Vendredi le 6 septembre, 2013.
Nectar de la dévotion.

Avant-propos.
Le Nectar de la Dévotion est une évocation sommaire de l'oeuvre sanskrite de Srila Rupa Gosvami Prabhupada: le Bhakti-rasamrta-sindhu. Srila Rupa Gosvami se trouvait à la tête des six Gosvamis de Vrndàvana, proches disciples de Sri Caitanya Mahaprabhu. Quand il rencontra pour la première fois Ce dernier, il portait le nom de Sakara Mallika, et occupait le poste de ministre au sein du gouvernement musulman du Bengale, alors régi par le Nawab Husena Saha; son frère Sanatana, connu à cette époque sous le nom de Dabira Khasa, remplissait des fonctions analogues.

En ces temps, soit il y a environ 500 ans, les structures sociales hindoues étaient fort rigides, et le brahmana qui offrait ses services à un chef musulman, se voyait aussitôt chassé du cercle brahmanique. Tel fut donc le sort des deux frères: dès leur entrée au service d'Husena Saha, ils furent bannis de l'ordre très haut des sarasvata-brahmanas auquel ils appartenaient. Ce qui n'empêcha pas Sri Caitanya, dans Son infinie miséricorde, de les accepter plus tard comme disciples, et de les élever au rang de gosvami, le plus haut échelon de la culture brahmanique. Il en fut de même pour Haridasa Thakura, autre grande personnalité vaisnava; bien qu'il fût né d'une famille musulmane, Sri Caitanya l'institua acarya des Saints Noms du Seigneur:

hare krsna hare krsna krsna krsna hare hare
hare rama hare rama rama rama hare hare

Caitanya Mahaprabhu. Telle est l'universalité du Mouvement qu'Il créa; quiconque cultive la science de Krsna et s'engage dans Son service peut atteindre ce niveau de perfection. Ce que corroborent tous les Textes védiques, et plus particulièrement la Bhagavad-gita et le Srimad-Bhagavatam.

C'est après avoir rencontré Sri Caitanya à Ramakeli, un village du district de Maldah, que les deux frères, Sakara Mallika et Dabira Khasa, décidèrent d'abandonner leurs fonctions pour se joindre à Lui. Le premier -qui, nous l'avons dit, portera plus tard le nom de Rupa Gosvami- rassembla aussitÔt toute sa fortune. Or, le Caitanya-caritamrta nous apprend qu'elle s'évaluait, en pièces d'or, à l'équivalent de plusieurs millions de francs; il y avait de quoi remplir un grand bateau. Ces richesses, il les répartit de façon exemplaire; la moitié alla aux brahmanas et aux vaisnavas; un quart aux divers membres de sa famille, et le reste fut gardé en réserve pour parer à toute éventualité. Lorsque plus tard Dabira Khasa -qui deviendra Sanatana Gosvami- décida lui aussi de quitter ses fonctions, le Nawab en ressentit une grande colère, et le fit emprisonner. Mais son frère, grâce aux pièces d'or gardées en réserve, parvint à le faire s'échapper, et tous deux purent ainsi rejoindre Caitanya Mahaprabhu.

Rupa Gosvami retrouva d'abord le Seigneur dans la ville sainte de Prayaga (aujourd'hui devenue Allahabad), au lieu connu sous le nom de Dasàsvarmedha-ghata. Sri Caitanya l'instruisit alors, pendant dix jours consécutifs, dans la science de Krsna, enseignement que Rupa Gosvami développa lui-même par la suite en sondant sa connaissance des Ecritures védiques. Notons que dans ses prières aux six Gosvamis, Srila Srinivasa Acarya décrit ces derniers comme doués d'une vaste érudition, et non seulement dans la langue sanskrite, mais aussi en langues étrangères, tel le persan et l'arabe. Ils étudiaient avec une grande minutie tous les Textes védiques en vue d'établir, sur les bases du savoir absolu qu'ils renferment, le culte de Caitanya Mahaprabhu. Le Mouvement pour la Conscience de Krsna repose sur l'enseignement authentique des six Gosvami, notamment de Srila Rupa Gosvami. C'est pourquoi on connaît également les bhaktas de ce Mouvement sous le nom de rupanugas, ou "ceux qui marchent sur les traces de Srila Rupa Gosvami Prabhupada". Celui-ci, pour jeter en nous la lumière, rédigea le Bhakti-rasamrtasindhu, que nous présentons à notre tour sous la forme du Nectar de la Dévotion. Il s'agit d'un ouvrage très important, qui permettra à tous ceux qui adoptent la Conscience de Krsna de s'y établir fermement.

Le mot "bhakti" fait référence au service de dévotion. Tous les êtres, en ce monde, acceptent de servir d'une façon ou d'une autre, poussés par l'attrait qu'exerce sur eux telle ou telle forme de service, et pour les bienfaits qui en découlent. Ainsi, par amour pour sa femme et ses enfants, le père de famille travaillera jour et nuit; de même le nationaliste, par amour de la patrie, et le philanthrope, par amour pour l'humanité. Le doux sentiment, la force qui les anime tous, s'appelle rasa. Mais le bhakti-rasa diffère du rasa que recherchent les matérialistes en peinant jour et nuit, et qui ne procure satisfaction qu'aux sens matériels. Sa nature éphémère -qui le rend inférieur- incite ses adeptes à rechercher sans cesse de nouveaux objets de satisfaction. L'homme d'affaires, par exemple, après avoir peiné la semaine entière, voudra s'isoler pendant quelques jours en un lieu où il puisse oublier, du moins pour un temps, ses soucis. Mais après cette échappée, il devra retourner à ses affaires. Cette alternance de recherche du plaisir et de résignation prend nom de bhoga-tyaga, et une telle succession d'états éphémères ne peut procurer le bonheur correspondant à la nature éternelle de l'être vivant. Les plaisirs de ce monde n'étant que transitoires, ne donnent qu'un bonheur fragile, ou capala-sukha. Ainsi quand il mourra, que restera-t-il au père de la satisfaction qu'il éprouvait, à tous les instants de sa vie, de maintenir sa famille dans le confort?

Le bhakta parvient à saisir la présence personnelle de Dieu à travers le service dévotionnel qu'il Lui offre. Le matérialiste ne le peut que lorsque la mort immuable met un terme à ses activités sur tous les plans -social, politique, économique... Or, ce sont précisément nos actions en cette vie qui déterminent la nature de notre prochain corps, et nous donnent de renaître en des conditions plus ou moins favorables. Le bhakti-rasa, cependant, ce doux sentiment qu'on éprouve en servant le Seigneur avec amour et dévotion, ne se limite pas à l'existence du corps. Il se poursuit même après la mort, d'où le qualificatif d'amrta, ou éternel, qu'on lui applique. Ce fait est confirmé dans tous les Ecrits védiques, notamment la Bhagavad-gita, qui affirme qu'à développer le bhakti-rasa, même en de faibles proportions, le bhakta se met à l'abri du pire danger: ne pas mettre à profit la forme humaine pour atteindre la perfection spirituelle. Au contraire, les rasas matériels que nous procurent nos occupations familiales et sociales ne peuvent pas même nous garantir une forme humaine dans notre prochaine vie.

La Bhagavad-gita définit l'Autorité divine et suprême, le daiva, comme la Cause première. Et le Srimad-Bhagavatam ajoute que c'est par la force du daiva-netra, par la Volonté suprême, que l'âme revêt divers corps. On parle généralement, pour traduire l'idée de cette force, du Destin: c'est elle qui dirige l'être vers l'une ou l'autre des 8 400 000 espèces vivantes. Mais à celui qui Lui voue chacun de ses actes, Krsna assure qu'en sa prochaine vie, il obtiendra au moins une forme humaine. En effet, ceux qui adoptent la Conscience de Krsna sans en atteindre la perfection dès cette vie, ont l'assurance de renaître dans un milieu favorable au parachèvement de leur réalisation spirituelle. Aussi dit-on des actes accomplis dans la Conscience de Krsna qu'ils sont amrtas, qu'ils portent des fruits durables. Et c'est de cette bhakti que traite le Nectar de la Dévotion.

Grâce à cet ouvrage, le postulant sincère pourra pénétrer le sens profond d'une absorption totale dans le bhakti-rasa. Développer ce rasa dans la Conscience de Krsna, c'est poser les premiers jalons d'une existence divine, heureuse et libre de toute angoisse. Et le désir de libération, avec ses pièges, s'en trouve d'autant amoindri, puisque le bkakti-rasa, du fait qu'il captive Sri Krsna, le Seigneur Suprême, suffit à procurer le sentiment de la libération. Les néophytes dans la pratique du bhakti-yoga sont en général très pressés de voir Krsna, ou Dieu, ignorant encore que leurs sens matériels limités ne peuvent le leur permettre. Cependant, le service de dévotion, tel que décrit dans ces pages, donne de s'élever peu à peu de la condition matérielle au plan spirituel, au-delà de toute contingence, de toute limitation. Le bhakta qui le pratique voit ses sens se purifier jusqu'à ne plus agir que pour la satisfaction du Seigneur; et il goûte ainsi la perfection du bhakti-rasa. Ses moindres actes lui sont désormais sources d'une félicité parfaite, éternelle, et tous les rasas se sublimisent dès lors pour former une ronde de délices infinis.

Au début, le bhakta observe les principes régulateurs de la vie spirituelle sous la direction d'un acarya, jusqu'à ce qu'il développe un attrait spontané pour le service de dévotion et, finalement, rétablisse sa relation avec Krsna dans l'un des cinq principaux rasas (cet ouvrage en décrit douze). Il atteindra ainsi une existence éternelle, toute de connaissance et de félicité.

Tout être vivant, par nature, a le désir d'aimer. En vérité, nul ne saurait vivre sans amour; on retrouve cette tendance même chez les animaux, fût-ce à l'état latent. Mais comment canaliser notre amour de façon à ce que tous puissent trouver le bonheur? Les sociétés modernes enseignent l'amour de la patrie, de la famille, l'amour de soi, mais n'éclairent nullement sur l'art d'utiliser cette inclination à aimer pour le plus grand bonheur de tous. Cet art, le Nectar de la Dévotion nous le révèle: éveiller notre amour pour Krsna, et par là même retrouver la félicité éternelle inhérente à notre nature.

L'enfant aime d'abord ses parents, partage ensuite cet amour avec ses frères et soeurs, et l'étend bientôt à toute sa famille, à son pays, au monde entier même. Mais à ce niveau encore, il est impossible de trouver satisfaction complète. Notre besoin d'aimer ne se peut combler qu'au contact de l'Objet d'amour suprême, Krsna; et c'est l'amour de Krsna, exprimé à travers cinq différents rasas, qu'enseigne le Nectar de la Dévotion, par là nous donnant la possibilité de développer simultanément notre amour pour tous les êtres. Telle est l'essence de cet ouvrage.

Notre pouvoir d'aimer se déploie à la manière d'une onde lumineuse, ou sonore, dont la portée nous serait inconnue. Et si l'homme échoue dans toutes ses tentatives de trouver paix et harmonie, même dans le cadre d'une aussi vaste organisation que celle des Nations-Unies, c'est qu'il ignore tout des moyens qui peuvent l'y conduire. La méthode est fort simple, mais elle mérite profonde considération; c'est l'amour de Krsna. Et en nous l'enseignant, cet ouvrage nous indique le moyen d'aimer ensemble tous les autres êtres. Lorsqu'on arrose les racines d'un arbre, ou nourrit un estomac, le principe est le même. Il est scientifiquement prouvé et su de tous que lorsque nous mangeons, l'énergie transformée par l'estomac est redistribuée dans toutes les parties du corps. De même, lorsque nous arrosons les racines d'un arbre, l'énergie ainsi créée se diffuse dans les plus fins rameaux de l'arbre même le plus gros; arroser une à une chaque feuille et chaque brindille serait peine perdue, et tout aussi vain de chercher à nourrir séparément chaque partie du corps. Le Nectar de la Dévotion nous apprendra donc à concentrer nos efforts, nos énergies, de façon à parfaire tous nos desseins, à embrasser tous les horizons. Toute autre méthode est vouée à l'échec.

Sans doute la civilisation actuelle sait-elle combler tous les besoins matériels de l'homme, et au-delà, mais parce qu'il lui manque "l'essentiel", elle ne peut lui procurer bonheur et paix. L'Amérique en est un exemple frappant: la plus riche des nations, au niveau de vie le plus élevé, crée une race confuse et frustrée. C'est pourquoi j'invite tous ceux que l'existence matérielle laisse insatisfaits à s'initier à l'art dévotieux qu'enseigne le Nectar de la Dévotion. Car alors, le brasier de l'existence conditionnée s'éteindra pour eux. Notre frustration provient de ce que, malgré nos pas de géant dans le sens du progrès matériel, notre soif d'aimer reste inassouvie; et pour y remédier, le Nectar de la Dévotion nous apporte de précieuses indications sur la manière de combler tous nos désirs, matériels aussi bien que spirituels, dans cette vie et dans l'autre, à travers le service d'amour de Sri Krsna. N'allons pas croire, toutefois, que cet ouvrage condamne d'aucune façon le progrès matériel; il tend plutôt à instruire les hommes dans l'amour du Seigneur Suprême pour ajouter cet amour à leur vie. Il n'y a pas de mal à jouir d'un certain confort, si l'on sait développer parallèlement son amour pour Krsna. Bien des façons s'offrent aujourd'hui à nous de dépenser notre amour, mais toujours loin de Krsna, le seul objet d'amour véritable. Nous arrosons toutes les parties de l'arbre, mais pas les racines, Nous tentons par tous les moyens de garder notre corps en santé, mais sans nourrir l'estomac. Or, ignorer Krsna veut dire également s'ignorer soi-même. De fait, la réalisation du moi spirituel et de Krsna vont de pair. Pouvoir distinguer son corps à la lumière du jour n'implique-t-il pas du même coup la possibilité de contempler le soleil, sans lequel il demeure impossible de se voir? De même, il n'est pas possible de réaliser son identité spirituelle sans d'abord réaliser Krsna.

Le Nectar de la Dévotion s'adresse plus particulièrement à ceux qui pratiquent la Conscience de KrsDa, et je tiens ici à remercier tous mes amis et disciples de l'aide qu'ils m'apportent dans la propagation de ce Mouvement en Occident. Je dois aussi mes remerciements à Sriman Jayananda dasa brahmacari ainsi qu'à la direction des presses de l'ISKCON (A.I.C.K.) pour le soin qu'elle a apporté à la publication du présent ouvrage.

Hare Krsna

A.C. Bhaktivedanta Swami