CHAPITRE 6

La logique de la réincarnation

"Vous êtes-vous rendu compte que la transmigration est à la fois une explication et une justification du mal dans le monde? Si les maux que nous endurons sont les conséquences des péchés commis lors de vies antérieures, nous pouvons les supporter avec résignation et avec l'espoir de moins souffrir lors de notre prochaine vie, si nous nous efforçons de mener dès maintenant une vie vertueuse."
-W. Somerset Maugham
The Razors Edge
(Le fil du rasoir)

Deux enfants naissent au même instant, le même jour. Les parents du premier sont riches et bien éduqués, et ils ont anxieusement attendu, pendant des années, la venue de leur premier-né. Celui-ci, un fils, est intelligent et en bonne santé; il est beau et son avenir promet. Le destin lui a certainement souri.

L'autre enfant entre dans un monde totalement différent. Il est né d'une mère qui a été abandonnée pendant sa grossesse. Par suite de sa pauvreté, elle éprouve bien peu d'enthousiasme à élever un nourrisson dont la santé est chancelante. L'avenir de celui-ci sera hérissé de difficultés et de privations, et il ne lui sera pas facile de surmonter ces divers obstacles.

Le monde est plein d'inégalités de ce genre qui suscitent souvent ces questions: "Comment la Providence peut-elle se montrer si injuste? Qu'est-ce que Georges et Marie ont bien pu faire pour que leur fils soit né aveugle? Ce sont pourtant des gens bien. Dieu est si cruel, parfois!"

Toutefois, les principes de la réincarnation nous permettent de considérer la vie dans une perspective beaucoup plus étendue -du point de vue de l'éternité. La brève durée d'une existence n'est plus regardée alors comme le commencement de notre vie, mais comme un simple éclair dans le temps; il nous sera possible de comprendre que des personnes apparemment pieuses qui subissent de grands malheurs récoltent probablement les conséquences d'actes impies commis dans cette vie ou dans les précédentes. Avec cette vision très élargie de la justice universelle, nous pouvons voir comment chaque âme individuelle est seule responsable de son propre karma.

Nos actions sont comparables à des graines. Ces actions sont accomplies -les graines sont plantées- et, au bout d'un certain temps, elles germent et portent leurs fruits. Ces derniers correspondront à des phases de bonheur ou de malheur pour l'être vivant, qui réagira, soit en améliorant sa nature, soit en se comportant de plus en plus comme un animal. Dans les deux cas, les lois de la réincarnation agissent de façon impartiale; elles octroient à chaque être vivant la destinée qu'il s'est forgée par ses activités passées.

Un criminel "choisit" d'être jeté en prison parce qu'il a lui-même délibérément enfreint la loi; mais un autre homme sera appelé à siéger à la Cour Suprême en vertu de l'excellence du service qu'il accomplit. De même, l'âme choisit sa propre destinée, ce qui comprend également le choix d'un corps particulier -choix qui se fonde sur les désirs et les actes passés et présents. En vérité, nul ne peut dire: "Je n'ai pas demandé à naître! "Dans ce processus des morts et des renaissances en ce monde matériel, "L'homme propose et Dieu dispose."

Tout comme une personne choisit sa voiture compte tenu de ses besoins et des moyens dont elle dispose, la nature matérielle, répondant à nos désirs et à nos activités, prépare notre prochain corps. Si un être humain gaspille cette précieuse vie -dont le seul but est la réalisation spirituelle du moi- en la consacrant uniquement aux activités animales consistant à manger, dormir, avoir des rapports sexuels et se défendre, Dieu lui permettra d'être placé au sein d'une espèce qui lui donnera plus de facilités pour jouir de ces plaisirs, mais sans qu'il soit dérangé par les inhibitions et les responsabilités propres à la vie humaine...

A titre d'exemple, le goinfre qui se gave littéralement d'une quantité impressionnante de victuailles sans faire de discrimination recevra de la nature le corps d'un porc ou d'une chèvre; cette forme lui permettra de se délecter à sa guise de toutes sortes d'immondices.

Ce système libéral de récompense et de châtiment peut choquer de prime abord, mais il s'agit en fait d'une justice parfaite et compatible avec la conception d'un Dieu de miséricorde. L'être qui désire jouir d'une forme particulière de plaisir matériel doit pour cela recevoir un corps approprié, il est donc juste que la nature le place dans le corps auquel il aspire afin d'assouvir ses désirs personnels.

La logique parfaite de la réincarnation détruit une autre idée erronée, celle du dogme religieux qui veut que tout dépende des activités d'une seule vie, et qui nous menace d'une damnation éternelle dans les régions les plus ténébreuses de l'enfer si nous menons une vie de bassesse et d'immoralité -sans aucun espoir de salut. Il est tout à fait naturel que des êtres sensibles et conscients de Dieu trouvent un pareil système de justice ultime plus démoniaque que divin. Serait-il possible que l'homme puisse faire preuve de compassion envers ses semblables, mais que Dieu, Lui, soit incapable de tels sentiments? Ces doctrines font de Dieu un père sans cœur qui permettrait à ses enfants de s'égarer, pour ensuite assister à leur châtiment et à leur tourment éternels.

Ces enseignements déraisonnables ne tiennent pas compte du lien éternel d'amour qui existe entre Dieu et les êtres vivants, qui émanent directement de Lui. Par définition -Dieu ayant créé l'homme à Son image-, Il doit posséder toutes les qualités au plus haut degré de perfection. L'une de ces qualités est la miséricorde. La notion selon laquelle un être humain peut être condamné à la souffrance perpétuelle de l'enfer après une seule et brève existence ne concorde pas avec la conception d'un Etre Suprême animé d'une miséricorde infinie. Même un père ordinaire donnerait à son fils plus qu'une seule chance de rendre sa vie parfaite.

Les Ecritures védiques exaltent sans cesse la nature magnanime de Dieu. Krsna fait preuve de miséricorde même envers ceux qui Le dénigrent ouvertement, car Il Se situe dans le cœur de chacun et donne à tous les êtres l'occasion de réaliser leurs rêves et leurs ambitions. A vrai dire, la miséricorde du Seigneur est sans limites; Krsna fait preuve d'une miséricorde infinie, et celle-ci est également sans cause. Peut-être, à cause de nos péchés, ne la méritons-nous pas, mais le Seigneur éprouve tant d'amour pour les êtres vivants qu'Il leur donne sans cesse de nouvelles chances de transcender le cycle des morts et des renaissances.

Kuntidevi, dont la dévotion pour Krsna était si grande, dit au Seigneur: "Je vois Ta Grâce comme le maître absolu, sans commencement ni fin. Tu demeures égal envers tous lorsque Tu répands Ta miséricorde." (S.B., 1. 8.28) Cependant, si un être s'écarte effectivement à jamais du Seigneur, ce n'est pas par suite d'une vengeance de Dieu; c'est plutôt le fruit d'un choix répété de la part de cet individu. Comme l'a dit, il y a bientôt deux siècles, Sir William Joncs, qui favorisa l'introduction de la philosophie de l'Inde en Europe: "Je ne suis pas hindou, mais j'estime que la doctrine des hindous concernant un état futur (la réincarnation) est indiscutablement plus rationnelle, plus pieuse et plus apte à libérer l'homme du vice que les affreuses opinions concernant des châtiments éternels qui sont inculquées par le christianisme."

La doctrine de la réincarnation nous apprend que Dieu tient compte et Se souvient de la moindre bonne action que pourrait accomplir une personne qui, autrement, ne songe qu'à faire le mal. Il est rare de trouver des individus qui soient pécheurs à cent pour cent. En conséquence, si, dans cette vie, un être vivant progresse spirituellement si peu que ce soit, il lui sera donné, lors de sa prochaine existence, de pouvoir reprendre son cheminement spirituel au point même où il l'aura laissé. Dans la Bhagavad-gita, le Seigneur dit à Son disciple Arjuna. "Sur cette voie, aucun effort n'est vain, nul bienfait n'est jamais perdu; le moindre pas nous protège du plus grand des dangers (être ravalé, lors de sa prochaine vie au rang d'espèces inférieures à l'homme)." Pendant de nombreuses vies, l'âme pourra donc développer en elle les qualités spirituelles qui lui sont inhérentes jusqu'à ce qu'elle n'ait plus à se réincarner dans un corps matériel et qu'elle retourne en sa demeure originelle, dans le monde spirituel. Et c'est là la bénédiction toute particulière que représente la forme humaine.

Même si le destin d'une personne est de souffrir atrocement à cause des actes répréhensibles qu'elle a accomplis en cette vie ou dans les précédentes, elle pourra, en adoptant le processus de la conscience de Krsna, modifier son karma. L'âme qui a atteint le stade humain est parvenue au point déterminant la suite de son évolution. A partir de ce moment-là, elle peut choisir de descendre dans les chaînes des espèces ou de se libérer du cycle des réincarnations.