune de la dot est toujours pratiquée en Inde, en particulier pour les princes ksatriyas. Et, lorsqu'un de ceux-ci se marie, on lui offre au moins une douzaine de servantes, qui sont des suivantes de la princesse, du même âge qu'elle. Ces servantes, de même que les esclaves, étaient toujours traitées par les princes comme leurs propres enfants ou des membres de leur famille.

Avant que Krsna n'épouse Satya, de nombreux autres princes de la dynastie Yadu et d'autres dynasties avaient convoité la main de la princesse, et lutté contre les taureaux du roi Nagnajit. Lorsque les princes frustrés des autres dynasties entendirent que Krsna avait obtenu Satya en maîtrisant les taureaux, tout naturellement ils furent pris de jalousie. Et sur le chemin de Dvaraka, ils encerclèrent Krsna, puis lancèrent sur le cortège des jeunes mariés une nuée de flèches, semblables à d'incessants torrents de pluie. Mais Arjuna, le meilleur ami de Krsna, releva à lui seul le défi, et pour plaire au Seigneur le jour de Son mariage, le plus facilement du monde les chassa tous. Comme un lion chasse tous les autres animaux, et n'a pour cela qu'à les poursuivre. Arjuna, armé de son arc Gandiva, écarta tous les princes, sans même en tuer un seul. Enfin, Sri Krsna, le chef de la dynastie Yadu, avec Sa nouvelle épouse et sa dot énorme, pénétra en grande pompe dans la ville de Dvaraka, où tous deux vécurent en paix.

Krsna avait une autre tante, Srutakirti, la soeur de Son père; cette dernière vivait dans la province de Kekaya; elle était mariée et avait une fille du nom de Bhadra; elle aussi désirait épouser Krsna. Son frère, sans condition, l'offrit au Seigneur, qui l'accepta comme Son épouse légitime. Plus tard, Krsna épousa Laksmana, fille du roi de la province de Madras, et parée de toutes les qualités imaginables, après l'avoir enlevée. Il S'en empara comme Garuda arracha la jarre de nectar des mains des asuras. L'enlèvement eut lieu en la présence de nombreux autres princes, lors du svayamvara de Laksmana. Le svayamvara est une cérémonie dans laquelle la jeune fille choisit son futur époux parmi de nombreux princes assemblés.

Le chapitre évoque le mariage de Krsna avec cinq jeunes femmes. Mais le Seigneur eut plusieurs milliers d'autres épouses, prises une fois qu'il eut mis à mort un asura du nom de Bhauma. Ces milliers de jeunes filles se trouvaient captives dans le palais du démoniaque; Krsna les épousa après les avoir délivrées.

Ainsi s'achèvent les enseignements de Bhaktivedanta pour le cinquante-septième chapitre du Livre de Krsna, intitulé: «Krsna épouse cinq reines».


Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare