On attribue également à l'univers matériel le nom de "royaume de la mort", car tous les êtres, depuis le microbe -qui ne vit que quelques instants- jusqu'à Brahma -dont la vie s'étend à des milliards d'années-, luttent pour leur existence. La vie s'identifierait donc à une sorte de combat livré contre la nature matérielle et où chacun finit par trouver la mort. La forme humaine offre l'intelligence requise pour saisir la nature réelle de cette lutte acharnée pour l'existence, mais trop attaché aux membres de sa famille, à son entourage ou à sa patrie, l'homme voudrait vaincre l'invincible nature matérielle en s'appuyant sur sa force physique, ses enfants, son épouse et ses proches. Bien qu'il ait une certaine habitude de la chose du fait d'expériences passées et de par l'exemple de ses défunts prédécesseurs, il ne peut toutefois s'apercevoir que les combattants fictifs que représentent ses enfants, ses proches, son entourage et ses compatriotes ne lui sont d'aucune aide réelle dans cette grande lutte pour l'existence. Il lui faut pourtant se rendre à l'évidence que puisque son père et tous ses aïeuls sont déjà morts, lui-même devra souffrir le même destin comme le devront aussi ses fils, qui deviendront à leur tour pères de famille. L'histoire le démontre invariablement: aucun ne sortira vivant de cette lutte livrée contre la nature matérielle. Mais l'homme, dans sa sottise, espère que la science lui conférera un jour l'immortalité. Ce manque de savoir, des plus trompeurs pour la société, vient de ce que l'être ignore sa propre condition originelle d'âme spirituelle. L'univers matériel, comme un rêve, existe seulement à cause de notre attachement pour lui; mais l'âme, elle, lui est toujours étrangère. On compare la nature matérielle à un vaste océan et le temps à ses hautes vagues. Les éléments illusoires de l'existence y sont comme l'écume qui apparaît furtivement, ainsi le corps matériel, l'épouse, les enfants, l'entourage et les compatriotes. Le défaut de connaissance de notre identité véritable nous rend victime de l'ignorance, et nous fait gaspiller l'énergie précieuse conférée par la forme humaine à rechercher vainement des conditions de vie permanentes -d'ailleurs impossibles à obtenir dans l'univers matériel.

Non seulement nos prétendus amis, proches, épouse et enfants sont incapables d'aucune aide véritable dans cette lutte pour l'existence, mais ils se voient eux-mêmes fourvoyés par le chatoiement trompeur de l'existence matérielle. Comment, dès lors, pourraient-ils nous sauver? Et pourtant, l'homme se croit quand même à l'abri au sein d'une famille ou d'une société.

Tout le progrès d'une civilisation matérialiste peut être assimilé aux parures qui ornent un cadavre. Bien que chacun en ce monde ne soit en fait qu'un cadavre animé de quelques convulsions éphémères, tous perdent néanmoins leur précieuse énergie humaine à embellir l'enveloppe charnelle. Lorsqu'il eut peint le juste tableau de la confusion humaine, Sukadeva Gosvami indiqua le devoir qui incombe à l'homme. Ceux qui sont privés de la science de l'atma-tattva restent confondus, mais non pas les dévots du Seigneur, qui ont parfaitement réalisé le savoir spirituel et absolu.

(Śrīmad-Bhāgavatam 2.1.4, Teneur et portée)